Si on peut se réjouir de l’arrivée d’un homme issu d’une minorité visible comme chef de parti on peut par contre s’interroger sur le volet religieux de sa pensée qu’il introduit dans le débat public. Monsieur Singh qui porte lui-même le turban sikh, et le kirpan, un canif que portaient également des personnes à qui on a interdit l’entrée de l’Assemblée nationale il y a quelques années, pense que les personnes d’origine sikh qui portent le turban ont raison de demander d’être exemptés du port du casque pour conduire une moto sur la base des libertés individuelles et des chartes des droits au détriment de la sécurité, ce qui est déjà le cas dans deux provinces canadiennes. Monsieur Singh s’oppose également au Projet de loi 62 du gouvernement libéral à Québec qui obligerait les citoyens, nes du Québec à recevoir et offrir les services publics à visage découvert et il est même prêt à contester la légalité d’une telle loi. On peut également supposer que monsieur Singh portera en tout temps en public son turban et son kirpan, tout comme deux ministres du gouvernement Trudeau portent le turban, certains élus d’origine juive qui portent la kippa lorsqu’ils siègent au conseil municipal de Montréal. Je prendrai également comme exemple du retour du religieux dans l’espace public le grand nombre de femmes musulmanes qui travaillent dans les écoles et les CPE de Montréal en portant le foulard musulman. La religion revient donc dans l’espace public non pas par la droite cette fois-ci mais par la gauche, soutenue cette fois-ci par des progressistes et non pas par des conservateurs.
La droite et la gauche, en partant pourtant de prémisses opposées, ont maintenant en commun de vouloir éliminer la frontière entre l’espace public et l’espace privé. Depuis la Révolution tranquille nous avions fait le choix au Québec, sauf exception comme par exemple le Crucifix à l’Assemblée Nationale et l’existence d’écoles monoethniques et religieuses, de ramener le religieux dans l’espace privé à l’encontre de la droite religieuse qui voulait qu’elle occupe encore l’espace public comme à l’époque où le Mouvement scolaire confessionnel dirigeait la CECM, l’ancêtre de la CSDM actuelle et que nous avions des écoles catholiques et des écoles protestantes. La religion et la prédominances religieuse sur d’autres réalités et d’autres droits revient maintenant sur la scène publique non plus sur la droite mais sur la gauche et au nom des libertés individuelles qui depuis plusieurs années prennent le pas sur les choix collectifs de société.
L’arrivée de Monsieur Singh à la tête du NPD nous amène donc à réfléchir de nouveau collectivement sur la place de la religion dans la société québécoise et canadienne et à reprendre la discussion que nous avons mise entre parenthèses depuis la Charte des valeurs du gouvernement de Pauline Marois et la Commission Bouchard Taylor. Accepter cette nouvelle réalité que représente le retour de la religion en force dans l’espace public sans discussion au nom d’une ouverture universelle et de la tolérance serait une grave erreur et ne pourrait qu’amener une polarisation alimentée par les extrêmes, et de nombreux dérapages dont on ne peut jamais prévoir l’issue. Ayons plutôt le courage de reprendre la discussion dans le respect des différents points de vue et que nous savons encore le faire au Québec.
Yves Chartrand
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