Édition du 17 décembre 2024

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International

Chili

Le 11 septembre de Michelle Bachelet

SANTIAGO - Être à Santiago du Chili un 11 septembre, c’est comme suivre un cours de sociologie en accéléré. Toute l’histoire d’une nation, ses luttes internes et ses problèmes sociaux exposés à nu dans l’espace d’une journée.

Le 11 septembre chilien, c’est encore le coup d’État de 1973, la mort d’Allende, la trahison de Pinochet. Pourtant, les journées de manifestations rituelles ont aujourd’hui l’odeur lacrymogène du conflit social, plutôt que la silencieuse mémoire du passé. Les violents affrontements dans les quartiers périphériques de Santiago expriment un nouveau malaise social similaire à celui des banlieues françaises. Interdiction des manifestations au centre-ville, usage abusif de canon d’eau et gaz lacrymogènes, la capitale donne l’image d’une ville militarisée.

En janvier 2006, Michelle Bachelet devenait la première Présidente du Chili, apportant à la Moneda des rêves ambitieux, comme la promesse d’un pays équitable et d’un « gouvernement citoyen ». La popularité de la chef d’État est aujourd’hui à son plus bas niveau et les dissensions commencent à grèves sa coalition parlementaire. Avec l’élection de Bachelet, le secteur social-démocrate du Parti Socialiste (PS) voyait enfin la possibilité d’imposer des réformes sociales au « modéle » chilien. Aujourd’hui, les partisans du gouvernement sentent que leur base sociale se dérobe sous leur pied. Une grande mobilisation nationale le 29 août dernier a obtenu l’appui du secrétariat du PS et de certains députés, mettant le gouvernement dans l’embarras. Cette mobilisation, suivie dans tout le pays, donnait le pouls la désillusion de la population envers le « gouvernement citoyen ».

Pourtant, la croissance de l’économie est plutôt bonne et les exportations vigoureuses grâce aux prix élevés des minéraux. La pauvreté la moins élevée de la région, ayant chuté de 45% à 13% entre 1990 et 2006. Que se passe-t-il alors chez le « jaguar » du Cône Sud ?

Les Chiliens se demandent ce que mesurent réellement les statistiques, alors que l’endettement personnel explose et l’inflation a atteint des sommets cet hiver. Après huit mois d’une rénovation manquée du transport urbain, les Santiaguinais ragent toujours devant leur arrêt d’autobus à voir passer les véhicules bondés. La ségrégation des quartiers pauvres dans la lointaine périphérie est le résultat d’une politique d’habitation encourageant fortement le marché privé et les grandes compagnies immobilières.

De durs conflits ont marqué récemment les secteurs rayonnants de l’économie d’exportation : les mines, la foresterie et les pêches. Les longues grèves contre la sous-traitance et la précarité de l’emploi ont été le théâtre de violents affrontements, entraînant la mort d’un travailleur forestier.

Ces grèves, ainsi que la proposition de l’Église pour un salaire équitable, ouvrent un débat sur les disparités de revenu dans ce pays champion des inégalités. Les Chiliens revendiquent ce que la richesse et les meilleures politiques sociales palliatives ne peuvent résoudre : l’équité, la dignité dans l’emploi et la convivialité.

Le gouvernement « démocratique » a 17 ans, autant d’années qu’a duré la dictature (1973-1990). La coalition gouvernementale est le principal artisan du modèle socio-économique hérité de la dictature. Au-delà de ces commémorations ritualisées à Allende et les victimes de la dictature, la gauche devra réinventer son discours et retrouver un nouveau souffle. En plus des émeutes des jeunes délinquants, la frustration risque d’entretenir l’abstention politique, ou pire, la récupération de la droite.

Mots-clés : Chili International

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