I. Ouverture
Le 21 juillet 2014, lors d’une conférence de presse tenue en grande pompe à Gaspé, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, M. David Heurtel, annonçait la promulgation du décret édictant le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection. Ce décret sera d’ailleurs publié, comme la loi l’impose, dans la Gazette officielle du Québec, le 30 juillet 2014, avec l’entrée en vigueur de la majorité de ses dispositions, le 14 août 2014.
Ce règlement est d’ailleurs la troisième mouture d’un texte qui a passablement évolué depuis sa première publication, le 28 décembre 20112. Le gouvernement libéral de l’époque n’avait alors jamais donné suite à son projet, eu égard aux nombreuses critiques dont il avait fait l’objet et à la tenue prochaine de l’élection de 2012.
Le gouvernement du Parti Québécois, élu en septembre 2012, a donc repris, en le modifiant, le projet du gouvernement libéral et un nouveau texte fut publié dans la Gazette officielle du Québec, le 29 mai 20133. Une fois encore, ce projet controversé fit l’objet de nombreuses critiques, particulièrement en regard de son chapitre qui autorisait la fracturation sur l’ensemble du territoire du Québec.
Malheureusement, l’actuel gouvernement ne semble pas avoir pris en compte les nombreuses critiques adressées à ce projet. Bien qu’en apparence certaines améliorations semblent avoir été apportées (prolongation des distances séparatrices entre les sources d’eau potable et les forages gaziers ou pétroliers), dans les faits, ce règlement n’offre aucune protection sérieuse et efficace pour les sources d’eau potable. Pire, sur certains points, il constitue même un recul important par rapport au précédent projet.
En mars 2013 était formé un petit collectif scientifique ad hoc afin de rencontrer les experts du ministère pour discuter des standards devant être imposés afin d’assurer une réelle protection aux sources d’eau potable. Ce collectif était constitué de Marc Brullemans, biophysicien, de Marc Durand, ingénieur-géologue, Richard E. Langelier, juriste et sociologue, Céline Marier, biologiste et Chantal Savaria, ingénieure et hydrogéologue, spécialiste des contaminations par hydrocarbure. Le 18 mars 2013, cette rencontre s’est tenue mais sans apporter de résultats concrets. À la publication du deuxième projet du règlement, en mai 2013, ce collectif a donc procédé à une analyse critique de ce projet où étaient mises en lumière les principales lacunes des normes réglementaires proposées.
Avec la mise en vigueur du nouveau règlement, il convenait donc de reprendre cette analyse en regard des nouvelles normes imposées. Les résultats de cet examen se trouvent exposés dans le présent texte. Rappelons que notre collectif oeuvre bénévolement et que ses membres agissent sans parti pris politique, strictement pro bono, et dans le seul but de défendre l’intérêt public.
En terminant cette brève introduction nous voulons insister sur le caractère pour le moins restrictif de la conception de la nécessaire transparence des institutions démocratiques qui conduit à cette promulgation en pleine période de vacances de la construction, alors qu’un grand nombre de citoyens et citoyennes sont moins disponibles ou moins disposés à participer aux débats entourant cette décision.
La promulgation du décret édictant ce règlement dans le contexte des vacances estivales, et alors que le Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) chargé d’examiner les forages gaziers dans la vallée du Saint-Laurent devait faire des recommandations sur le cadre juridique devant régir l’usage de la fracturation et qu’il n’a pas encore rendu son rapport suites aux études qui ont été réalisées et aux audiences qu’il a tenues, et alors qu’un autre décret avait déjà fixé les conditions devant être rencontrées pour effectuer les sondages stratigraphiques sur l’île d’Anticosti, nous semble une bien curieuse façon d’assurer la transparence dans la gestion des affaires publiques, promesse pourtant faite aux Québécois et Québécoises lors du discours inaugural de l’actuel gouvernement.
De fait, la tenue de cette annonce à Gaspé, alors que la compagnie Pétrolia mène campagne depuis plusieurs mois pour reprendre ses forages sur le territoire de cette municipalité, nous semble un signal clair lancé aux sociétés gazières et pétrolières à l’effet que le gouvernement allait les soutenir en imposant des normes peu contraignantes même si, ce faisant, il accepte de sacrifier l’eau potable de cette communauté. Le préjugé favorable de ce gouvernement pour l’exploitation des hydrocarbures fossiles non conventionnels y trouve une illustration saisissante.
De manière directe, et convaincante déjà, il faut lire les communiqués de Pétrolia, du Conseil du patronat du Québec et de la Fédération des Chambres de commerce du Québec pour constater la présence et la direction de ce biais.
Les standards imposés par le Règlement démontrent ce même biais en faveur des sociétés pétrolières et gazières, comme nous allons maintenant le démontrer.
II. Les standards imposés et la comparaison avec les projets antérieurs
Le nouveau règlement compte 108 articles et 5 annexes. Comme le deuxième projet, il comporte un chapitre entier consacré a la recherche de pétrole ou de gaz et à l’usage de la fracturation à cette fin (le chapitre V, articles 31-49) et un chapitre sur la protection des sources d’eau potable (chapitre VI, articles 50-75) et délimitant les diverses zones de protection desdites sources d’eau. Nous allons consacrer à ces chapitres l’essentiel de notre actuelle critique.
II.1 La portée du règlement
Rappelons d’abord la portée limitée du règlement en regard de l’eau potable, dans la mesure où ses normes ne visent que l’eau servant à la consommation humaine ou à la transformation alimentaire. Ainsi, l’eau qui sert à abreuver les animaux ou qui est utilisée pour les cultures dans les fermes québécoises n’est donc pas protégée, contrairement à ce qui était prévu dans le premier projet de règlement de 2011.
En effet, l’article premier du règlement prévoit clairement que ce règlement « vise particulièrement à assurer la protection des eaux prélevées à des fins de consommation humaine ou à des fins de transformation alimentaire. »
Si cette formulation apparaissait aussi dans le second projet, le premier présentait une formulation plus large. En effet, le premier projet prévoyait que ce règlement « vise particulièrement à assurer la protection des eaux prélevées à des fins de distribution d’eau potable. »
Cette différence de formulation est importante car le règlement actuel néglige une grande partie de la problématique de nos campagnes où l’eau potable constitue non seulement un bien essentiel à la vie, mais aussi une ressource importante pour les agriculteurs et plus particulièrement pour les éleveurs de bétail.
II.2 Les compétences des municipalités
Le règlement actuel a non seulement des incidences importantes pour les agriculteurs, mais aussi pour les municipalités. En effet, le Règlement retire aux municipalités toute compétence en regard des puisements d’eau réalisés sur leur territoire, si ces puisements sont faits dans le cadre d’une exploitation gazière ou pétrolière.
