Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Le baiser de la mort du FMI au Mali félicité par le Ministre de l’Économie et des Finances

Tiré du site du CADTM

Le Mali vient de recevoir, encore une fois, de fraîches louanges du Fonds monétaire international (FMI). A chaque fois que le FMI félicite un pays pour ses « solides résultats », son « redressement économique », sa « politique budgétaire », ses « bonnes performances », la « bonne tenue de ses agrégats macroéconomiques », c’est qu’il y a véritablement à craindre pour le peuple et le pouvoir concernés. Au Mali, Amadou Toumani Touré avait été loué par le FMI avant d’être balayé en 2012 ; Ibrahim Boubacar Keïta connait le même scénario malgré les critiques du même FMI à son égard concernant l’achat de l’avion présidentiel. En réalité, le satisfecit du FMI est corollaire à l’insatisfaction des masses populaires.

Ce qui intéresse le FMI, c’est le paiement de la dette du pays à ses créanciers internationaux. Un « bon élève » est celui qui s’acquitte de cette obligation
, quel qu’en soit le coût social. Les démantèlements de nos systèmes éducatif, de santé, de transport, de sport et de culture ; les thérapies de choc subies par l’Agriculture, la Pêche et l’Administration ; les privatisations prédatrices des années 80 sont les résultantes directes des Plans d’ajustement structurel (PAS) du FMI mis en œuvre par les gouvernements de Moussa Traoré et d’Alpha Oumar Konaré dans les années 1981- 1996. Les résultats sont toujours les mêmes, partout au monde, la Grèce étant le dernier exemple : augmentation de la pauvreté des populations et perte de pouvoir au sommet, alors que le Fonds loue vos efforts qui ne seront jamais suffisants, du reste. Après l’ajustement réel, on a aussi connu l’ajustement monétaire pour justifier la dévaluation du franc CFA en 1994.

Aucun pays « bon élève » du FMI n’a jamais émergé et n’émergera jamais car l’orientation du Fonds n’est point le développement mais juste le contrôle de vos finances afin que vous soyez en règle avec les grands banquiers et les pays créanciers. Le Mali consacre tous les ans 50 milliards pour le service d’une dette illégitime, illégale et odieuse.

Quand le FMI vous loue, c’est que votre peuple souffre et est mécontent de vous. Un véritable baiser de la mort. A titre d’illustration, la lettre d’intention du gouvernement du 2 décembre 2013, dans laquelle sont décrites les politiques que le gouvernement entend mettre en œuvre en contrepartie de sa demande de concours financier au FMI. D’importantes mesures d’austérité sont imposées aux populations maliennes telles que l’augmentation des tarifs d’électricité et du gaz.

Pour l’électricité, les tarifs ont gonflé :
 Tarif heure pointe : 110 FCFA/kWh contre 98 FCFA ancien ;
 Tarif heure pleine : 75 FCFA/kWh contre 71 FCFA ancien ;
 Tarif heure creuse : 55 FCFA/kWh contre 48 FCFA ancien.

Le tarif social sera strictement réservé aux abonnés ne consommant pas plus de 100 kWh/mois, c’est-à-dire les abonnés ciblés pour bénéficier des subventions tarifaires. En cas de dépassement de ce seuil, les consommations mensuelles seront intégralement facturées au tarif normal comme il se doit.

Quant au gaz, il est passé de 2000 à 3500 voire même 4000 francs quand bien même l’objectif de sa subvention par le gouvernement était de réduire les pressions sur l’environnement.

Lors d’un point de presse, le Ministre de l’Économie a affirmé que la dette extérieure du Mali est maîtrisée. Selon lui, l’encours de la dette extérieure du Mali s’élève à 2 404 milliards de F CFA soit 32% du PIB

(cf. Essor N° 18203 du 22 juin 2016). Et au cours de son interview réalisée le 17 juillet 2016 à l’ORTM, il nous parle de 2 448 milliards dont 1 700 milliards de dette extérieure viables jusqu’à l’an 2033. D’un autre côté, il parle aussi d’un objectif de mobilisation de fonds de 1 370 milliards en fin de 2016, ce qui va entrainer une crise de la dette.

Au Mali, l’encours de la dette était au 30 juin 2014 de 1 813 milliards 554 millions de francs CFA. Quant au service de la dette, il atteignait 149 milliards 429 millions de francs CFA. Donc, au vu de ce chiffre de 2 404 milliards de francs CFA, la dette du Mali a été presque multipliée par deux, elle augmente en dents de scie contrairement aux dires du Ministre.

A noter aussi que la Direction Générale de la Dette Publique est grandement en retard dans la production du bulletin semestriel d’information sur la dette. Rien n’a été publié depuis le 1er semestre 2014. On attend toujours les bulletins du dernier semestre 2014, les 2 semestres 2015 et le 1er semestre 2016.

