Édition du 17 décembre 2024

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Economie mondiale

Le désordre des inégalités, un changement traverse le monde

(…) Le fondamentalisme du marché a perverti tous les aspects de la civilisation contemporaine jusque dans les coins les plus reculés du monde et crée ce que le Pape François appelle : « La mondialisation de l’indifférence ». Il a installé un monde où nous nous sommes habituéEs à la souffrance des autres. Cela ne nous dérange pas, ne nous intéresse pas. Ce n’est pas de nos affaires. (c.f. The Gardian). Ce modèle extrême du capitalisme met le profit au centre de tout, pas les gens. Le bien-être du genre humain est devenu secondaire devant l’objectif du rendement à tout prix poursuivi par les gouvernements et les compagnies avec qui ils couchent. Les conséquences à payer en termes humanitaires ou environnementaux ne leur importent pas.

Graham Peebles [1], counterpunch.org, 16 février 2014,

Traduction, Alexandra Cyr

Une des importantes caractéristiques de la mondialisation est celle de la « mondialisation du monde des affaires, des entreprises » comme le dit P. Sainath [2]ii qui ajoute qu’aujourd’hui, le monde est « caractérisé par la fin des limites du pouvoir des entreprises sur tous les continents ». Preuve en est, que plus de la moitié « des 100 entités les plus riches dans le monde sont des entreprises ». (c.f. Global Issues). Ce sont des organisations qui détiennent d’énormes pouvoirs politiques, qui sont propriétaires des groupes de presse, des services essentiels comme l’eau, l’électricité, le gaz, le téléphone, les services Internet et qui contrôlent les systèmes de transport.

Elles sont les financiers les plus importantes des campagnes électorales, financent des projets de développement et des groupes de discussion (Think thanks), elles chassent les indigènes de leurs terres ancestrales pour opérer des mines et poussent à la marchandisation de tout, chez tous et toutes et partout. Elles s’occupent des politicienNEs, influencent les politiques à mettre en place et déterminent les élections.

Inégalités et désordres sociaux.

Une flopée de conséquences destructives découlent de ce fondamentalisme du marché. Les inégalités et la « mondialisation de l’indifférence » sont parmi les plus visibles d’entre les effets empoisonnés et interreliés qui découlent de ce modèle qui garni généreusement les comptes de banque d’une petite minorité, rate tout le reste et laisse la planète polluée. Ceux et celles qui en font partie sont toujours en compétition, encouragent la cupidité et l’égoïsme, alimentent la division et les conflits.

Jamais, dans l’histoire, les revenus et la richesse n’ont été aussi inégalement répartis. Malgré une rhétorique entretenue dans certains milieux commerciaux dans le monde, jamais les pauvres n’ont été aussi pauvres. Noam Chomsky rapporte qu’une étude faite par Action for the Children conclut que : « Le fossé entre les riches et les pauvres en Angleterre est aussi grand aujourd’hui qu’il était au temps de la Reine Victoria, parfois plus et même sous certains aspects pire encore. Un million et demi de familles ne peuvent fournir à leurs enfants une alimentation semblable à celle qui était donnée dans le Bethnal Green Workhouse [3]iii à Londres en 1876 ».

Le gouffre est plus large qu’il n’a jamais été et la vitesse avec laquelle la disparité avance s’amplifie toujours. À l’ère du fondamentalisme du marché, « les inégalités ont augmenté en quinze ans comme elles ne l’avaient pas fait au cours des cinquante années précédentes [4]iv ». Des centaines de millions de personnes sont ainsi condamnées à vivre dans un état de pauvreté abject, d’exploitation et de souffrances qui, en plus creusent la division sociale et le rejet. C’est un système qui joue contre les liens essentiels entre humains, génère des tensions immenses et le ressentiment. Une récente enquête de la Pew Fondation sur la plus grande source de tensions et de conflit aux États-Unis, dont fait état Noam Chomsky, révèle que pour la première fois, les répondantEs la lient en tout premier lieu aux inégalités de revenus ». Il ajoute que ce déplacement dans l’opinion publique est « attribuable au mouvement Occupy (Wall Street) qui a rendu évident ce facteur critique de notre vie moderne ».