De fait, le paragraphe onzième du premier alinéa de l’article 7 du Règlement prévoit l’obligation pour une société qui puise de l’eau potable sur le territoire d’une municipalité d’obtenir « un certificat du greffier ou du secrétaire-trésorier de la municipalité locale ou de la municipalité régionale de comté concernée, selon le cas, attestant de la conformité du prélèvement avec la réglementation municipale applicable », mais le dernier paragraphe de l’article 7 prévoit nommément que « [l]e paragraphe 11 du premier alinéa ne s’applique pas à celui qui, en vertu de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1), est autorisé à effectuer des travaux d’exploration, de recherche, de mise en valeur ou d’exploitation de substances minérales ou de réservoirs souterrains, sauf s’il s’agit de travaux d’extraction de sable, de gravier ou de pierre à construire sur les terres privées où, en vertu de l’article 5 de cette loi, le droit à ces substances minérales est abandonné au propriétaire du sol. »
Rappelons ici que le pétrole et le gaz constitue des minéraux, au sens de la Loi sur les mines dont nous parle cette disposition du Règlement.
II.3 Le professionnel compétent
Une grande partie des responsabilités relatives à l’application du règlement repose sur les épaules de professionnels chargés d’émettre des opinions professionnelles à diverses étapes des forages pétroliers ou gaziers. L’article 2 du Règlement prévoit que ce professionnel doit être membre d’un ordre professionnel régi par le Code des professions ou une personne autorisée par un ordre professionnel à exercer des fonctions relevant normalement de l’ordre professionnel.
À cet égard, deux remarques peuvent être formulées. La première est d’exposer les limites en termes de protection qu’offre cette garantie. Comme des exemples récents l’ont bien montré, le professionnel inséré dans une structure industrielle ou commerciale ne dispose généralement pas de l’autorité morale nécessaire pour imposer des normes strictes. Pris entre l’arbre et l’écorce, entre les directives de l’entreprise et les normes déontologiques, formulées de façon large et sujettes à des interprétations restrictives, qui régissent la plupart du temps les ordres professionnels, le professionnel concerné peut être amené à des compromis discutables et dangereux pour la sécurité du public ou la préservation de l’environnement, d’autant, comme nous le verrons, que les normes imposées par le Règlement exigent des jugements de valeurs où les considérations scientifiques ne constituent qu’un aspect, souvent mineur, de la décision à prendre.
La seconde remarque concerne les dispositions de l’article 7 qui établit qu’un biologiste doit établir, pour le compte de la société pétrolière ou gazière, une étude montrant les impacts potentiels de l’exploitation gazière ou pétrolière envisagée sur certains milieux naturels et suggérant, le cas échéant, des « mesures d’atténuation des impacts envisagés ». Certes, les biologistes disposent généralement d’une formation adéquate pour exercer cette fonction.
Cependant, les biologistes ne disposent pas de la protection d’un ordre professionnel, protection bien relative, mais permettant tout de même au public d’exercer certains recours.
Ainsi donc, un Règlement qui ne protège pas adéquatement l’agriculture, qui enlève aux municipalités toute compétence sur les puisements d’eau et qui met dans les mains de personnes déchirées entre leurs obligations déontologiques et leurs obligations de loyauté à l’égard de l’entreprise, eu égard à la subordination juridique qu’impose leur statut de salarié, voilà déjà une situation inquiétante.
Cette inquiétude croit encore, lorsque nous examinons attentivement les normes prévues au Règlement, dont celles relatives à la transparence et à la publicité des actes des sociétés en cause.
II.4 La transparence et l’accès aux renseignements
Dans la réalité actuelle, il est assez difficile d’obtenir des autorités gouvernementales des renseignements relatifs aux travaux de forage réalisés par les sociétés pétrolières et gazières. Généralement, sont évoqués le droit à la protection des secrets industriels voire le droit à la vie privée des sociétés en cause.
Ainsi, par exemple, des rapports déposés au MRN seuls les rapports de forages sont publics, mais ce, trois ans seulement après leur dépôt. Dans le cas de tous les autres travaux annexes, comme la fracturation du puits, ces rapports dits de complétion sont seulement déposées au MRN. Le ministère ne les divulgue pas et les garde confidentiels tant que l’entreprise le désire. C’est ainsi que le public n’a toujours pas accès aux informations relatives aux 18 puits fracturés dans l’Utica entre 2006 et 2010.
Le Règlement semble mettre fin à cette pratique puisque diverses dispositions prévoient le libre-accès à ces renseignements. Ainsi, le dernier alinéa de l’article 31 du Règlement est ainsi formulé :
31. Les renseignements consignés dans un avis, une étude, un programme ou un rapport
exigé en vertu du présent chapitre ont un caractère public. Il en est de même des résultats d’analyse transmis au ministre en vertu du présent chapitre. Dans tous les cas, une copie de ces avis, études, programmes, rapports ou résultats d’analyse doit être transmise au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles dans le même délai que celui exigé pour leur transmission au ministre.
Toutefois, pour évaluer la portée réelle de cette disposition, il faut aussi référer à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels.
Or, les dispositions de l’article 168 de cette loi sont ainsi formulées :
168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d’une loi générale ou spéciale
postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n’énonce expressément s’appliquer malgré la présente loi.
Or, ni la Loi sur la qualité de l’environnement, ni le présent Règlement qui en découle, ne prévoient s’appliquer « nonobstant la Loi sur l’accès ». En conséquence, ce sont les dispositions de cette loi et l’arbitrage éventuel de la Commission d’accès à l’information (il faut être représenté par avocat devant cette Commission, sauf s’il s’agit d’une demande qui concerne ses propres renseignements personnels) qui prévaudront.
Or, les sociétés pétrolières et gazières peuvent invoquer de nombreux motifs pour s’objecter à la divulgation de renseignements et le ministère ou l’organisme public doit en tenir compte avant de divulguer le renseignement :
23. Un organisme public ne peut communiquer le secret industriel d’un tiers ou un
renseignement industriel, financier, commercial, scientifique, technique ou syndical de
nature confidentielle fourni par un tiers et habituellement traité par un tiers de façon
confidentielle, sans son consentement.
24. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement fourni par un tiers
lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver une négociation en vue de la conclusion d’un contrat, de causer une perte à ce tiers, de procurer un avantage
appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de
ce tiers, sans son consentement.
Certes, certaines dispositions plus généreuses de cette loi permettent de contrebalancer les dispositions précédemment citées, mais il n’en demeure pas moins qu’en cas de refus de divulguer, c’est la Commission d’accès à l’information qui devra trancher et les délais normaux pour être entendu par cette Commission sont fort longs (plus ou moins 2 ans).
II.5 Le volume de prélèvement d’eau
Si les dispositions de l’article 3 du Règlement prévoient une méthode de calcul des prélèvements d’eau réalisés, cette méthode est peu appropriée pour les prélèvements d’eau réalisés à des fins de fracturation hydraulique. En effet, le volume moyen est calculé sur la base du débit obtenu sur une période de 90 jours, période jamais atteinte dans un tel cas.
Par ailleurs, pour établir le calcul quotidien, on doit prendre en compte les prélèvements d’eau « effectués à chacun des sites de prélèvements qui sont reliés à un même établissement, à une même installation ou à un même système d’aqueduc ».
