Édition du 12 novembre 2024

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Planète

La fabrication des batteries écologiques plonge le Congo dans la misère

En République démocratique du Congo, l’extraction industrielle de cobalt et de cuivre pour fabriquer en Europe les batteries rechargeables entraîne de graves atteintes aux droits humains

Tiré de MondAfrique.

En République démocratique du Congo (RDC), l’expansion de mines industrielles de cobalt et de cuivre a entraîné l’expulsion forcée de populations entières et d’autres graves atteintes aux droits humains, notamment des agressions sexuelles, des incendies volontaires et des violences. Dans un rapport intitulé Alimenter le changement ou le statu quo ?, Amnesty International et l’Initiative pour la bonne gouvernance et les droits humains (IBGDH), une organisation basée en RDC, démontrent que la course à l’expansion des opérations minières d’entreprises multinationales a entraîné l’expulsion forcée de populations de leurs habitations et de leurs champs.« Les expulsions forcées menées lorsque des entreprises cherchent à agrandir des mines industrielles de cuivre et de cobalt détruisent des vies et doivent cesser immédiatement », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International. Et d’ajouter : « La population de la RDC a subi une exploitation considérable et de graves atteintes aux droits humains pendant la période coloniale et postcoloniale et ses droits continuent d’être sacrifiés alors que les richesses qui l’entourent lui sont confisquées. »

La demande croissante de technologies fondées sur une énergie dite propre a entraîné une demande proportionnelle de certains métaux, notamment le cuivre et le cobalt, deux métaux essentiels à la fabrication des batteries lithium-ion. Ces batteries sont utilisées pour alimenter un vaste éventail d’appareils électroniques, comme les véhicules électriques et les téléphones portables. La RDC possède la plus grande réserve de cobalt et la septième réserve de cuivre au monde.

Plus de 13 kg de cobalt sont nécessaires pour produire la batterie d’un véhicule électrique moyen et environ sept grammes sont nécessaires à celle d’un téléphone portable. La demande de cobalt, qui a triplé depuis 2010, devrait atteindre 222 000 tonnes d’ici 2025.Candy Ofime et Jean-Mobert Senga, chercheur·e·s d’Amnesty International qui ont co-écrit le rapport, ont déclaré : « Nous avons constaté plusieurs violations des protections juridiques prévues tant par les normes internationales relatives aux droits humains que par la législation nationale, ainsi qu’un mépris flagrant pour les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU. »

Pour rédiger le rapport Alimenter le changement ou le statu quo ?, Amnesty International et l’IBGDH se sont entretenues avec plus de 130 personnes concernées par six projets miniers différents dans la ville de Kolwezi et aux alentours, dans la province du Lualaba (sud de la RDC), lors de deux visites distinctes en 2022.

Les chercheurs et chercheuses ont analysé des documents, des correspondances, des photos, des vidéos, des images satellites et des réponses reçues des entreprises citées. Les conclusions des recherches sur quatre sites sont présentées dans le rapport et les atteintes aux droits humains constatées sur trois sites sont présentées ci-après. Sur le quatrième site, Kamoa-Kakula, le rapport fait état de conditions de réinstallation insuffisantes. Les réponses des entreprises citées dans le rapport sont disponibles uniquement en anglais.

Des logements démolis

Au cœur de la ville de Kolwezi, des quartiers établis de longue date ont été détruits depuis la réouverture, en 2015, d’une imposante mine de cuivre et de cobalt à ciel ouvert.

Le projet est géré par la Compagnie Minière de Musonoie Global SAS (COMMUS), une filiale commune de l’entreprise chinoise Zijin Mining Group Ltd. et la Générale des carrières et des mines SA (Gécamines), entreprise minière d’État de la RDC.

Environ 39 000 personnes vivent dans le quartier concerné de Cité Gécamines. Les logements, généralement composés de plusieurs pièces, sont installés dans des enceintes délimitées par des clôtures et disposent de l’eau courante et de l’électricité. Il y a des écoles et des hôpitaux à proximité.