Nous portons à la connaissance du Ministre de l’Économie et des Finances que le pourcentage de la dette par rapport au PIB n’est pas un pas un critère significatif permettant de dire que la dette est maîtrisée. Ce qui est significatif, c’est l’évolution de la dette.

Généralement le taux d’endettement fourni par nos gouvernements n’inclut que la dette du trésor (dette de l’État), alors qu’existe également la dette garantie (ou dette des établissements publics garantie par l’État). Il faudra alors faire la somme totale de la dette intérieure et extérieure publique (dette de trésor plus dette garantie) et voir combien elle représente par rapport au PIB pour pouvoir faire une telle affirmation !

Mais au-delà du taux d’endettement, il faut voir ce que représente le service de la dette publique par rapport aux dépenses réservées aux services sociaux (éducation, santé...), ce qu’il représente par rapport aux recettes fiscales annuelles, aux dépenses d’investissement et par rapport au budget général de l’État. Puis ramener également le déficit budgétaire en pourcentage du PIB, parce que qui dit déficit budgétaire dit endettement.

Il faudra voir également le déficit commercial et les réserves de change de l’État (réserves en devises nécessaires pour payer la dette extérieure et la facture d’importation) et estimer si ces réserves permettent de couvrir les dépenses d’importation. Ce sont des indicateurs importants pour connaitre la santé de chaque économie.

Quant à la mobilisation des recettes fiscales, nous dénonçons les fuites de capitaux (fraudes et évasion fiscales) des sociétés minières et les stratégies de rapatriement des bénéfices des filiales des sociétés multinationales au Mali vers leurs maisons mères au Nord ; pratiques anti croissance et anti démocratique que le Ministre de l’Économie et des Finances n’a malheureusement pas eu le courage politique de démasquer ni de dénoncer.

Ce comportement n’a cependant rien d’étonnant puisqu’il soutient la politique du FMI qui consiste à ce niveau, à augmenter l’impôt prélevé auprès des citoyennes et citoyens et de le baisser chez les sociétés surtout multinationales au service desquelles est le FMI.

Comment comprendre que le Mali soit classé pays pauvre et endetté alors qu’il affiche une production moyenne de 70 tonnes d’or par an ? La valeur totale des exportations d’or a atteint, en 2014, 863 milliards CFA. Soit, plus de 70 % des recettes d’exportation totale du Mali. Mais elle n’a contribué au budget qu’à hauteur de 254,3 milliards CFA. Soit 25 % des recettes budgétaires et 8 % du PIB . On assiste à des exonérations (405 milliards) et subventions dont on ne voit pas les retombées à la base. Pire elles n’ont aucun impact sur le prix final des produits.

Comme ce fut le cas de la dette intérieure publique, nous encourageons le gouvernement du Mali à initier un audit citoyen intégral de sa dette extérieure et intérieure publiques. Le Comité restreint de validation des dettes intérieures qui a été mis en place est salutaire. Il a validé 59 milliards sur 104 milliards soit une dette intérieure illégitime de 45 milliards. Les raisons de ces rejets par le Comité restreint sont multiples : tentative de double paiement, absence de services effectivement réalisés, absence de visa du contrôle financier, dépenses inéligibles des projets, mauvaise qualité des pièces justificatives, faux et usages de faux.

A la place de réaliser une interview avec des journalistes qui méconnaissent les politiques d’endettement et macroéconomiques, nous suggérons prochainement au Ministre de l’Economie et des Finances d’organiser un débat démocratique sur la dette.

Pour en finir avec la mainmise des créanciers sur le destin des populations des États endettés, qui utilisent la dette comme un outil de chantage pour dicter des politiques antisociales et affaiblir la démocratie, la Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement (CAD-Mali) recommande :
1. la réalisation d’un audit intégral de la dette avec une participation citoyenne active ;
2. la suspension du paiement de celle-ci ;
3. le refus d’en payer la part illégitime ou illégale ;
4. l’imposition d’une réduction du reliquat. La réduction du reliquat [c’est-à-dire de la part restante, après annulation de la part illégitime et/ou illégale] peut s’apparenter à une restructuration, mais en aucun cas elle ne pourra isolément constituer une réponse suffisante.

Sans suspension de paiement préalable et sans audit rendu public, les créanciers se trouvent en situation de domination. Or, il ne faut pas sous-estimer leur capacité de manipulation, qui amènerait le gouvernement à faire des compromis inacceptables. C’est la suspension du paiement de la dette en tant qu’acte souverain unilatéral qui crée le rapport de force avec les créanciers.

Bamako, le 10 août 2016

Article rédigé par Broulaye Bagayoko de la Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement (CAD-Mali), Secrétaire Permanent du CADTM Afrique (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes) Tél : 65 88 11 53/74 90 73 95 e-mail : secretariatcadtmafrique@gmail.com

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