L’usine MAL (Magyar Aluminium), située à Ajka, affirme sur son site [merci au traducteur !] : « Environnement :…Notre société est profondément attachée à minimiser les impacts négatifs en respectant des normes européennes. Des technologies et un équipement modernes sont utilisés pour garantir des eaux naturelles et la protection de la pureté de l’air. Très bien localisé, bien bâti, un système de stockage fiable avec moniteur est conçu pour le stockage des boues rouges [...]. La norme de système de management environnemental ISO 14001 a été introduite en 1999. »
Une synthèse du marketing obligé de la firme privatisée qui doit affirmer sa rentabilité et de la politique de la droite dure – et même extrême – qui fait le profil d’une démocratie capitaliste et « représentative » exemplaire, donnant suite à un régime bureaucratique autoritaire, placé sous surveillance de l’URSS.
Des brèches de plus en plus grandes s’élargissent dans la digue du réservoir. C’est ce que Zoltan Illes, ministre de l’environnement, a affirmé dimanche 10 octobre 2010 au matin (BBC-World, 10 octobre 2010). Quelque 500’000 mètres cube pourraient s’échapper si les travaux ne sont pas effectués très vite et bien. Selon le quotidien Publico.es, du 10 octobre 2010, moins de 200 mètres séparent des « piscines de boues toxiques » d’Ajka Tosokberénd, périphérie d’Ajka. Jamais la population n’a été « consultée » par l’usine MAL. Les moyens mis à disposition par le gouvernement pour protéger les populations sont ridicules. Dérisoires.
Pour rappel, en octobre 2000, le gouvernememnt d’Hongrie affirmait dans un communiqué au sein de l’U : « Un désastre environnemental majeur a frappé la partie hongroise des rivières Szamos et Tisza, avec des conséquences catastrophiques pour l’écologie qui affecteront directement la vie quotidienne de centaines de milliers de personnes pendant les années à venir. Une quantité importante de cyanure (environ 100000 mètres cubes contaminés), qui s’est échappée d’une installation industrielle dans la rivière Szamos en Roumanie, est entrée sur le territoire hongrois le 1er février 2000 et a atteint la rivière Tisza le 3 février 2000. Au point d’entrée, la concentration du cyanure a atteignait 32,2 milligrammes par litre, soit 180 fois plus que le seuil de pollution. »
En effet, le 30 janvier 2000, une digue liée à une mine d’or, près d’Oredea, au nord-ouest de la Roumanie, s’était rompue. Avec les conséquences décrites ci-dessus.
Cela n’empêche pas, qu’en 2003, une société canadienne, S.C. Gold Corporation Rosia Montana – sise légalement dans la Caraïbe et à la tête de laquelle se trouve un ex-roumain exilé en Australie – engage un travail titanesque dans la région d’Oredea : « S.C. Gold Corporation a obtenu de l’Etat roumain, contre 3 millions de dollars, les droits d’exploitation du gisement d’or et d’argent des montagnes alentour, d’une superficie de 80 kilomètres carrés, pour vingt-cinq ans. Aujourd’hui, c’est le deuxième plus grand gisement d’or connu au monde. Selon les prospections, les montagnes recèlent près de 300 tonnes d’or, dont on peut en extraire de 80 à 90 %. On y trouve aussi 1400 tonnes d’argent dont les deux tiers peuvent être extraits. Il est vrai que, pour y arriver, il va falloir déloger les habitants de quatre communes. A Rosia Montana et dans les villages environnants, il faut en effet démolir 900 maisons. D’après les experts indépendants, l’entreprise pourrait en tirer un profit de 2 milliards de dollars. » (Courrier International, 23.01 2003). Or, ce projet – qui a reçu tous les avantages habituels : impôts, pas de droits de douane, cela dans le cadre de la corruption généralisée – implique : « l’utilisation massive du cyanure. Pour extraire l’or, l’entreprise tient à cette technologie [qui consiste à imbiber de cyanure le minerai à faible teneur d’or, préalablement broyé], pourtant interdite par plusieurs directives européennes. La capacité de stockage des draineurs de cyanure prévus dans le projet est cinq fois supérieure à celle de Baia Mare [dans les Maramures], cette autre mine d’or de Transylvanie, dont le nom est lié à une catastrophe écologique : le 30 janvier 2000, près de 100’000 mètres cubes d’effluents, soit 3 tonnes de cyanure, s’étaient déversés dans l’écosystème, et l’on avait retrouvé 1200 tonnes de poissons morts dans la rivière Tisza [ou Tyza, en Ukraine]. »
Ces faits – auxquelles il faut ajouter les déplacements de populations suite à l’installation d’une mine et/ou suite à un accident – légitiment la perspective éco-socialiste-démocratique défendue dans l’article. (Réd.)