Pour ce qui est des inégalités, les États-Unis devancent tous les pays riches. Ils sont suivis par 53 autres dont Israël et son allié principal la Grande-Bretagne. Dans l’autre groupe de pays avancés, où l’égalité est plus présente, où la distribution des revenus et de la richesse est plus juste, on trouve le Japon, la Finlande, la Norvège, la Suède et le Danemark. Dans ces pays où les écarts de revenus et de richesse sont considérablement moins profonds, Richard Wilkinson, professeur émérite de santé publique à l’université de Nottingham, a trouvé moins de crimes et beaucoup moins de meurtres. Les enfants ont une meilleure vie, l’espérance de vie est plus importante, il y a moins de maladies mentales, d’alcoolismes et de dépendances des drogues. Le taux d’alphabétisation y est plus élevé, l’obésité moins prévalente, il y a moins de grossesses à l’adolescence, moins de gens incarcérés (notons que les États-Unis battent des records à ce chapitre) et la vie sociale y est plus forte et plus vibrante. L’équipe du Dr Wilkinson a découvert en étudiant les détails de son enquête, (peut-être n’est-ce pas surprenant), que la confiance est reliée à l’égalité. Aux États-Unis, un maigre 15% de personnes disent avoir confiance aux autres alors que dans les pays où règne plus d’égalité, en moyenne 60% de la population déclare faire confiance à leurs concitoyenNEs. Le manque de confiance nourrit les divisions, renforce les suspicions envers ceux et celles qui sont dans l’autre segment économique d’où une aggravation des tensions sociales et de la criminalité. Le développement des quartiers fermés, sous la protection de patrouilles de sécurité privées, de gardes armés et de systèmes d’alarme, sont le résultat de ce genre de division et de manque de confiance. Elles se développent pourtant sans entraves et on fait comme si de rien n’était.

Les inégalités sont une cause déterminante de la pauvreté. Elles créent une majorité qui n’a que peu ou pas d’influence sur les politiques sociales ou sur les décisions politiques qui sont conçues pour maintenir et renforcer les divisions sociales existantes et du coup renforcer aussi la concentration du pouvoir. Cette masse d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont été privés de leurs pouvoirs et qui sont ignorés souffrent de ce que l’éducateur brésilien, Paolo Freire appelle la déshumanisation. Il y a des dizaines de millions d’enfants qui vivent sans installation sanitaire aucune, en Inde. Des familles de 5 ou 6 personnes partagent le même lit en Éthiopie ; elles n’ont aucun accès à des services médicaux décents, n’ont pas d’eau courante ni électricité. Les enfants doivent marcher 20 kilomètres par jour pour fréquenter une école sans équipement, même pas les élémentaires chaises et pupitres. Aux États-Unis, plus de 50 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté sans assurance maladie là où on trouve les 3 compagnies pharmaceutiques dominantes du monde qui ont déclaré 27 millions de profits en 2010. En Inde, dans l’Assam, les cueilleur de thé gagnent 1$ par jour, vendent leurs filles pour 50$ à un « agent » qui leur promet un travail en ville alors qu’il les vendra à son tour mais à l’industrie du sexe où elles vivront des années de misère et d’abus.

Avec la pauvreté vient la vulnérabilité et l’exploitation : la déshumanisation des oppriméEs aux mains des oppresseurs.

Pauvreté et santé

Le manque de soins de santé adéquats, même si ce droit est enchâssé dans la Déclaration universelle des droits humains comme droit fondamental, est une des retombées les plus frappantes de l’injustice sociale présente dans le monde entier. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que la pauvreté est le tueur principal dans le monde et qu’elle cause de multiples problèmes de santé et souffrances. C’est la principale raison pour laquelle « les bébés ne sont pas vaccinés, que l’eau potable et les installations sanitaires ne sont pas fournies que les médicaments et autres soins ne sont pas disponibles et que les mères meurent en couches. Elle est aussi sous jacente au raccourcissement de l’espérance de vie, aux handicaps et à la famine. Elle est le principal facteur dans les maladies mentales, la cause du stress, des suicides, de la désintégration des familles et de l’usage des drogues ».