Une interprétation basée sur le bon sens, voire une interprétation littérale des termes utilisés, voudraient sans aucun doute que soit calculé tout prélèvement d’eau servant à un même puits de forage pétrolier ou gazier. Cependant, les règles légales d’interprétation permettent peut-être une autre interprétation.
En effet, les termes « établissement », « installation » et « système d’aqueduc » ne sont pas définis dans le Règlement. On retrouve à l’article 2 du Règlement une définition du terme « installation », mais il s’agit alors d’une installation d’élevage d’animaux. Ainsi, n’apparaît pas ici le « site de forage » définit à l’article 31 du Règlement. Cette omission, qu’elle soit volontaire ou non, pourrait avoir comme conséquence d’exclure les sites de forage des sociétés gazières et pétrolières qui pourraient donc scinder leurs prélèvement d’eau en autant de parties qu’elles le souhaitent. Or, comme les dispositions de l’article 6(3)f) du Règlement excluent la nécessité d’obtenir une autorisation ministérielle tout prélèvement d’eau inférieur à 379 000 litres par jour (l’équivalent de plus d’une douzaine de camions-citernes), cela ouvrirait la porte à une possible liberté complète de prélèvement pour, entre autres, les sociétés gazières et pétrolières.
Même si les tribunaux, qui sont les institutions qui devront, in fine, décider de la chose, devaient conclure que cette interprétation est trop restrictive et que doivent être pris en compte les prélèvements d’eau effectués à divers sites pour alimenter un puits de forage gazier ou pétrolier, il n’en demeure pas moins que plusieurs bassins versants ne sont pas en mesure de fournir l’eau nécessaire au besoins de l’industrie et que les mécanismes de contrôle de ces prélèvements sont inexistants ou peu performants.
II.6 L’autorisation ministérielle
Par ailleurs, si un prélèvement supérieur à la limite des 379 000 litres d’eau exige normalement une autorisation ministérielle prévue à l’article 31.75 de la Loi sur la qualité de l’environnement, il faut remarquer que la disposition en cause n’est pas en vigueur et que le Règlement édicté ne prévoit pas la mise en vigueur de cette disposition, contrairement à ce qui était prévu dans le second projet de règlement de mai 2013 (voir les articles 106 et 107 du projet de mai 2013).
Ainsi, en l’absence d’un autre décret mettant en vigueur les dispositions de l’article 31.75 de la Loi sur la qualité de l’environnement, les sociétés gazières et pétrolières pourraient librement puiser tout l’eau dont elles ont besoin, même si, comme nous l’avons vu précédemment, les études produites dans le cadre de l’Étude environnementale stratégique (ÉES) sur le gaz de schiste ont montré que les cours d’eau de certains bassins versants ne peuvent permettre de tels puisements sans compromettre les usages normaux de l’eau. De surcroit, l’examen d’un contrat civil liant une société gazière et un agriculteur qui a consenti aux travaux de la société sur sa propriété montre que la société en cause peut creuser les puits artésiens nécessaires à ses travaux, sans égard à la disponibilité de l’eau dans l’aquifère ainsi sollicité.
Ajoutons encore à ce tableau peu reluisant le fait que l’étude réalisée par le
professionnel engagé par la société gazière et pétrolière et permettant d’établir les volumes d’eau prélevés et de décrire « les modifications anticipées à la qualité de l’eau lors de son utilisation et de son rejet dans le milieu, notamment au niveau des substances ajoutées à l’eau à cet égard » (tel que prévu au paragraphe d) de l’alinéa dixième de l’article 7 du Règlement) ne sont pas des documents publics, comme le prévoient les dispositions du dernier alinéa de l’article 7 : « Les renseignements fournis relativement au présent article ont un caractère public, sauf les renseignements prévus au paragraphe 10 du premier alinéa lorsqu’ils ne concernent pas une demande de prélèvement d’eau visé par l’article 31.97 de la Loi sur la qualité de l’environnement. »
Remarquons finalement que les autorisations de puisement d’eau octroyées par le ministre (lorsqu’elles seront en vigueur) ont une durée fort longue, soit 10 ans (article 31.81 de la Loi sur la qualité de l’environnement, mais cet article n’est pas en vigueur).
II.7 La fracturation et les distances séparatrices par rapport à une source d’eau potable
Les dispositions de l’article 31 du Règlement définissent ce qu’il faut entendre
par fracturation. Ces dispositions sont ainsi formulées :
1° « fracturation » : opération qui consiste à créer des fractures dans une formation
géologique en y injectant un fluide, sous pression, par l’entremise d’un puits, à l’exception
de celle utilisant un volume de fluides inférieur à 50 000 litres ;
Par rapport à cette définition, remarquons que l’injection de 50 000 litres de fluide de fracturation contenant de nombreux produits chimiques est amplement suffisante pour contaminer une source d’eau potable. Nous voyons mal la nécessité d’établir une distinction en fonction des volumes de fluide injecté dans le sous-sol dans la définition d’une technique d’exploration pétrolière ou gazière.
Par ailleurs, si nous comparons cette définition avec celle apparaissant au projet de règlement de mai 2013, nous remarquons des différences significatives. En effet, la définition qui apparaissait dans le projet de mai 2013 était ainsi formulée :
41. Pour l’application de la présente sous-section, on entend par « fracturation », une
opération qui consiste à créer des fissures dans une formation géologique ou à élargir des fissures déjà existantes à l’aide de fluides injectés dans un puits à une pression suffisante. N’est toutefois pas visé une opération utilisant un volume de fluides inférieur à 50 000 litres.
Le caractère englobant de cette définition permettait de contrer les tentatives de l’industrie de présenter sous des vocables différents et moins connotés négativement les divers éléments associés à l’usage de la fracturation, tel les tests dits d’injectivité. La formulation actuelle est beaucoup plus restrictive, dans la mesure où la fracturation consiste aussi sinon tout autant à « élargir des fissures déjà existantes » qu’à en créer de nouvelles.
Par ailleurs, l’article 32 du Règlement établit les distances séparatrices devant être respectées entre un forage gazier ou pétrolier et une source d’eau potable. Cette disposition est ainsi formulée :
32. Il est interdit d’aménager un site de forage ou de réaliser un sondage stratigraphique
dans une plaine inondable dont la récurrence de débordement est de 20 ans, dans une
plaine inondable d’un lac ou d’un cours d’eau identifiée sans que ne soient distinguées les récurrences de débordement de 20 ans et de 100 ans ou à moins de 500 mètres d’un site de prélèvement d’eau effectué à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire.
La distance de 500 mètres prévue au premier alinéa concernant l’aménagement d’un site
de forage peut être augmentée à la distance fixée dans l’étude hydrogéologique prévue à
l’article 38 lorsque cette étude démontre que la distance de 500 mètres ne permet pas de
minimiser les risques de contamination des eaux des sites de prélèvement d’eau effectué à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire situés sur le territoire couvert par l’étude.