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La catastrophe d’Ajka en Hongrie, où l’on a vu un déferlement de boues rouges toxiques polluant sur plus de 100 kilomètres jusqu’au Danube, est une catastrophe qui aurait pu être évitée. De fait, cette catastrophe était « planifiée », « annoncée ». Il est parfaitement absurde – régime bureaucratique autoritaire et privatisation sauvage l’expliquent – de stocker à ciel ouvert ces boues rouges provenant du traitement du minerai d’aluminium, appelé bauxite, afin d’en extraire l’alumine (oxyde d’aluminium qui dans un deuxième temps sera traité pour en extraire le métal aluminium).
Ce n’est d’ailleurs pas le seul site à faire cela, dans les Bouches-du-Rhône, à Gardane, le stockage est identique, sauf qu’il s’agit de boues sèches dans ce cas. En allant sur Google Maps, on l’aperçoit très bien. Notons en passant que le nom de bauxite vient directement des Baux-de-Provence où elle a été découverte par le chimiste Pierre Berthier en 1821.
On sait comment contrôler des digues de retenue, on sait comment les construire et on sait même comment faire de ces boues rouges un produit stable pouvant être utilisé dans la construction. Le recyclage de ces boues est possible. Cela sous certaines réserves concernant la radioactivité qui peut être présente, mais pas dans tous les cas. En effet, certaines de ces boues peuvent contenir une radioactivité, d’origine naturelle, un peu plus élevée du fait de la concentration des produits issus du processus industriel d’extraction de l’alumine. Mais dans l’ensemble, il s’agit de questions assez élémentaires relevant de travaux de génie civil.
Quant à la question du contrôle, on peut considérer deux aspects. Le premier auquel on procède au moyen de technologies adéquates connues. L’autre, tout aussi efficace et peu coûteux – et qui devrait être légalement obligatoire – réside dans le contrôle et droit de veto exercés par les salarié·e·s de l’entreprise. Ils sont en permanence sur le site et sont capables de constater, au quotidien, l’évolution du processus industriel et de son impact sur l’environnement.
Compte tenu de l’aspect social que présentent la santé publique et le bien-être qui sont des « biens communs », ce contrôle par les salarié·e·s et les décisions qui s’imposent devraient être socialement transversales – puisque c’est le corps social dans son entier qui est concerné — et indépendant de la hiérarchie de l’entreprise. La santé publique et le bien-être doivent être au-dessus des intérêts particuliers de l’entreprise.
Cette catastrophe en particulier et les catastrophes écologiques en général qui détruisent la santé et le bien-être des salarié·e·s ainsi que la terre nourricière (au sens propre du terme et sans le ton quelque peu lyrique sur lequel on prononce parfois cette expression) doivent être intégrées aux mouvements revendicatifs et pensées sur un long terme.
En effet, dans le cas d’Ajka, ces boues rouges sont ce qui reste de l’extraction du maximum d’alumine. Ces boues contiennent un oxyde de fer qui leur donne sa couleur rouge, couleur que l’on retrouve dans l’hémoglobine du sang ou dans la couleur ocre de villages comme Roussillon en Provence.
On y trouve encore un oxyde de titane, de calcium et de silicium ainsi que certains autres métaux lourds selon la provenance du minerai et les traitements subis. Divers scientifiques considèrent que le terme « métaux lourds » sert parfois à cacher une autre facette : cette boue contient de l’hydroxyde de sodium. La solution issue de la dissolution de ce cristal est appelée soude, voire soude caustique.
Or, ces produits polluants sont des produits très stables, que l’on trouve en grandes quantités sur des terres de culture et dans des proportions que la terre ne peut pas assimiler. Ils ne vont donc pas disparaître comme cela. Ils vont rester là où ils sont et rendre les terres stériles. On peut facilement comprendre que la terre ne peut pas être traitée comme l’eau dans une centrale de dépollution.
