Édition du 18 juin 2024

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La « nouvelle » alliance de Chrystia Freeland, les mêmes vieilles politiques pro-américaines remâchées

Les récents propos de Madame Freeland devant la Brookings Institution ne sont que la dernière intervention en date d’une longue série de déclarations et d’actions allant dans le sens de l’impérialisme occidental.

26 octobre 2022 | tiré du site de rabble.ca | Traduction : Johan Wallengren
https://rabble.ca/politics/canadian-politics/freelands-new-alliance-more-of-same-old-pro-us-policies/

Un véritable internationalisme exige une appréciation avisée des dynamiques de pouvoir à l’échelle mondiale, la capacité de voir au delà des positions polarisées des médias et une détermination à placer son propre gouvernement devant ses responsabilités. Autant dire qu’il y a loin de la coupe aux lèvres pour les libéraux, qui font fondamentalement confiance aux médias et craignent de se voir isolés du pouvoir.

Récemment, Chrystia Freeland a prononcé un discours devant l’influente Brookings Institution à Washington, exposant les arguments en faveur du « friendshoring » (terme utilisé pour désigner la coopération entre pays démocratiques amis pour protéger leurs chaînes d’approvisionnement, traduit par « amilocalisation » dans le texte français de son discours) et de la construction d’une nouvelle alliance entre pays démocratiques. Lors de la période de questions, Mme Freeland a répondu à celle d’un participant arguant que l’Ukraine attirait vers elle des ressources qui auraient pu aller à son pays d’Afrique de l’Ouest en lui disant que les Africains avaient besoin d’avoir un leader comme Volodymyr Zelensky et d’être prêts à mourir pour la démocratie. Au mieux condescendante, au pire raciste, la réponse de Mme Freeland a fait l’objet d’amples critiques de la part de gauchistes sur Twitter.

Reste que le principal chroniqueur du National Observer, un journal supposément progressiste, Max Fawcett, a fait l’éloge de Mme Freeland en observant que c’est sur la scène mondiale qu’elle brille vraiment. La dernière manifestation en a été le discours qu’elle a prononcé lors d’un événement de la Brookings Institution à Washington, à l’occasion duquel elle a exposé sa vision du nouvel ordre mondial qui doit se développer à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Jeremy Appel a réagi aux propos de Max Fawcett par une moquerie, le qualifiant d’adulateur numéro un de Mme Freeland dans les médias canadiens. Mais M. Fawcett n’a pas reculé, préférant passer à l’offensive en tweetant que si Trudeau peut hérisser les conservateurs, Chrystia Freeland magnétise complètement l’extrême gauche.

Que les critiques de l’extrême gauche à l’égard de Mme Freeland soient malsaines, comme le laisse entendre M. Fawcett, est une absurdité.

Un an après avoir réintégré le poste de Premier ministre, Monsieur Trudeau a remplacé le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion — qui représentait une faction de l’élite canadienne moins favorable à l’institution militaire et à Washington — par Mme Freeland. Lorsque celle ci a été nommée ministre des affaires étrangères, l’ambassade des États Unis à Ottawa a envoyé un mémo au Département d’État à Washington intitulé : Le Canada adopte une politique étrangère « America First ».

Faisant le point sur la politique étrangère au bout de cinq mois à son poste, Mme Freeland a louangé le rôle prépondérant des États Unis dans les affaires mondiales depuis la Seconde Guerre mondiale. « Le Canada est reconnaissant, et le sera toujours, à son voisin pour le rôle démesuré qu’il a joué dans le monde », a t elle déclaré.

Dans son discours, Mme Freeland a affirmé que le Canada doit pouvoir représenter une « puissance dure » et être prêt à entrer en guerre pour maintenir l’« ordre mondial » dirigé par l’Amérique du Nord.