De prime abord, cette disposition semble présenter une avancée par rapport au second projet de mai 2013, dans la mesure où la distance séparatrice minimale passe de 300 à 500 mètres. Par ailleurs, cette nouvelle distance séparatrice peut encore être augmentée, si une étude hydrogéologique conclut à cette nécessité pour protéger les sources d’eau potable.
Deux remarques s’imposent toutefois.
D’abord, la zone de protection établie dans le second projet de règlement de mai 2013 était ainsi établie :
30. Il est interdit d’aménager une installation ou de réaliser un sondage stratigraphique à
moins de 300 mètres d’un site de prélèvement d’eau effectué à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire.
–
Le terme « installation » était cependant défini au deuxième alinéa de l’article 29. Cette
disposition était ainsi formulée :
2° « installation » : la zone regroupant l’ensemble des infrastructures nécessaires à la
recherche ou à l’exploitation du pétrole, du gaz naturel, de la saumure ou un réservoir
souterrain..
En comparant la disposition apparaissant au Règlement avec celle formulée dans le second projet de mai 2013, on se rend compte que l’extension horizontale du puits de forage gazier ou pétrolier n’est peut-être pas prise en compte dans l’établissement de la distance séparatrice devant être respectée.
En effet, le texte ne fait pas référence aux « segments d’un puits » soit, selon la définition apparaissant à l’article 31 du Règlement, « la portion du puits permettant de soumettre une zone géologique à la fracturation », mais à la notion de « site de forage » définie comme une « zone regroupant le ou les puits de forage » et le terrain situé dans les environs immédiats de ce ou de ces puits de forage.
On ne trouve donc aucune indication de la direction des segments horizontaux du puits ni référence directe aux segments horizontaux du puits. Certes, le segment d’un puits peut être considéré comme une partie intégrante du puits de forage et donc pris en compte dans l’établissement de la zone de protection, mais l’effort exigé pour la compréhension du texte favorise des interprétations contradictoires, d’autant que le reste de la définition parle des « environs immédiats » de ce qui constitue seulement la tête de puits.
Les incertitudes en regard de l’interprétation devant être donnée à ces dispositions grandissent encore quand nous examinons les dispositions du deuxième paragraphe de l’article 37 qui traitent de la nécessité d’une caractérisation initiale du site de forage, alors que cette catégorisation initiale doit couvrir un territoire « d’un rayon minimal de 2 kilomètres en dehors des limites du site de forage ou un territoire correspondant à la longueur horizontale du puits envisagé », comme si ces notions de « limite du site » et « d’extension horizontale » ne sont pas nécessairement ou toujours équivalentes. De plus, la formulation fait correspondre une superficie à une longueur rendant l’article par le fait même inapproprié et d’une interprétation quasi impossible, sans compter qu’il occulte complètement l’aspect tridimensionnel du problème.
La deuxième remarque concerne les études hydrogéologiques devant permettre, dans certains cas, de prolonger ou d’agrandir la zone de protection de 500 mètres.
Les études hydrogéologiques dignes de ce nom s’établissent sur de longues périodes de temps (généralement de 3 à 5 ans) et elles ne visent que la pollution pouvant résulter des activités menées en surface.
Au Québec, la grande majorité des études hydrogéologiques ne traitent pas des eaux souterraines à de grandes profondeurs telles que celles où s’effectuent les forages destinés à la recherche ou à l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures. Le premier BAPE sur le gaz de schiste avait en effet remarqué qu’il n’existe actuellement aucun protocole scientifique permettant de comprendre les relations ou les échanges entre les eaux souterraines situées en grande profondeur et les eaux des aquifères.
Par ailleurs, les capacités du professionnel en question d’augmenter la zone de protection des sources d’eau potable sont limitées dans la mesure où il lui revient d’établir la preuve que la distance de 500 mètres « ne permet pas de minimiser les risques de contamination des eaux ».
Bref, il lui suffit de montrer que la zone de 500 mètres permet de minimiser les risques, ce qui relève d’une simple inférence logique, mais il a le fardeau de démontrer que cette zone ne permet pas de les minimiser, ce qui est beaucoup plus difficile et exigeant, si l’on veut dépasser la simple application du principe de précaution.
II.8 Les sondages stratigraphiques
La deuxième section du chapitre V du Règlement traite des sondages stratigraphiques.
Dans l’examen de cette question, il convient d’abord de rejeter le mythe répandu par les partisans de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère comme quoi de tels sondages sont sans danger pour l’environnement. Rappelons d’abord que de tels « sondages » constituent un forage minier, un « puits » dans l’actuelle Loi sur les mines, susceptible d’ouvrir des voies de passage du méthane et autres contaminants vers les sources d’eau potable, d’autant que des additifs chimiques pouvant être toxiques sont utilisés dans de tels forages.
Ensuite, la présence du professionnel chargé, selon les dispositions du premier alinéa de l’article 34, de superviser le forage minier est-elle obligatoire durant les opérations de forage, dans la mesure où le dernier alinéa du même article 34 prévoit simplement qu’il doit être « avisé des problèmes qui se sont posés lors de la réalisation du sondage et des mesures prises pour remédier à la situation » ?
Cela pourrait être une façon assez élégante de préserver le professionnel engagé par la société gazière ou pétrolière de ses obligations déontologiques et qui n’aurait pas été « avisé » des problèmes rencontrés lors du sondage stratigraphique… Ce professionnel absent du site se verrait cependant ensuite imposer l’obligation de rendre compte des problèmes rencontrés lors du sondage (art. 36 (5e)), voilà qui est assez surprenant. Il est donc permis de penser que sa présence doit être assurée tout au long des opérations. Remarquons toutefois, une fois encore, la formulation boiteuse permettant des interprétations diverses, voire contradictoires.
Finalement, on peut s’interroger sur la possibilité concrète de mettre en place des mesures pour « remédier à la situation » lorsque des failles sont dans l’emprise du forage et permettent le passage, à plus ou moins long terme, du méthane et autres hydrocarbures vers les aquifères. Les retours en arrière s’avèrent malaisés sinon impossibles dans un tel contexte.
N’oublions pas que le rapport à présenter au ministre suite à la réalisation de sondages doit être réalisé dans les 30 jours de la fin des travaux. Que se passera-t-il si les dégâts ne sont constatés que plus tard ? Qui sera responsable ? Aucune disposition du Règlement ne permet de répondre à ces questions.
II.9 La caractérisation initiale
Les dispositions des articles 37-39 du Règlement imposent une caractérisation initiale du site de forage. Cette caractérisation se réalise par une étude hydrogéologique, la prise d’échantillons d’eau prélevés sur les sources d’eau potable situés en périphérie du site gazier ou pétrolier et dans les puits d’observation qui doivent être mis en place.