Depuis la reprise des activités minières, des centaines d’habitant·e·s ont reçu l’ordre de partir ou ont déjà dû partir. Les habitant·e·s n’ont pas été consultés comme il se doit et les projets d’élargissement de la mine n’ont pas été rendus publics. Certains habitant·e·s n’ont appris que leur logement allait être démoli que quand des croix rouges ont été dessinées sur leurs propriétés.

Edmond Musans, 62 ans, qui a dû démolir sa maison, a déclaré : « Nous, on n’a pas demandé à être délocalisés, c’est la société et le gouvernement qui sont venus nous dire : “Il y a des minerais ici.” »

Les personnes expulsées ont déclaré que l’indemnisation accordée par COMMUS ne leur permettait pas d’acheter un logement équivalent. En conséquence, de nombreuses personnes ont dû déménager vers des logements sans eau courante et sans source d’électricité fiable, en banlieue de Kolwezi, et ont vu leur niveau de vie se dégrader considérablement. Ces personnes n’ont eu accès à aucune voie de recours et n’ont bénéficié d’aucune forme de réparation.

Une ancienne habitante a déclaré : « J’avais une grande maison, avec électricité, eau… Maintenant, j’ai une petite maison, c’est tout ce que j’ai pu acheter avec l’indemnité reçue […], on doit consommer l’eau des forages […] Nous n’avons presque pas d’électricité. »

Cécile Isaka, une autre ancienne habitante, a déclaré que les explosions pour l’agrandissement de la mine avaient créé des fissures si importantes dans sa maison qu’elle avait peur qu’elle s’écroule. Sans autre solution, elle a accepté l’offre d’indemnisation et a démoli sa maison endommagée en 2022 afin de pouvoir réutiliser les briques pour en reconstruire une autre ailleurs.

Edmond Musans a contribué à la création d’un comité pour représenter les intérêts de plus de 200 familles risquant l’expulsion, qui réclamaient une indemnisation supérieure de la part de la COMMUS. Ce comité a fait part de ses doléances aux autorités provinciales, en vain.

COMMUS a déclaré à Amnesty International qu’elle avait pour objectif d’améliorer la communication avec les personnes concernées.

Des maisons brûlées et des habitant·e·s blessés

Près du site de Mutoshi, géré par Chemical of Africa SA (Chemaf), une filiale de Chemaf Resources Ltd., dont le siège se trouve à Dubaï, des personnes interrogées ont déclaré que des militaires avaient brûlé une agglomération informelle nommée Mukumbi.

Ernest Miji, chef de Mukumbi, a expliqué qu’en 2015, après que Chemaf a obtenu le bail de la concession, trois personnes se disant représentants de l’entreprise lui ont rendu visite avec deux policiers pour l’informer qu’il était temps pour les habitant·e·s de Mukumbi de déménager. Il a indiqué que les représentants de l’entreprise étaient venus quatre autres fois.

Se souvenant de l’une des visites, Kanini Maska, une autre ancienne habitante, a déclaré : « Le représentant de Chemaf nous a dit : “Maintenant, vous devez quitter le village.” Nous lui avons demandé : “Où irions-nous ? C’est ici […] que nous élevons nos enfants, nous cultivons et scolarisons nos enfants.” »

Les personnes interrogées ont déclaré que des militaires de la Garde républicaine, une unité militaire d’élite, étaient arrivés un matin et avaient commencé à brûler des logements et à frapper les villageois·es qui essayaient de les en empêcher.

« Nous n’avons rien pu récupérer », a déclaré Kanini Maska, 57 ans. « On n’avait rien pour survivre. On a passé des nuits et des nuits dans la brousse. »

Une petite fille, qui avait deux ans à l’époque et que nous avons choisi de ne pas nommer, a été grièvement brûlée et a des cicatrices irréversibles. Son oncle a déclaré que le matelas sur lequel elle était couchée avait pris feu.

Des images satellites confirment les informations selon lesquelles Mukumbi, qui était composé d’environ 400 structures, dont une école, un établissement de santé et une église, avait été détruite avant le 7 novembre 2016.