Une vaste majorité de la population mondiale vit et meurt sous l’ombre oppressive de la pauvreté et des inégalités. Ce sont des individus opprimés, abusés, exploités à des degrés divers, selon les pays dès la naissance, par le 1% qui a accru son niveau de richesse jusqu’à un niveau obscène et du même coup son niveau de pouvoir et d’influence politique. Cette petite oligarchie masculine, (ce ne sont presque que des hommes), est atteinte de ce qui est peut-être le plus grand vice lié aux privilèges, l’autosatisfaction. Ce syndrome cynique venant d’un égoïsme malfaisant permet que 12,2 millions d’enfants de moins de 5 ans mourent chaque année dans les pays développés. Toujours selon L’OMS "la plupart des causes qui auraient pu être évitées en dépensant quelques sous de plus par enfant".

Ces enfants innocents meurent surtout à cause de l’indifférence mondiale ». Comme le disait un grand professeur : « partout dans le monde il y a des hommes, des femmes et de petits enfants qui n’ont pas l’essentiel pour rester vivants. Ils sont légion dans les villes des pays les plus pauvres. Ces crimes me font honte. En toute solidarité, comment pouvons-nous voir ces gens mourir sous nos yeux et continuer de nous considérer humainEs » ?
La mondialisation de l’indifférence tue des enfants ! (…) Pourtant nous vivons dans un monde d’abondance, plein de ressources où pas un seul enfant ne devrait souffrir de la faim ou être pauvre. Tout ce qu’il faut faire c’est de distribuer équitablement nos ressources. C’est le simple bon sens, si simple que ceux et celles qui détestent la simplicité l’ignorent.
La croissance alimente les inégalités.

C’est en Amérique latine que l’on trouve le plus haut niveau d’inégalités au monde, tous pays confondus. Sur le site de Third World Traveler, M. Juan de Dias Parra, responsable de l’Association d’Amérique latine des droits humains écrit : « Il y a là 7 millions de plus de gens affamés, 30 millions de plus d’analphabètes, 10 millions de plus de familles sans abris, 40 millions de plus de chômeurs-euses qu’il y a 20 ans. Ce sont 240 millions de personnes qui y vivent sans que leurs besoins de base ne soient satisfaits alors que la région est plus riche et plus stable que jamais selon les évaluations habituelles ». Le modèle économique adopté en Amérique latine, comme partout ailleurs dans les pays développés, est celui vigoureusement défendu par les financiers et ceux et celles qui profitent du développement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. C’est un modèle qui concentre la croissance économique dans les mains d’une toute petite portion de la population, déjà riche et qui fixe les conditions d’accès aux marchés des entreprises internationales qui recherchent les consommateurs-trices les plus huppéEs qui se déplacent partout dans le monde. Ceci est avéré en Afrique sub-saharienne et en Asie du sud-est. Dans ces régions, les entreprises d’État conjointement avec les multi nationales du secteur politique subventionnées par les gouvernements, sont les principales bénéficiaires du développement économique et de ce qu’on appelle la libéralisation des marchés dans les économies nationales. Habituellement ce processus intègre des faveurs aux dirigeantEs de ces entreprises et l’arrêt du soutient de l’État aux pauvres.

Ce modèle de développement fait parti de l’idéologie fondamentaliste du rôle dominant des marchés qui crée des divisions comme on n’en a encore jamais vu. Selon Noam Chomsky : « Si vous comparez le pourcentage de la richesse mondiale détenue par les 20% les plus riches et des 20% les plus pauvres, l’écart s’est dramatiquement accru au cours des trente dernières années. Si vous comparez les pays riches et les pays pauvres il a doublé. La comparaison entre les riches et les pauvres à l’intérieur de chaque pays, montre qu’il s’est agrandi encore plus et est bien plus aigüe. C’est le type de développement induit par cette croissance particulière qui produit cet effet ». Il dirige la part du lion de la croissance vers ceux et celles qui jouissent déjà d’une vie confortable en soutenant que l’« effet percolateur » [5] leur permet de partager automatiquement cette richesse puisqu’elle inondera les pauvres de leurs surplus et mettra tout le monde au même niveau. Ce système a complètement échoué quand on voit 3,5 milliards d’être humains qui vivent avec moins de 2.50$ par jour.