Nous avons déjà abordé les limites inhérentes aux études hydrogéologiques en regard des contaminations pouvant survenir sous la base de l’aquifère. Il ne convient pas d’y revenir ici. Remarquons toutefois qu’est exigé dans cette étude l’établissement du profil stratigraphique du site, ce qui implique forcément des sondages de ce type. Par ailleurs, cette étude n’oblige pas à établir les conséquences d’une contamination provenant du sous-sol, c’est-à-dire la pollution la plus probable dans le cas de forages non conventionnels d’hydrocarbures fossiles, car, comme le prévoit le sixième paragraphe du premier alinéa de l’article 38 du Règlement, la seule vulnérabilité devant être examinée est celle découlant d’une contamination survenant en surface du site pétrolier ou gazier. Or, c’est la connaissance de la géologie profonde qui est nécessaire pour identifier les véritables dangers pour l’eau potable lors de forages pétroliers ou gaziers.
Comment une telle étude pourrait-elle faire « l’évaluation des impacts d’une contamination des eaux » reliée à « une défaillance du puits provoquant une migration de fluides vers le ou les aquifères ou vers la surface » (art. 38(8)a)) ?
Une telle évaluation ne serait que pure spéculation et ne correspondrait sûrement pas aux obligations déontologiques imposées aux professionnels régis par le Code des professions. On peut même considérer qu’une telle prise de position, si elle s’avérait erronée, constituerait une faute déontologique susceptible de sanction par le syndic de l’ordre concerné. Chose certaine, le professionnel qui émet une telle opinion s’expose à des poursuites civiles en dommages et intérêts advenant une contamination des sources d’eau, car une telle opinion engage la responsabilité civile du professionnel opinant
favorablement dans un tel contexte.
Remarquons toutefois que la disposition apparaissant à l’article 38(8)a) et b) du Règlement est la seule ayant une dimension de prospectivité, soit exigeant un jugement prévisionnel. En effet, toutes les autres parties de l’article 38 et qui concernent les points constituant le rapport de la caractérisation initiale ne touchent que des éléments factuels ou descriptifs. Constatons encore que ce jugement prévisionnel ne concerne que les conséquences d’une contamination de l’eau potable et qu’il laisse dans l’ombre de nombreux éléments devant être normalement examinés en regard des conséquences d’une contamination de l’environnement par des hydrocarbures, comme les limites à l’usage ultérieur du territoire pollué, les conséquences sur l’air, sur la santé publique, etc.
Remarquons encore que les délais de transmission de la caractérisation initiale, soit 30 jours avant le début des forages, nous semblent bien courts, puisque les délais actuels de réponse du ministère avoisinent bien davantage les six mois que les 30 jours…Et les politiques d’austérité qui nous sont annoncées actuellement, avec le gel des embauches qui en découle, risquent fort d’empirer la situation dans l’avenir.
Finalement, si le panache de pollution ne devrait jamais dépasser, selon l’opinion du gouvernement, 500 mètres, puisque c’est cette seule distance séparatrice qui est imposée par l’article 32 du Règlement, pourquoi exige-t-on une caractérisation sur un minimum de 2 km ? N’aurait-il pas été plus logique d’imposer, en l’absence d’une étude hydrogéologique, une norme dite de protection de 2 km et spécifier que cette distance pouvait être réduite à l’occasion d’une telle étude, sans jamais aller en-deçà d’une zone de 500 mètres ?
Remarquons encore les incongruités dans la formulation de cette exigence. En effet, le deuxième alinéa de l’article 37 est ainsi formulé :
Cette caractérisation doit couvrir, selon la plus exigeante des superficies, un territoire d’un rayon minimal de 2 kilomètres en dehors des limites du site de forage ou un territoire
correspondant à la longueur horizontale du puits envisagé.
Prenons deux exemples, soit un puits conventionnel et un puits non conventionnel s’étendant sur 2 km par son segment horizontal. Dans le premier cas, une caractérisation s’étendant sur 2 km devra être réalisée. Elle couvrira cependant une large zone située au-delà des installations de la société en cause. Dans le second cas, la société concernée n’aura aucune zone à caractériser s’étendant au-delà des limites de son extension horizontale.
Autrement dit, si l’extension horizontale maximale du puits de forage gazier ou pétrolier est de 2 kilomètres, l’étude ne couvrira pas les sites de prélèvement d’eau situé immédiatement en dehors de cette zone, malgré le fait que toute la littérature scientifique montre une pollution probable des sites de prélèvement d’eau situé à l’extérieur de la zone touchée par l’exploration pétrolière ou gazière surtout si la fracturation est utilisée. Mais aucune caractérisation des zones s’étendant au-delà de l’extension horizontale n’aura été réalisée, rendant plus difficile l’établissement de tout lien causal entre le puits d’exploration et une source d’eau potable potentiellement contaminée. Ici, sont donc favorisées les exploitations non conventionnelles d’hydrocarbures, soit justement celles qui devront être utilisées au Québec.
Certes, la publication récente par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques des Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolière permet de penser que la caractérisation initiale doit toujours correspondre à l’extension horizontale.
Toutefois, le statut juridique de ce document fait en sorte que l’interprétation qu’il suggère n’est pas déterminante pour les tribunaux, d’une part, et que, d’autre part, n’aurait-il pas été plus simple, si tel était l’intention gouvernementale, de préciser dans le Règlement que le territoire à couvrir doit comprendre, au minimum, une distance de 2 kilomètres de toutes les installations de surface et de la projection en surface des portions souterraines des forages horizontaux ?
Toutefois, en définitive, l’éclaircissement apporté est sans conséquence pratique, puisqu’à l’extrémité du forage horizontal, à la verticale en surface, il n’y a plus de caractérisation et donc aucune marge de sécurité, alors que la norme imposée est de 2 000 mètres pour la tête de puits. Si le gouvernement avait plutôt suivi notre suggestion, la caractérisation se serait étendue sur un minimum de 2 km à l’extérieur de la zone fracturée.
Le caractère sommaire de cette caractérisation initiale ressort aussi du fait que ne sont pas énumérés comme devant être identifiés les produits utilisés par l’industrie lors de l’usage de la fracturation. En effet, l’examen de la présence ou de l’absence dans les puits d’eau potable de ces produits antérieurement et postérieurement à la fracturation permettrait sans doute d’établir trop facilement la responsabilité de la pollution éventuelle de l’eau potable.
Par ailleurs, l’étude réalisée ne sera pas transmise aux résidents concernés, mais seulement les résultats des échantillons d’eau recueillis dans cette zone, comme le prévoient les dispositions du dernier paragraphe de l’article 38. Toutefois, cette étude est publique, comme le veulent les dispositions générales apparaissant au dernier paragraphe de l’article 31 du Règlement. Advenant des risques de poursuites judiciaires, le ministère pourrait refuser de communiquer le renseignement en cause, comme le prévoit l’article 32 de la Loi sur l’accès aux documents d’un organisme public et la protection des renseignements personnels.
