Tiré de Médiapart.
La crise immobilière chinoise s’approfondit. Ce 9 décembre, Evergrande, le plus important promoteur immobilier chinois qui est depuis des mois de facto en banqueroute, a été placé par l’agence de notation Fitch dans la catégorie « défaut restreint ». C’est la première fois que la faillite est officiellement déclarée par une agence dans le cas du groupe de Shenzhen.
En octobre, Evergrande avait finalement payé les intérêts d’une de ses dettes d’extrême justesse. Après avoir manqué ce paiement en septembre, il avait finalement honoré son échéance à la toute fin de la période de grâce de trente jours prévue par les contrats obligataires. Mais lundi, le groupe a, à nouveau, manqué un paiement pour des intérêts d’un montant global de 82,5 millions de dollars. Fitch n’ayant pas obtenu de réponse à sa demande de confirmation de paiement, l’agence a décidé de dégrader Evergrande. Les autres agences attendront sans doute la fin du délai de grâce, là encore.
Par ailleurs, vendredi 3 décembre, Evergrande avait prévenu qu’il ne pouvait pas « garantir ses échéances futures » dans la mesure où il « entrait dans une phase de restructuration ». C’était en réalité admettre la faillite. Le géant de l’immobilier chinois, dont l’ensemble des dettes identifiées s’élèverait à 300 milliards de dollars, est dans l’impossibilité de trouver moins de 100 millions de dollars. Le système de trésorerie qui permettait à Evergrande de fonctionner jusqu’ici : vendre des projets payables d’avance pour assurer le financement de la dette et des paiements en cours n’est plus possible. Plus personne ne veut se lancer dans un projet Evergrande alors que huit cents chantiers, dans toute la Chine, sont plus ou moins à l’arrêt.
La seule solution était donc de liquider l’entreprise en vendant des actifs. Mais ces ventes se passent mal. Selon le Financial Times, le fondateur d’Evergrande, Hui Ka Yan, bloquerait la vente des actifs les plus rentables pour espérer les revendre au meilleur prix. Une stratégie perdue d’avance, car les acheteurs, eux, n’ont qu’à attendre qu’Evergrande soit en faillite pour faire des emplettes à bon marché. C’est ce qui est sur le point de se produire.
Evergrande n’est, par ailleurs, qu’un maillon de la chaîne. Ses difficultés ont plongé d’autres promoteurs dans les mêmes déboires. Les banques ont commencé à réduire les crédits, les clients se sont faits plus rares. Ce 9 décembre, Fitch a d’ailleurs aussi annoncé la dégradation en « défaut restreint » de Kaisa, qui n’a pas pu honorer le remboursement du capital d’une obligation de 400 millions de dollars. Le groupe a, en tout, emprunté 12 milliards de dollars sur les marchés internationaux.
- L’enjeu c’est bien plutôt l’impact sur la croissance et l’économie chinoises et, de là, sur le reste de la demande mondiale, mais aussi sur la stabilité politique à Pékin.
C’est donc l’ensemble des développeurs immobiliers chinois qui est désormais dans la tourmente. Et, avec eux, le marché immobilier et tout un secteur qui pèse jusqu’à un quart au moins du PIB chinois. Les coûts directs de cette crise pour le secteur international mondial seraient sans doute supportables (on estime à 50 milliards de dollars l’exposition des banques étrangères au secteur), sauf si cela déclenche une crise de confiance généralisée qui provoque un contrecoup ailleurs dans le monde. Mais l’enjeu, c’est bien plutôt l’impact sur la croissance et l’économie chinoises et, de là, sur le reste de la demande mondiale, mais aussi sur la stabilité politique à Pékin.
La manœuvre des autorités chinoises n’est pas aisée et cela se traduit par des messages parfois contradictoires. Cette crise a été provoquée par le resserrement de la régulation voulue par le gouvernement pour contenir la bulle immobilière. Mais l’effondrement d’une activité pesant un quart du PIB est évidemment problématique. Pékin entend donc maintenir une ligne de crête entre le sauvetage de ce qui peut l’être, le temps de construire un nouveau modèle économique, et sa décision irrévocable de siffler la fin de la partie.
Dans le cas d’Evergrande, les autorités locales sont déjà à la manœuvre, s’efforçant de maintenir les chantiers ou d’acheter les terrains à vendre. Mais leurs moyens sont d’autant plus limités que l’essentiel des revenus de ces gouvernements provenait précisément… des ventes de terrains. Immanquablement, il faut donc que l’État central intervienne, tant par des moyens monétaires que par une gestion directe. C’est ce qui est en train de se mettre en place.