L’ Inde est souvent présentée comme l’enfant à succès de ce type de développement. Après 20 ans de croissance économique, d’ouverture des marchés, de dérégulation et d’ouverture de tous les secteurs de la production aux capitaux étrangers, les Nations Unies la situent au 136ième rang sur 187 sur l’échelle du développement humain. Si on y ajoutait les facteurs d’inégalités dont ceux de genre, ce pays serait au dernier échelon. Avec ses 500 millions de pauvres qui survivent avec 0.50¢ par jour, l’Inde compte autant de pauvres que toute la région sub-saharienne. 48% des enfants y souffrent de malnutrition soit le taux le plus élevé au monde. Malgré deux décennies de croissance, ceci ne représente qu’une baisse de 1%. ÉtoufféEs par les dettes, négligéEs par le gouvernement, les petitEs fermiers-ères s’y suicident à un taux inimaginable, un conflit armé fait toujours rage au nord-est du pays et dans sa forêt centrale. Et je ne parle pas ici, de la violente occupation de la région du Cachemire (revendiqué par le Pakistan).

Après ces 20 années de développement, le pays se retrouve divisé de multiples façons, socialement, racialement, religieusement, par genres et bien sûr économiquement. Les 100 IndienNEs les plus riches étaient réputéEs détenir 25% du produit nationale brut de 1,84 trillions de dollars américains en 2012. Le plus riche de tous, Mukesh Ambani, président de Reliance Industries, gagne 18 millions de dollars américains par année pendant que les 2\3 de la population, environ 900 millions de personnes vivent avec moins de 2$ par jour selon ce que rapporte la Banque mondiale. Grand Dieu ! Est-ce juste ? Avec un tel abysse d’inégalités et d’injustice sociale jamais l’harmonie, la confiance et la paix ne règneront dans ce pays ni dans le monde.

Une certaine amélioration

Si le capitalisme, même à la sauce libérale, comportait un peu de justice sociale et de respect des droits humains fondamentaux en logement, alimentation, soins de santé et d’éducation, et maintenait l’écart entre riches et pauvres, disons à 60-40% ce serait un pas en avant. Bien sûr, il faut une plus importante réforme pour arriver à un modèle plus humain qui place les besoins et le bien-être des populations en son cœur. Mais ce type de capitalisme extrême, basé sur les marchés non contraints, pousse des millions d’enfants à mourir de faim aux portes des entrepôts pleins de nourriture. Il condamne des millions de femmes à la servitude et l’esclavage et à des millions d’hommes à vivre des vies indignes, sans espoir, dénuées de toute créativité. Il a même infesté tous les aspects de la vie incluant l’éducation et les soins médicaux.

Il est défendu partout dans le monde comme le seul modèle économique pratique mais il est toujours accompagné des terribles sœurs compétition et séparation qui empoisonnent nos vies.

Pourtant un nouveau niveau de conscience se développe dans le monde. Une synthèse se fait et la tolérance et la coopération sont en vue ; les populations qui composent le 99% en ont assez. Un cri se fait entendre pour passer d’un système qui divise et concentre la richesse dans les mains d’une petite fraction de profiteurs-euses qui exploitent des milliards de gens vers un autre qui sera basé sur l’équité, la justice sociale et la liberté.


[1’Graham Peebles dirige Create Trust.

[2Journaliste indien expert des questions de pauvreté, climat et agriculture. Il traite principalement des questions agricoles en Inde. Vous trouverez sur le site Share the World’s Ressources un enregistrement de sa conférence sur les inégalités dans le monde en 2005. N.d.t.

[3Maisons créées par le gouvernement britannique pour recueillir les pauvres et les obliger à travailler à n’importe quelles conditions ou presque.

N.d.t.d

[4C,f, P. Sainath

[5« Trickle down ».

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