En cas de contamination, il reviendra donc à chaque résident concerné d’établir le lien de causalité entre la contamination constatée et le puits de forage gazier ou pétrolier. De nombreux obstacles techniques et juridiques seront rencontrés et des investissements importants en argent et en temps seront donc nécessaires et entièrement à la charge des résidents dont l’eau aura été contaminée.
Dans le cas des études hydrogéologiques réalisées à Gaspé à la demande de la première ministre de l’époque, madame Pauline Marois, ces études constatent la remontée du méthane thermogénique dans la périphérie du puits Haldimand 1 mais ne se prononcent pas sur l’origine de cette contamination. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, quant à lui, refuse d’intervenir pour établir l’origine de cette contamination, laissant aux seuls citoyens et citoyennes le soin d’établir, à leurs frais, de telles études et d’entreprendre, si leur bourse le leur permet, des recours judiciaires coûteux et interminables. Dans un tel contexte, n’est-il pas permis de conclure que le ministère ne remplit pas ses obligations de préserver l’environnement et la santé des personnes ?
Ainsi, le professionnel mandaté par la société gazière ou pétrolière n’a nullement l’obligation d’établir le lien entre la contamination constatée, le cas échéant, et ses causes.
Quant au puits d’observation, le Règlement accorde une latitude absolue à la société gazière ou pétrolière, dans la mesure où ne sont pas précisés les critères obligeant la société en cause d’en réaliser un ou trois. Par ailleurs, comment établit-on la représentativité des échantillons d’eau prélevés, comme l’imposent les dispositions de l’article 39 du Règlement ? En fait, la caractérisation doit être réalisée pour l’ensemble du massif et non simplement par le biais de trois puits d’observation, ceux-ci étant d’ailleurs généralement réalisés à des faibles profondeurs.
La plupart des hydrogéologues reconnaissent qu’un seul puits d’observation est insuffisant, d’autant qu’un puits à niveaux multiples est difficile à réaliser particulièrement au niveau de ses scellements.
II.10 La fracturation et la base de l’aquifère
L’article 40 du Règlement prévoit qu’une opération de fracturation ne peut avoir lieu « à moins de 400 mètres sous la base d’un aquifère ».
En regard de cette norme, de nombreuses questions se posent : d’où vient cette norme ? Correspond-t-elle aux normes suivies par l’industrie ? Protège-t-elle adéquatement les aquifères ? Est-ce la position d’une section du forage lui-même ou la limite de la zone fracturée qui sera prise en compte pour établir cette distance ? La base de l’aquifère pourrait-elle être ramenée par le détenteur du permis de 200 à 50 mètres, s’il y trouve de l’eau un peu saline (4 000 ppm) à une faible profondeur ?
Il y a une réponse très apparente à notre première question dans la comparaison de l’impact de cette distance dans le cas de l’exploitation pétrolière à Anticosti : avec une distance de 400 mètres seulement, une très faible partie des permis de forage est exclue ; si cette distance était portée à 1 000 mètres, une grande partie des permis de forage serait exclue.
Quatre cent mètres est une distance deux fois et demi plus courte que ce que l’industrie s’est donnée généralement comme norme sous la base des aquifères, soit 1 000 mètres.
Nous devons toutefois préciser qu’à notre connaissance aucun État ou province n’a formellement établi une telle norme. C’est plutôt la distance que l’industrie présente comme preuve que la contamination ne peut rejoindre les nappes car, leurs représentants affirment : "il y a toujours une succession de couches imperméables sur une épaisseur de 1 000 mètres entre là où l’on fracture et le bas des nappes".
La nature des couches, la présence de failles et d’autres données, seraient tout autant sinon davantage des paramètres à prendre en considération pour établir une norme. Comme c’est très complexe de règlementer en tenant compte de l’ensemble de ces divers aspects, les États n’ont généralement pas tenté d’établir de norme. Le MDDELCC le fait et il est bien le seul. Mais il le fait de façon irréfléchie, juste pour "ouvrir" tout Anticosti l’an prochain à des futures demandes de permis de fracturation.
L’extension verticale, la pénétration de la fracturation, constitue une donnée encore largement méconnue, mais des compilations montrant des extensions verticales de 550 mètres ont été publiées (et parfois plus longues encore s’il existe des failles naturelles servant de voie de passage aux contaminants).
D’où vient ce choix des rédacteurs pour introduire par le biais d’un simple règlement une norme arbitraire dont les impacts sont si considérables ? La migration des fluides vers les nappes se fera sur des années, et cela ne se mesure pas vraiment pendant les opérations de fracturation qui se font en quelques jours. De plus, avoir comme règle d’interdire la fracturation « à moins de 400 mètres sous la base d’un aquifère » est très différent de dire qu’une marge de 400 mètres ou 1 000 mètres doit exister entre l’élévation la plus haute des fractures ainsi créées et l’aquifère. Une opération de fracturation réalisée à 401 mètres sous la base de l’aquifère et qui provoquerait des fractures s’élevant à plus de 400 mètres de cette opération de fracturation pourrait-elle être considérée respecter le règlement ? Il est permis de le penser, car c’est la profondeur d’une section de forage horizontal qui est soumise au critère et non pas l’extension verticale des fractures.
De plus, nulle part dans ce règlement sur la protection des eaux souterraines, il n’est question de l’impact qu’aura la présence même des puits, qui demeurent en place même abandonnés, ni de l’impact hydrogéologique résultant de la transformation radicale de la perméabilité du shale et des roches encaissantes. Elles auront été fracturées de façon irréversible, formant une couche perméable continue sous toute la surface du territoire dont le sous-sol aura été fracturé. Les puits et leur cimentation imparfaite vont évidemment se dégrader dans le temps. À moyen termes, les hydrocarbures encore en place dans le shale fracturé vont remonter et contaminer à coup sûr les nappes. Des milliers de puits abandonnés signifient des milliers de conduits potentiels pour faire passer de virtuelle à réelle cette contamination généralisée (de l’Île d’Anticosti et des autres territoires dont le sous-sol aura été fracturé).
Tout n’est donc pensé qu’en termes de l’impact à très court terme des opérations d’une exploitation pétrolière que le gouvernement choisit aujourd’hui de réglementer. Le gouvernement a totalement oublié une chose fondamentale : nous aurons besoin de nos aquifères non seulement pendant les activités de forage et de fracturation, mais également après et bien longtemps après.
Manifestement improvisé pour une application urgente à Anticosti et Gaspé, ce règlement aura des effets pernicieux hors du cadre de ces seuls gisements de pétrole de roche-mère. Partout au Québec, y compris évidemment en Gaspésie, des forages passant à l’horizontale à tout juste un peu plus de 400 mètres sous une nappe, pourront obtenir des permis de fracturation. L’opérateur n’a comme seule restriction que de veiller à respecter une distance minimale de 400 mètres lors de son opération de fracturation.