Vendredi 3 décembre, la banque centrale chinoise, la Banque populaire de Chine (BPC), a lancé deux messages clairs annonçant que Pékin prenait le problème à bras-le-corps. D’abord, elle a annoncé l’injection de 188 milliards de dollars dans l’économie chinoise et l’abaissement du niveau des réserves obligatoires pour les banques. Une décision qui vise à protéger l’économie des effets de la crise immobilière et qui suit un certain nombre de mesures visant à faciliter la diffusion de crédits. En novembre, la distribution de crédits s’est accélérée, pour la première fois depuis un an. Certes, le mouvement est lent, mais il est réel. Dès la fin novembre, la BPC avait modifié son discours pour préparer le terrain à une politique plus accommodante.
- Lundi 6 décembre, les représentants du gouvernement de Canton ont pris la majorité des postes au conseil d’administration du groupe.
Parallèlement, la BPC a lancé une charge sévère contre les erreurs de la direction d’Evergrande, préparant le terrain à une restructuration du groupe pilotée depuis Pékin. Et lundi 6 décembre, les représentants du gouvernement de Canton ont pris la majorité des postes au conseil d’administration du groupe. Il s’agit évidemment d’en finir avec la tactique perdante de Hui Ka Yan et de vendre des actifs massivement. Un mouvement qui avait déjà été réalisé dans d’autres entreprises en difficulté et qui annonce un démantèlement du promoteur maîtrisé par l’État. Dans le cas du groupe de logistique HNA, lui aussi « nationalisé » dans la faillite, le processus avait duré longtemps et avait été très opaque, permettant de faire disparaître l’affaire des radars des marchés. Mais ce sera plus délicat avec Evergrande, car le groupe est immense et son impact macro-économique considérable.
Il faudra d’abord gérer la dette en dollars émise sur les marchés. La BPC a annoncé vendredi 3 décembre que les règles en vigueur sur les marchés seraient respectées. Autrement dit, si Evergrande fait effectivement faillite, les créanciers seront en droit de réclamer l’intégralité de leurs dettes. Mais ils ne seront satisfaits qu’au prorata des possibilités. Or ce choix sera nécessairement politique. Pékin, qui aura la main sur la restructuration, devra choisir qui paie les pots cassés et où vont les sommes levées par le démantèlement d’Evergrande et des autres développeurs. Compte tenu des tensions géopolitiques, les investisseurs étrangers pourraient bien être les dindons de la farce. Sauf que Pékin cherche depuis des mois à attirer les investisseurs étrangers pour soutenir la modernisation de son économie.
Car la question de l’avenir même d’Evergrande n’est pas forcément centrale. La bulle immobilière chinoise a éclaté, c’est un fait. Et le gouvernement chinois doit faire face à un défi énorme. Sans croissance, la promesse de Xi Jinping de « prospérité commune » restera lettre morte et les tensions sociales et politiques vont s’accroître. Mais comment avoir de la croissance sans immobilier ? Pékin a lancé plusieurs pistes, de la « croissance verte » avec son objectif de neutralité carbone en 2060 au développement technologique.
Mais tout cela prend du temps, et il n’est pas certain que ces relais de croissance ne deviennent réalité et se montrent même suffisants pour faire face aux besoins de la société chinoise. L’énorme avantage de l’immobilier, c’est son intensité de main-d’œuvre qui permet d’assurer un bon niveau d’emplois. Il en va autrement de la croissance verte ou technologique…
Le mouvement de la BPC montre que la Chine espère passer le cap par une relance mesurée, capable de maintenir la consommation pour contrecarrer les effets de la crise immobilière. Mais la Chine croule déjà sous la dette et le crédit. Le tournant consumériste voulu par certains ne pourra fonctionner que si l’emploi tient et qu’un relais de croissance irrigue ensuite l’économie chinoise. Rien n’est moins sûr. Ce qui se dessine de plus en plus, c’est un régime de croissance faible très fortement administrée sur le modèle de ce que connaît le Japon depuis 1990. Mais le pouvoir du PCC et la stabilité chinoise résisteront-ils à un tel régime alors même qu’une grande partie de la population reste assez pauvre et que les inégalités se sont creusées ? Bien plus que les mouvements chaotiques d’Evergrande, c’est bien cette question qui est aujourd’hui au centre du problème chinois.
Romaric Godin
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