Édition du 18 juin 2024

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Le mea culpa du FMI ou… le vrai prix de l’austérité

Le mea culpa du FMI ou… le vrai prix de l’austérité. Ainsi donc, les politiques de réduction des dépenses publiques des États, souvent qualifiées de mesures d’austérité, ont eu plus d’impacts négatifs sur les économies européennes que ne l’avaient prévu les économistes et les autres spécialistes des grandes organisations internationales. C’est ce que l’on retient d’une étude de l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Olivier Blanchard, et de son collègue, Daniel Leigh, publiée le 3 janvier dernier et qui a fait beaucoup jaser en Europe et ailleurs. Le chroniqueur du journal Le Devoir, Éric Desrosiers, résume très bien toute cette histoire.

Cette étude montre que les économistes du FMI et de plusieurs autres grandes organisations économiques internationales ont systématiquement sous-estimé l’effet négatif sur la croissance économique (et le chômage) des mesures d’austérité visant à réduire les déficits budgétaires. Concrètement, les dirigeants européens savaient que leur économie souffrirait des réductions des dépenses publiques visant à réduire les déficits publics et ils ont quand même agi de la sorte.

L’austérité, un choix politique

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cet aveu ? Ma première réaction est de penser que cette sous-estimation systématique des effets des réductions des dépenses publiques sur l’économie est le reflet d’une idéologie anti-État largement répandue dans les départements d’économie et les institutions internationales.

Le FMI, en continuant d’imposer un modèle d’austérité en dépit des signaux d’alarme, a prouvé que ses « experts » étaient complètement déconnectés des réalités du terrain. En fait, on dirait que les dirigeants du FMI croient tellement en leurs théories qu’ils tentent de les imposer à la réalité plutôt que d’analyser la réalité pour adapter leurs théories. En d’autres termes, ils mettent la charrue devant les bœufs !

Les économistes ne détiennent pas la vérité absolue. Certains de leurs travaux sont mis de l’avant comme parole d’évangile simplement parce qu’ils servent à justifier des orientations politiques et économiques qui répondent aux intérêts des élites économiques et financières mondiales. Plusieurs économistes d’un autre courant avaient prévenu les politiciens des effets néfastes de l’austérité, comme le rappelle Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie :

« La crise de l’Europe n’est pas un accident, mais ses causes ne sont ni des dettes à long terme trop lourdes, ni des déficits exagérés, ni l’État-providence. Ses causes sont l’excès d’austérité – les réductions de dépenses publiques qui, comme c’était prévisible, ont abouti à la récession de 2012. »

Pourtant, les politiciens ne les ont pas écoutés… ils étaient trop pressés de justifier leur propre idéologie.

Des effets désastreux sur les travailleuses, les travailleurs et leurs familles

Évidemment, derrière ces erreurs de prévision, il y a des hommes, des femmes, des familles et des communautés dont les vies ont été bouleversées par la réponse inadéquate des pouvoirs politiques à la crise. Plusieurs populations, notamment les Grecs, ont été forcées d’avaler un remède dont les économistes et les spécialistes sous-estimaient les effets. Dans certains pays européens, on se retrouve aujourd’hui avec des taux de chômage tout simplement inimaginables (et insoutenables) : 26,6 % en Espagne (56,5 % chez les jeunes !), 26 % en Grèce (57,6 % chez les jeunes !). Globalement, en Europe, 24 % des jeunes sont au chômage. On a le tournis rien qu’à y penser…

Il faut dire que l’austérité à la sauce européenne a été beaucoup plus épicée que celle que nous connaissons ici. En Espagne, par exemple, on a réduit de 15 % les budgets liés aux programmes publics, mais les dépenses liées au chômage augmentent toujours, gonflant ainsi le déficit. Les fonctionnaires ont vu leur salaire diminuer de 12 % depuis le début de la crise. Ces mesures draconiennes s’ajoutent à l’ensemble des attaques aux droits des travailleuses et des travailleurs, et aux protections sociales.

Derrière des portes closes

L’éditorialiste du journal Le Devoir, Serge Trufault, mentionnait aussi à juste titre l’aspect antidémocratique de l’imposition de ces mesures d’austérité. En faisant référence aux plans de réduction des dépenses publiques imposés aux populations européennes, il écrit :

Tous ces plans ont été conçus par des non-élus. Ils ont été peu négociés et beaucoup imposés par des non-élus. Ils sont encore et toujours défendus par des non-élus. Par des non-élus qui jouissent d’un privilège exorbitant : ils n’ont pas à répondre de leurs actes.

Revoir la fiscalité, une réflexion qui s’impose

Les plus récentes recherches en économie montrent d’abord qu’il vaut mieux attendre un affermissement de l’économie pour réduire les déficits publics. De plus, les recherches démontrent que si l’on veut absolument réduire les déficits en période de faiblesse économique, les hausses d’impôt constituent un moyen bien moins néfaste pour l’économie que les réductions de dépenses. Ces faits confortent évidemment les positions que nous avons toujours tenues à la CSQ et en Alliance sociale, soit de reporter l’atteinte de l’équilibre budgétaire et d’aller chercher de nouveaux revenus plutôt que de faire des compressions budgétaires dans les services publics.

Avec notre économie qui tourne au ralenti, le ministre des finances aurait intérêt à en tirer quelques leçons pour le Québec.

Louise Chabot

Présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) (depuis 2012)

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