Les médias ont rapporté qu’au Québec on allait avoir une protection de 400 mètres alors qu’aux États-Unis l’industrie garde une distance de 1 000 mètres entre la fracturation et les nappes. C’est cependant inexact de prétendre cette chose ; la marge de sécurité au Québec sera zéro mètre et non pas 400 mètres, parce qu’au Québec le gouvernement fixe une règle pour fracturer dans ce 400 mètres à cause des possibles extensions verticales du forage horizontal. C’est toute une nuance ! Et que dire de l’Allemagne qui fixe à 3 000 mètres de profondeur la limite sous laquelle la fracturation hydraulique sera interdite d’ici la fin des études, en 2021.
Par un "heureux hasard" le règlement conviendra parfaitement au très controversé puits Haldimand 4 dans le territoire de la municipalité de Gaspé, comme on peut le constater en examinant une vue en coupe du puits que compte réaliser la société Pétrolia. Celle-ci n’a pas indiqué, à ce jour, vouloir demander de permis de fracturation pour ce puits, comme elle a toujours refusé de confirmer qu’elle n’utiliserait pas cette technique, mais la distance verticale de 400 mètres sous le bas de la nappe dans le règlement lui conviendrait tout-à-fait, si jamais le puits horizontal ne se révélait pas assez productif sans fracturation.
Autre exemple de rédaction fantaisiste :
41. Toute opération de fracturation doit être planifiée et réalisée de manière à prévenir la
propagation de fractures vers une voie préférentielle naturelle d’écoulement des fluides ou
un puits existant.
C’est tout à fait irréaliste et sans signification, car il est reconnu par les experts qu’il est impossible (sans recueillir des données et donc sans investissements considérables rendant toute l’opération économiquement non rentable) de modéliser la propagation des fractures. Seule les mesures microsismiques réalisées pendant les opérations de fracturation peuvent APRÈS COUP donner des indications sommaires et indirectes sur la propagation des fractures.
Mais ces mesures microsismiques sont-elles toujours obligatoires ? Il est permis d’en douter.
En effet, si les dispositions de l’article 43 (qui traite du programme envisagé de fracturation devant être soumis préalablement au ministre) prévoient que ce programme doit contenir « une évaluation de la propagation des fractures, en trois dimensions, et la description de la méthode utilisée pour réaliser cette évaluation » (alinéa 6 de l’article 43), le dernier alinéa de l’article 43 est ainsi formulé :
La description du suivi prévue au paragraphe 8 du premier alinéa doit comprendre la
réalisation d’un suivi microsismique ou, lorsque de tels suivis ont déjà été réalisés au sein
de la même formation géologique lors d’une opération de fracturation dans des puits
similaires, une analyse des données recueillies dans le cadre de ces suivis.
Quant à l’article 46 (qui traite du rapport qui succède à la fracturation) il est ainsi formulé :
46. Le responsable d’un puits doit transmettre au ministre, dans les 30 jours suivant la fin
de la mise en oeuvre d’un programme de fracturation, un rapport signé par un professionnel sur le suivi effectué quant aux opérations de fracturation concernées par le programme. Un tel rapport contient, notamment, les données recueillies pendant l’opération, leur interprétation et, le cas échéant, la cartographie des événements microsismiques enregistrés.
Le règlement ne fait donc aucune obligation d’utiliser la microsismique pour vraiment voir jusqu’où remontent les fractures, sauf pour le premier puits foré et cela ne sera pas exigé pour les autres puits "lorsque de tels suivis ont déjà été réalisés au sein de la même formation géologique" !
Ces opérations de microsismique coûtent cher. Bien que l’industrie présente constamment cette technique comme une garantie du bon contrôle de leurs opérations, la microsismique n’a été utilisée aux États-Unis que dans 3% des opérations de fracturation. Au Québec, on permettra donc encore moins ! Une seule opération pour le shale d’Utica et une seule opération pour la formation Macasty sur toute l’île d’Anticosti, voilà ce que semble exiger le règlement.
II.11 Le suivi des eaux souterraines
Les dispositions relatives au suivi des eaux souterraines sont marquées par la même incohérence, la même improvisation et le même biais favorable aux sociétés gazières et pétrolières.
Ainsi, si, lors de la caractérisation initiale, l’analyse de l’eau souterraine doit porter sur un grand nombre d’éléments, éléments prévus à l’annexe II du Règlement, le suivi, lui, ne doit couvrir que la recherche de quelques éléments, éléments prévus à l’annexe III du Règlement. De ce fait, le suivi ne peut donner qu’un aperçu sommaire des contaminants maintenant présents dans l’eau des résidents touchés.
Cette contradiction traduit un biais évident visant à protéger les sociétés gazières et pétrolières plutôt qu’a défendre la qualité de l’eau potable, puisqu’elle favorise une responsabilité atténuée des pollueurs éventuels. Nous sommes bien loin ici du principe du pollueur/payeur, principe pourtant prévu à la Loi sur le développement durable.
C’est donc un refus de prendre en compte les coûts réels de l’exploitation gazière et pétrolière en externalisant les coûts, c’est-à-dire en faisant payer les victimes et non les auteurs du dommage produit.
Le même biais corporatif se vérifie avec les dispositions qui règlent la durée du suivi. En effet, l’article 47 du Règlement prévoit que ce suivi s’étend seulement sur une période de 10 années. Pourquoi une telle limite, quand on songe que la remontée des contaminants peut prendre un temps indéterminé, mais pouvant s’étendre sur des dizaines d’années, sinon davantage ? Pourquoi les sociétés industrielles engagées dans la recherche de gaz et de pétrole ne seraient-elles responsables que pour un temps déterminé d’une contamination qui peut prendre un temps indéterminé à se manifester ?
Une seule conséquence découle de cette disposition : la population du Québec devra assumer les conséquences et les frais résultant de toute pollution associée aux activités des sociétés gazières et pétrolières, si cette pollution se manifeste plus de 10 ans après la fermeture des puits de forage. Bien d’autres Lac-Mégantic en perspective !
Par ailleurs, il faut rappeler que, malgré l’obligation faite au professionnel qui constate la présence d’une contamination de rendre compte des « mesures qu’il a prises ou qu’il entend prendre pour déterminer la cause du problème et remédier à la situation », comme le prévoient les dispositions du dernier alinéa de l’article 48 du Règlement, la possibilité de remédier à une contamination d’un aquifère par des hydrocarbures n’existe tout simplement pas, comme le montre la contamination de la lagune de Mercier polluée il y a plus de 40 ans et toujours contaminée aujourd’hui.
II.12 Le registre
La conservation, limitée dans le temps, des renseignements relatifs à un puits de forage, renseignements colligés dans le registre prévu à l’article 49 du Règlement, souffre des mêmes lacunes. Comme nous l’avons vu, la période de dix années est bien trop courte pour permettre l’établissement de la responsabilité en cas de contamination.
II.13 Les zones de protection
Les zones de protection dépendent d’abord du nombre de résidents alimentés par la source d’eau. Le tableau suivant récapitule les critères servant à déterminer les diverses catégories de puisements d’eau potable : (voir le document lui-même sous format de pdf).