« En termes simples, la diplomatie et le développement canadiens nécessitent parfois l’appui de la puissance dure, a expliqué la ministre des Affaires étrangères. L’utilisation de la force fondée sur des principes, de concert avec nos alliés et en fonction des lois internationales, fait partie de notre histoire et doit faire partie de notre avenir »

Mme Freeland a supervisé une augmentation massive des dépenses militaires canadiennes. Elle s’est par ailleurs opposée aux mesures de contrôle des armes et au désarmement nucléaire. Elle a rejeté un rapport du Comité sénatorial des droits de l’homme de 2018 qui recommandait d’ajouter des contrôles sur le transfert d’armes par des clients étrangers à des tiers et de donner plus de poids aux droits de l’homme et au droit humanitaire international dans le système de contrôle des exportations d’armes.Dans sa réponse écriteaux sénateurs, Mme Freeland considère que « prendre des mesures unilatérales non alignées sur les contrôles à l’exportation de nos alliés et partenaires pourrait sérieusement limiter l’impact que nous pouvons avoir sur la protection des droits de l’homme et du droit humanitaire international, en plus de placer les exportateurs canadiens légitimes dans une situation concurrentielle très désavantageuse ». De même, lorsque la ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallström, une alliée présumée sur le plan de sa politique étrangère féministe, a organisé une réunion de haut niveau en 2019 pour raviver les engagements de désarmement nucléaire pris par les États parties au Traité de non prolifération nucléaire (TNP), Mme Freeland a fait faux bond.

Lors d’une visite en Israël en 2018, Mme Freeland a annoncé que si le Canada obtenait un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, il agirait comme un « atout pour Israël » au sein du Conseil. Mme Freeland a soutenu l’éviction du premier président « indigène » de Bolivie. Quelques heures après que le commandement militaire a forcé Evo Morales à démissionner, le 10 novembre 2019, Mme Freeland a émis une déclaration triomphaliste affirmant que « le Canada appuie la Bolivie et la volonté démocratique du peuple bolivien. »

Ottawa a apporté un soutien important aux efforts de l’Organisation des États américains (OEA) pour discréditer le vote de 2019 en Bolivie, gonflant ainsi la vague de protestations de l’opposition qui a servi de justification au coup d’État.

« Le Canada salue le travail inestimable accompli par la mission de vérification de l’OEA pour assurer un processus juste et transparent, processus que le Canada a soutenu financièrement et par le biais de son expertise. », avait alors notéMme Freeland. Or, la mission de vérification de l’OEA avait été conçue pour précipiter l’éviction de Morales. Une foule d’études ont démontré la nature partisane de la mission de vérification de l’OEA et, un an plus tard, l’ancien ministre des finances de Morales, Luis Acre, a remporté l’élection présidentielle avec 55 % des voix, tandis que son parti, le MAS, a obtenu une large majorité au Congrès.

En 2020, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Jorge Arreaza, a fait la réflexion que la politique du gouvernement Trudeau à l’égard du Venezuela a pris un tournant nettement belliqueux après que Mme Freeland a remplacé M. Dion en janvier 2017. Mme Freeland a aidé à établir le Groupe de Lima et a participé à une demi douzaine de réunions de cette coalition s’opposant au gouvernement vénézuélien. Selon le Globe and Mail, Mme Freeland avait parlé avec Juan Guaidó pour le féliciter d’avoir unifié les forces d’opposition au Venezuela deux semaines avant qu’il ne se déclare président par intérim, en janvier 2019. Le 30 avril de la même année, M. Guaidó, ainsi que le politicien d’opposition condamné Leopoldo Lopez et d’autres opposants, ont cherché à fomenter une insurrection militaire à Caracas. Mme Freeland a alors diffusé une vidéo appelant les Vénézuéliens à se soulever.

La ministre des affaires étrangères féministe du Canada a répondu de manière cynique aux reportages des médias sur les viols et les agressions sexuelles commis par des membres canadiens de l’ONU en Haïti. À quelques exceptions près, la loi canadienne protège les membres des missions de l’ONU contre les poursuites judiciaires. En réponse à une enquête de la CBC détaillant des viols et des agressions sexuelles commis par des casques bleus canadiens en Haïti, Mme Freeland a déclaré au radiodiffuseur public qu’il était totalement inacceptable que les représentants de l’ordre nuisent aux personnes qu’ils ont pour rôle de protéger, ajoutant qu’« il est important pour nous d’être sûrs d’avoir un cadre ici au Canada qui nous permette de sévir contre toute infraction commise à l’extérieur du pays ». Mais une fois les médias passés à autre chose, aucune nouvelle législation n’a été annoncée.