Dans ce genre de catastrophe, comme celle d’Ajka, le long terme constitue donc une question lancinante et cauchemardesque puisqu’il va falloir traiter des espaces allant jusqu’à 100 kilomètres de long, des ruisseaux, sans parler de l’infiltration de la pollution dans la nappe phréatique.
Certes, le cas n’est pas le même, mais on peut tout de même se hasarder à faire une comparaison : l’assainissement de la décharge de la chimie bâloise, sur une surface de deux hectares à Bonfol [1] près de Bâle, a demandé la construction d’une halle couvrant plus de la moitié de la décharge ! Alors une pollution qui s’étend sur des kilomètres …
Il n’y pas que la pollution de la terre qui doit être pensée sur un long terme. Il en va de même pour les cours d’eau. En effet, la pollution d’une rivière, d’un lac ou même de la mer est une affaire à très long terme et cela pour plusieurs raisons. Les produits toxiques s’infiltrent dans les sols en provenance de l’écoulement de l’eau à partir des champs, par la pluie ou l’arrosage par exemple. Puis les fonds de rivières, des lacs ou des mers, qui ont absorbé une grande quantité de polluants. relâchent lentement ces polluants dans l’eau.
Ces polluants ont au moins trois incidences directes. Premièrement, le polluant tue directement les êtres vivants qui l’absorbent en se nourrissant. Deuxièmement, le/les polluants modifient ce que l’on appelle la « tension superficielle de l’eau ». Troisièmement, ils modifient le pH de l’eau. La tension superficielle de l’eau peut être imaginée comme une sorte de « peau », plus ou moins difficile à traverser, permettant notamment les échanges entre l’eau et l’oxygène de l’air. Ce qui arrive le plus souvent, c’est que l’eau va ainsi s’appauvrir en oxygène. La vie est donc petit à petit étouffée. Le pH indique le degré d’acidité de l’eau. Ce pH est dit neutre lorsqu’il vaut 7. C’est le cas de l’eau pure. Au-dessous de 7, on considère que l’eau est acide ; au-dessus, on l’appelle basique. Une eau ne serait-ce que légèrement acide a pour effet de détruire les carapaces de certains coquillages, par exemple.
L’intuition la plus élémentaire nous fait donc bien percevoir ici que ces questions ne se régleront pas en deux coups de cuillère à pot, qu’un changement social même radical ne va pas dépolluer la terre comme par miracle et que l’héritage sera très lourd…
Ce n’est pas notre propos de nous étendre ici sur la notion de catastrophe écologique. Mais il s’agit d’un domaine où le débat au sein de la gauche manque, et plus particulièrement au sein de la gauche qui se dit anticapitaliste. Les mouvements « étroitement » écologiques ne devraient pas exister en tant que tels, car ils sont le produit d’une vision partielle et « hachée » de la société et du mode de production et de reproduction de cette dernière.
Nombre de revendications écologiques peuvent (et doivent) s’intégrer dans une dynamique de santé au travail, de santé publique – donc de sécurité sociale, au vrai sens du terme – ou encore, pour illustration de base, l’exigence « de produits bios » pour les enfants dans les crèches.. Ce sont des faits d’évidence. On s’arrêtera ici, mais ce ne sont pas les exemples et les domaines qui manquent.
Alors, pour les cultivateurs de la région d’Ajka qui sont désormais des « licenciés » ad aeternam, quelle perspective humaine et sociale reste-t-il, pour eux qui ont perdu leurs terres et les cultures ? Quel sera l’avenir de toute une région avec ses terres devenues stériles et ses nappes phréatiques polluées jusqu’au Danube, y compris le fleuve lui-même ?
A cela s’ajoute ce que le docteur Terence Hale, sur le site de NewScientist, souligne : les effets à moyen et long terme sont sous-estimés. L’aluminium, par divers biais, est considéré comme un des nombreux facteurs dans le développement de la maladie Alzheimer [2]. De quoi poser la question de la « pollution » sous l’angle d’un mode de production qui « pille » la force de travail, les êtres humains qui la « portent » et le « cadre naturel », placé qu’il est sous le fouet de la concurrence entre capitaux privés et le profit accaparés par les « possesseurs » décisifs ; les vrais décideurs.
1. Projet d’assainissement de la Décharge Industrielle de Bonfol, bci Betriebs-AG, 2003
2. Aluminium and Alzheimer’s disease, Alzheimer’s Society
(tiré du site À l’encontre)