Retenons donc que la première catégorie touche des puisements d’eau qui alimentent plus de 500 personnes, la catégorie 2 vise les puisements qui alimentent de 21 à 500 résidents et la catégorie 3 vise les puisements qui alimentent 20 personnes ou moins. Cette dernière catégorie est donc généralement celle représentée par les petites municipalités rurales où les seules sources d’eau sont les puits artésiens ou de surface des résidents. La catégorie 1 est plutôt représentée par les plus grandes agglomérations où l’eau consommée provient généralement des cours d’eau (eau de surface). La catégorie 2 vise plus spécifiquement les municipalités disposant d’un aqueduc approvisionné à partir de puits collectifs. Il existe cependant de nombreuses variantes à ces réalités. Plusieurs municipalités québécoises disposent de sources hybrides d’approvisionnement en eau potable (puisement d’eau de surface se combinant avec des puits collectifs et/ou des puits individuels, par exemple).
L’étendue des aires de protection prévues par le Règlement va donc varier en fonction des catégories de puisement d’eau, mais aussi en fonction de la nature du lieu de puisement (eau souterraine ou eau de surface). Pour chaque catégorie seront établies des zones dites immédiates, intermédiaires et éloignées ou certains types d’activités seront soit autorisées, soit interdites.
II.14 Les zones de protection pour un puisement d’eau souterraine
Le tableau suivant récapitule l’étendue des aires de protection pour chaque catégorie de puisement d’eau potable dans le cas d’un puisement d’eau souterraine : (voir le document lui-même sous format de pdf)
Ainsi, pour les petites municipalités rurales, là où, généralement, se fera l’exploration et l’exploitation gazière et pétrolière, il n’y qu’une zone de protection immédiate de 3 mètres autour des puits d’eau potable, une zone intermédiaire de 30 mètres, pour la protection bactériologique, et de 100 mètres, pour la protection virale, et une aucune zone éloignée de protection.
II.15 Les zones de protection pour un puisement d’eau de surface
Dans le cas d’un puisement d’eau de surface, le tableau suivant récapitule les
zones de protection prévues par le Règlement : (voir le document lui-même en format pdf)
II.15 Les interdictions de mener des forages gaziers ou pétroliers dans les zones de protection des lieux de puisement d’eau
Résumons ici les aires dans lesquelles un puits de forage gazier ou pétrolier serait interdit en fonction des normes fixées par le Règlement :
1. Interdiction dans la zone immédiate de 500 mètres autour d’une source d’eau potable. Cette zone peut être prolongée sur la base d’une étude hydrogéologique : « Art. 32. Il est interdit d’aménager un site de forage ou de réaliser un sondage stratigraphique dans une plaine inondable dont la récurrence de débordement est de 20 ans, dans une plaine inondable d’un lac ou d’un cours d’eau identifiée sans que ne soient distinguées les récurrences de débordement de 20 ans et de 100 ans ou à moins de 500 mètres d’un site de prélèvement d’eau effectué à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire. »
2. Interdiction dans la zone de protection éloignée d’un prélèvement d’eau souterraine de catégorie 1 et 2 : « Art. 66. En plus de l’interdiction prévue à l’article 32, l’aménagement d’un site de forage destiné à rechercher ou à exploiter du pétrole, du gaz naturel, de la saumure ou un réservoir souterrain ainsi que l’exécution d’un sondage stratigraphique sont interdits dans l’aire de protection éloignée d’un prélèvement d’eau souterraine de catégorie 1 ou 2.
3. Interdiction dans l’aire de protection intermédiaire d’un prélèvement d’eau de surface de catégorie 1 et 2 : « Art. 73. En plus de l’interdiction prévue à l’article 32, l’aménagement d’un site de forage destiné à rechercher ou à exploiter du pétrole, du gaz naturel, de la saumure ou un réservoir souterrain ainsi que l’exécution d’un sondage stratigraphique sont interdits dans l’aire de protection intermédiaire d’un prélèvement d’eau de surface de catégories 1 et 2. »
Ainsi, dans les municipalités rurales, c’est-à-dire dans les zones où les forages pétroliers et gaziers sont les plus susceptibles d’être réalisés, la seule zone de protection offerte est celle du 500 mètres, sous réserve qu’une éventuelle étude hydrogéologique permettrait d’étendre cette zone. De fait, sont donc protégées des zones peu susceptibles de faire l’objet de recherche d’hydrocarbures fossiles non conventionnels, alors que sont laissées sans protection efficace, les zones les plus susceptibles de subir l’exploration et l’exploitation des combustibles fossiles. Voilà qui illustre clairement la hiérarchie des valeurs sous-jacentes à cette réglementation.
III. Conclusion
En définitive se pose la nécessité d’identifier l’objet véritable de cette réglementation : vise-t-elle véritablement à protéger l’eau ou ne privilégie-t-elle pas plutôt la recherche, l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière en imposant des normes qui correspondent d’abord aux besoins et désidératas des sociétés qui s’y activent déjà ?
La réponse à cette question se trouve dans les développements antérieurs de ce texte. Il nous semble cependant évident que le gouvernement a tellement hâte d’encadrer officiellement l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ce qui ne se fait qu’avec une technique de fracturation, qu’il choisi de commencer à le faire ici par le biais d’un règlement qui n’a pas fait l’objet d’un examen parlementaire, sans même un réel et étendu débat public, sans attendre la future loi sur les hydrocarbures, ni même les recommandations du BAPE qui porteront sur l’emploi de la fracturation hydraulique dans l’Utica, ainsi que sur la pertinence d’exploiter par cette technique le shale dans l’île d’Anticosti.
Cette introduction de normes devant être rencontrées pour permettre la fracturation est faite de façon assez arbitraire, voire hautement fantaisiste à l’occasion, et donc incapable d’assurer une protection adéquate des sources d’eau potable.
Qui plus est, les communautés locales se voient dépouillées de leur compétence sur tout puisement d’eau réalisé sur leur territoire en vue de l’exploitation des hydrocarbures fossiles.
Quant aux citoyens et citoyennes directement touchés par l’exploitation pétrolière et gazière, la réglementation actuelle les laisse en plan, condamnés à se défendre par leurs seuls moyens et ressources.
Chose certaine, le gouvernement a fait la sourde oreille et a refusé de donner suite aux demandes pressantes et aux critiques adressées par les municipalités, les groupes de citoyens et citoyennes, les scientifiques indépendants et les organisations écologistes. Il n’a pas rectifié le tir ni amendé son projet de règlement pour qu’il assure une véritable protection des sources d’eau potable. Au contraire, il a libéralisé les règles, comme le suggéraient les sociétés engagées dans cette industrie et les ténors du monde des affaires.
Voilà le triste bilan que nous pouvons tirer de cet examen du Règlement. Dans ce cadre, nous appelons les municipalités et les citoyens et citoyennes à se mobiliser à nouveau pour obtenir la bonification de ces normes plus qu’insatisfaisantes.
Lien : http://enjeuxenergies.files.wordpress.com/2014/08/texte-5-experts.pdf