Dans la même veine, Mme Freeland a fermé les yeux lorsque l’étudiant saoudien Mohammed Zuraibi Alzoabi a fui le Canada en 2019 — vraisemblablement avec l’aide de l’ambassade — pour échapper à des accusations d’agression sexuelle au Cap Breton. Mme Freeland a déclaré aux journalistes que le ministère des Affaires mondiales enquêtait sur cette affaire, mais la demande d’accès à l’information du journaliste Aaron Beswick, du Chronicle Herald de Halifax, donne à penser que les représentants du gouvernement canadien n’ont même pas pris la peine de contacter l’ambassade saoudienne à ce sujet. Mme Freeland s’est certes livrée à une querelle très médiatisée avec la monarchie à cause d’un tweet anodin, mais elle a largement ignoré la violence déployée par l’Arabie saoudite au Yémen, se faisant de surcroît l’écho de la justification de Riyad pour faire la guerre.

« Il existe un risque réel d’escalade si ces attaques perpétrées par les rebelles Houthis se poursuivent et si l’Iran continue de fournir des armes aux Houthis », a proclamé Mme Freeland en 2018. En septembre 2019, celle ci a déclaré publiquement : « L’Arabie saoudite est un partenaire important pour le Canada et nous continuons à travailler avec ce pays sur différentes questions et à différents niveaux. »

Au début de 2017, il a été mis au jour que le grand père ukrainien de Mme Freeland, Michael Chomiak, était un propagandiste nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Mme Freeland a éludé les questions concernant cette affaire en affirmant que Moscou cherchait à « déstabiliser » la démocratie canadienne. Or, Michael Chomiak a effectivement publié un journal en ukrainien dans lequel sont parus des discours d’Hitler et de Goebbels, ainsi que des laïus anti juifs et anti soviétiques des nazis. Il est évident qu’elle ne peut être tenue responsable des méfaits de son grand père, mais il n’en demeure pas moins que Mme Freeland a publiquement fait l’éloge de celui-ci. Qui plus est, elle a détourné les questions à ce sujet en apportant de l’eau au moulin de la russophobie.

Imitant Hillary Clinton, les artisans de la guerre froide et d’autres segments de l’establishment américain, Mme Freeland a enfoncé le clou de l’ingérence électorale russe au Canada. En avril 2019, elle a déclaré qu’elle était très préoccupée à l’idée de voir la Russie s’ingérer dans les élections canadiennes et a affirmé qu’il y avait déjà eu des efforts de la part d’acteurs malveillants pour perturber notre démocratie.

Outre les allégations d’interférence électorale, Mme Freeland a taxé la Russie d’être un rival stratégique. Elle a donné un tour de vis supplémentaire aux tensions avec la Russie en instiguant un renforcement militaire canadien en Europe de l’Est. En 2017, Mme Freeland et le ministre de la Défense Harjit Sajjan ont écrit : « Nous envoyons un message fort de dissuasion à la Russie en poursuivant notre entraînement militaire en Ukraine, par le biais de notre police aérienne en Roumanie, de notre frégate en mer Noire et de notre groupement tactique de l’OTAN dirigé par le Canada, récemment annoncé, en Lettonie. »

Les médias dominants agissent comme des lèche bottes plutôt que comme des journalistes sérieux lorsqu’il s’agit de Mme Freeland. Leur portrait d’elle est souvent carrément embarrassant. The Walrus a titré un article de 2018 : Chrystia Freeland veut réparer le 21e siècle (« Chrystia Freeland Wants to Fix the Twenty-First Century »), tandis qu’un article du Hill Times de 2019 voyaiten Mme Freeland un porte étendard du libéralisme international et d’un ordre international fondé sur règle de droit. La preuve ? Eh bien, c’est elle même qui l’a dit.

Un long profil dans le Globe and Mail paru juste avant l’élection de 2019 pourrait bien être le comble de la honte. Rédigé par les cinq correspondants internationaux principaux du journal, la double page clamant en grand titre que Chrystia Freeland a la politique à cœur (« For Chrystia Freeland, the political is personal ») commençait ainsi : « Il y a deux types de réaction possibles quand on demande aux citoyens du monde ce qu’ils pensent de Chrystia Freeland et de la politique étrangère canadienne sous ses ordres : soit elle représente l’un des derniers espoirs de l’ordre mondial libéral, soit elle est une idéaliste déconnectée de la réalité qui risque de nuire au commerce en engageant des combats diplomatiques que le Canada ne peut espérer gagner. »

On peut supposer que l’équipe d’enquêteurs internationaux de haut vol du Globe n’a pas réussi à trouver quelqu’un qui croyait que Mme Freeland fait la promotion de politiques pro américaines, pro entreprises et pro armée.

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