Après plusieurs manifestations, Chemaf a accepté, en 2019, de verser 1,5 million de dollars américains par l’intermédiaire des autorités locales, mais certaines personnes n’ont reçu que 300 dollars. Chemaf nie toute faute, responsabilité ou implication dans la destruction de Mukumbi et affirme ne pas avoir ordonné aux militaires de la détruire.

Destruction de cultures et agressions sexuelles

Près de Kolwezi, une filiale d’Eurasian Resources Group SARL (ERG), dont le siège se trouve au Luxembourg et dont l’actionnaire majoritaire est l’État du Kazakhstan, gère le projet Metalkol Roan Tailings Reclamation (Metalkol RTR).

Vingt-et-un agriculteurs et agricultrices faisant partie d’un collectif dont les cultures se trouvaient aux abords de la concession près du village de Tshamundenda ont déclaré que, en février 2020, sans qu’ils aient été consultés et sans aucun préavis, des militaires, dont certains avec des chiens, avaient occupé leurs champs tandis que des bulldozers rasaient leurs cultures.

Une femme, que nous nommons Kabibi pour protéger son identité, a déclaré qu’alors qu’elle essayait de récolter ses cultures avant qu’elles soient détruites, trois soldats l’ont saisie avant de la violer, pendant que d’autres assistaient à la scène.

Kabibi, qui était alors enceinte de deux mois, a eu besoin de soins médicaux. Elle a raconté ce qui lui était arrivé à sa famille et au chef du village, mais était trop effrayée pour le signaler à Metalkol ou aux autorités locales. Elle a plus tard accouché sans complication.

Kabibi a déclaré : « Je suis veuve, je n’ai pas les moyens d’inscrire mes enfants à l’école… À ce jour, je n’ai pas d’emploi ni d’autres sources de revenus. Je vais de maison en maison afin de trouver de quoi manger pour mes enfants. »

Les agriculteurs et agricultrices ont manifesté à plusieurs reprises et ont réclamé une indemnisation, mais aucun recours utile ne leur a été proposé.

En réponse, ERG a déclaré ne pas contrôler le déploiement de militaires. L’entreprise a déclaré que le gouvernement estimait que le collectif d’agriculteurs et agricultrices avait été indemnisé par un ancien opérateur de la mine, ce que les agriculteurs et agricultrices nient.

Il faut mettre fin aux expulsions forcées

Le rapport exhorte les autorités congolaises à mettre fin immédiatement aux expulsions forcées, à créer une commission d’enquête impartiale et à renforcer et faire appliquer les lois nationales relatives aux activités minières et aux expulsions conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.

Les autorités ont activement participé à des expulsions forcées ou les ont facilitées et ont manqué à leur obligation de protéger les droits humains, y compris ceux prévus par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. L’armée ne doit jamais être impliquée dans des expulsions.

Les déclarations des entreprises selon lesquelles elles adhèrent à des normes éthiques strictes sonnent bien creux. Elles ont la responsabilité d’enquêter sur les atteintes aux droits humains identifiées, d’apporter de véritables réparations et de prendre les mesures nécessaires pour empêcher de futurs préjudices. Toutes les entreprises doivent veiller à ce que leurs opérations ne portent pas préjudice aux populations se trouvant en première ligne de l’activité minière.

Donat Kambola, coordinateur de l’IBGDH, a déclaré : « Les entreprises minières internationales impliquées ont largement les moyens de procéder aux changements nécessaires pour protéger les droits humains, de mettre en place des procédures qui améliorent la vie des personnes dans la région et de fournir des réparations pour les préjudices causés. »

Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, a déclaré : « La République démocratique du Congo peut jouer un rôle central dans la transition énergétique pour abandonner les énergies fossiles, mais les droits humains ne doivent pas être piétinés dans la course à l’extraction des minerais permettant de décarboner l’économie mondiale. »

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Nicolas Beau

Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) et l’auteur de plusieurs livres : "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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