Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

La crise climatique, un enjeu de santé et sécurité au travail

L’été 2023 s’annonçait comme le premier véritable été post-pandémique. Après trois ans de crise sanitaire, nous pouvions espérer un certain retour à la normale. Mais les feux de forêt qui ont frappé le Québec tout au long de la saison chaude nous ont rappelé qu’une crise encore plus grande se profile à l’horizon : celle liée aux changements climatiques. Tout comme la crise sanitaire, la crise climatique touche directement les milieux de travail. En ce sens, elle interpelle le mouvement syndical, qui peut prendre des mesures pour y faire face.

Tiré du Monde ouvrier no 146. L’auteur est chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques.

D’après le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la fenêtre pour agir afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré se referme rapidement, mais chaque dixième de degré gagné peut faire une différence dans la vie des habitant·e·s de la Terre. Au cours du siècle, on peut s’attendre à une augmentation des événements météorologiques extrêmes et à une aggravation des catastrophes naturelles. Les averses dangereuses vont être de plus en plus probables. On fera aussi face à un accroissement du risque de tornades, de sécheresses, de feux de forêt et de vagues de chaleur. Selon des prévisions de Santé Canada, le nombre de journées de plus de 30o pourrait tripler d’ici 2080.

Ces changements affecteront directement les travailleuses et les travailleurs. En 2018, une vaste étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) – l’équivalent français de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) – a évalué les risques induits par le réchauffement climatique sur la santé au travail. D’après l’étude, il y a consensus autour du constat que les changements climatiques vont mener à une hausse de la fréquence et de la gravité des risques professionnels. Parmi les risques directs identifiés, il y a ceux associés aux vagues de chaleur, qui peuvent provoquer la déshydratation, les coups de chaleur et même la mort. Mais il y a aussi des risques indirects. Par exemple, les auteurs et autrices de l’étude mentionnent que la chaleur élevée peut nuire à la qualité du sommeil, ce qui peut engendrer une baisse de vigilance au travail, et donc accroître la probabilité que des accidents surviennent. L’étude préconise le développement d’une « culture de la prévention » face aux impacts des changements climatiques.

Pistes d’action syndicale face aux changements climatiques

Il faut donc dès maintenant poser des gestes pour limiter le réchauffement de la planète et repenser l’organisation du travail afin de réduire les risques associés aux perturbations du climat. On peut par exemple mettre en place des mesures pour éviter que des gens soient forcés de travailler lorsque les conditions ne sont pas sécuritaires.

Il serait ainsi possible d’instaurer des congés climatiques dans les conventions collectives et dans les normes du travail. Ces congés pourraient prendre une forme individuelle ou collective. Les congés individuels pourraient fonctionner de la même manière que les congés de maladie. Au cours d’une année, chaque personne aurait la possibilité de s’absenter du travail un certain nombre de jours lorsqu’une condition météorologique inhabituelle met en péril sa santé, sa sécurité, sa capacité à travailler ou sa capacité à se rendre au travail. Pensons par exemple aux familles qui ont subi l’inondation de leur maison à Longueuil en septembre 2022 ou à Baie-Saint-Paul en mai 2023. Parions qu’elles auraient souhaité pouvoir prendre un congé payé au moins le temps de gérer la catastrophe.

Les congés collectifs consisteraient à fermer automatiquement un milieu de travail (ou à limiter automatiquement le temps de travail) au-delà d’un certain seuil qu’on juge dangereux. En France, il existe déjà des « congés intempéries » pour les personnes employées dans le domaine de la construction. Des élu·e·s français·e·s ont proposé de mettre en place des « congés canicule » qui toucheraient l’ensemble des milieux de travail. En Allemagne, un·e salarié·e ne peut travailler plus de 4 heures lorsqu’il fait 29°C sur son lieu de travail. Quand la température atteint 35°C, le travail doit être suspendu pour la journée. Les établissements scolaires allemands doivent aussi fermer lorsqu’il fait trop chaud dans les salles de classe, l’idée étant qu’il est difficile de se concentrer quand la température est trop élevée.

Le droit de refuser de faire une tâche pourrait aussi être repensé en tenant compte des changements climatiques. À l’heure actuelle, la Loi sur la santé et la sécurité du travail reconnaît qu’un travailleur ou une travailleuse peut refuser d’exécuter une tâche s’il ou elle a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou psychique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger. Dans un contexte où les risques climatiques augmentent, il importe de prendre en considération les conditions météorologiques dans lesquelles la tâche se déroule pour juger de sa dangerosité.

Mais pourrait- on pousser encore plus loin la réflexion sur la notion de tâche dangereuse ? Pourrait-on envisager de reconnaître que l’exécution d’une tâche peut porter atteinte à l’environnement et à la biodiversité ? La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît depuis 2006 le droit de toute personne de « vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité ». Or, certaines activités commerciales et industrielles mettent en péril ce droit.

L’industrie fossile, notamment, représente une grave menace pour la planète et son expansion doit être stoppée, selon le rapport 2022 du GIEC. Conséquemment, on pourrait concevoir que le droit de refus soit étendu à des tâches jugées dangereuses du point de vue des risques climatiques. À titre d’exemple, si le droit de refus était appliqué de cette façon, des fonctionnaires chargé·e·s d’évaluer un projet de pipeline ou des travailleurs et travailleuses chargé·e·s de construire une telle infrastructure pourraient se prévaloir de ce droit pour refuser d’y participer. Ce droit de refus pourrait alors servir de fondement pour planifier une transition écologique à l’échelle des entreprises.

Dans les milieux de travail et dans l’espace public, des campagnes pour l’instauration de congés climatiques et pour l’extension du droit de refus seraient sans doute de bonnes occasions de sensibiliser la population aux conséquences des bouleversements climatiques.

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Guillaume Tremblay-Boily

Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)

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