13 mai 2024 | tiré de pivot.québec | Premier plan : Édifice Jacques-Parizeau, siège de la CDPQ. Photo : Jean Gagnon (CC BY-SA 3.0). Montage : Pivot
Au courant de l’année 2023, la Caisse de dépôt et placement du Québec a doublé ses avoirs dans des entreprises ciblées par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) menée pour mettre de la pression sur l’État d’Israël, et ce, malgré le lourd bilan de l’offensive guerrière en cours.
Selon les données du plus récent rapport annuel de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), le fonds d’investissement qui gère la caisse de retraite de l’État québécois, a plus que doublé ses avoirs totaux dans onze entreprises liées à l’apartheid israélien. Ces sommes sont passées de 559,9 millions $ au 31 décembre 2022 à 1204 millions $ au 31 décembre 2023.
Ces chiffres concordent avec une analyse effectuée par le groupe Labour for Palestine, qui a noté plus spécifiquement que les avoirs de la CDPQ en titres émis par des entreprises sur le marché américain et impliquées dans l’apartheid israélien étaient passés de 444 millions $ US à 836 millions $ US entre le 30 septembre et le 30 décembre 2023.
L’actuelle campagne militaire d’Israël contre Gaza a été déclenchée suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Cette attaque a fait au moins 1160 morts. La réponse punitive israélienne a fait près de 35 000 morts, selon les autorités sanitaires locales, la majorité des civil·es. La population fait face à la famine, selon l’ONU, et 84 % des infrastructures médicales ont été détruites ou endommagées, selon un rapport de la Banque mondiale. Le 26 janvier dernier, la Cour internationale de justice a jugé qu’il y avait un « risque plausible de génocide » à Gaza.
La CDPQ a augmenté sa participation financière dans les compagnies suivantes : Hewlett-Packard, Intel, Leidos, General Electric, Caterpillar et Palantir. Elle possède également des investissements dans General Dynamics, Honeywell, Lockheed Martin, Boeing et Northrop Grumman.
Toutes ces entreprises contribuent aux efforts de guerre de l’armée israélienne, au contrôle quotidien des populations palestiniennes soumises à l’apartheid dans les territoires occupés, ou encore bénéficient de ce régime d’apartheid. C’est pourquoi elles sont ciblées par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), une campagne internationale ciblant Israël et ses partenaires, appelant notamment à leur retirer tout soutien financier.
En réponse aux questions de Pivot concernant cette augmentation de l’investissement dans des compagnies ciblées par la campagne BDS, un représentant de la Caisse a répondu : « Nous suivons de près l’évolution du conflit et sommes évidemment préoccupés par son impact sur les populations dans la région.
Qui sont ces entreprises ciblées par la campagne BDS ?
Hewlett-Packard (HP) : Cette entreprise informatique est impliquée dans l’infrastructure technologique qui permet le système de contrôle de la population palestinienne. Elle fournissait les serveurs hébergeant les bases de données du système Aviv, contenant des données sur la population palestinienne dans le territoire occupé de Jérusalem-Est, mais ce programme touche à sa fin. L’entreprise fournit toujours des services de maintenance informatique pour les prisons et des serveurs pour les forces policières.
Intel : En décembre 2023, l’entreprise informatique et électronique a annoncé des plans pour la construction d’une usine de processeurs en Israël, un investissement historique évalué à 25 milliards $.
Leidos : Cette entreprise d’armement fournit des technologies de surveillance utilisées dans les points de contrôle dans les territoires palestiniens occupés. Elle fournit aussi les prototypes pour un mur de défense au laser.
General Electric (GE) : L’entreprise fournit des turbines et des services de maintenance pour des éoliennes dans les territoires occupés du Golan syrien. GE fournit des moteurs utilisés par plusieurs avions et hélicoptères de l’armée israélienne.
Caterpillar (CAT) : Les bulldozers de Caterpillar ont été utilisés pour démolir les maisons des Palestinien·nes dans les territoires occupés et pour la construction de colonies illégales. L’entreprise fournit des bulldozers blindés à l’armée israélienne.
Palantir : Cette entreprise logicielle, fondée par le milliardaire conservateur et libertarien Peter Thiel, offre des services de renseignement et de surveillance à l’armée israélienne. Elle offre également un service de « police prédictive », utilisant l’intelligence artificielle. En janvier 2024, Palantir a conclu un partenariat stratégique avec les forces armées israéliennes pour offrir du soutien lors de « missions de guerre ».
General Dynamics : Cette compagnie d’armement fournit Israël en munitions et en armements.
Honeywell : Cette entreprise aérospatiale fournit des moteurs pour l’aviation militaire israélienne. Ses usines fabriquent des composantes pour le l’avion F-35 de Lockheed Martin.
Lockheed Martin : Première compagnie d’armement mondiale, ses avions militaires F-16 et F-35 sont utilisés contre la population de Gaza. L’entreprise fabrique les missiles utilisés par les hélicoptères Apache de Boeing, employés durant le génocide plausible en cours.
Boeing : Cette entreprise aéronautique fabrique de l’armement vendu aux forces armées israéliennes. Des filiales canadiennes de Boeing fabriquent des composantes pour les hélicoptères Apache de la compagnie ainsi que les avions F-15 de Lockheed Martin.
Northrop Grumman : Cette compagnie d’armement fournit des systèmes de missiles pour les hélicoptères Apache et des systèmes de guidage au laser pour les avions de chasse.
Le courriel explique que les investissements de la CDPQ « dans la région » équivalent à moins de 0,1 % de ses actifs. Les compagnies ciblées ne sont pourtant pas des entreprises localisées au Moyen-Orient, mais plutôt des entreprises faisant affaire avec Israël et profitant du conflit en cours.
« La CDPQ est parmi les investisseurs les plus respectés au monde sur les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qu’on applique de manière rigoureuse », ajoute la Caisse.
La campagne BDS
Omar Barghouti, co-fondateur du mouvement BDS et récipiendaire du prix Gandhi pour la paix en 2017, explique que ce mouvement non violent et antiraciste né en 2005 « est dirigé par la plus grande coalition dans la société civile palestinienne ». Ce mouvement s’est inspiré de la lutte victorieuse contre l’apartheid sud-africain.
« Bien avant le génocide, BDS a joué un rôle dans le désinvestissement de fonds d’investissement d’État géants en Norvège, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et ailleurs [pour qu’ils retirent leur argent] des compagnies et banques complices », rapporte M. Barghouti.
« L’impact du mouvement a grandi considérablement avec l’assaut d’Israël contre les 2,3 millions de Palestinien·nes dans le territoire occupé et assiégé de Gaza, ce que la Cour internationale de justice a qualifié de génocide plausible ».
Omar Barghouti rappelle qu’en février 2024, des expert·es en droits humains de l’ONU appelaient à un arrêt « immédiat » de l’exportation d’armes vers Israël, en raison du risque qu’elles soient utilisées pour commettre des violations sévères du droit international. Selon ces expert·es, les mesures à prendre par les États envers Israël pourraient inclure des « sanctions sur les échanges commerciaux, la finance, les voyages, la technologie et la coopération ».
Pour le porte-parole de la campagne BDS, le fait que l’État israélien dédie un ministère, le ministère des Affaires stratégiques, pour combattre la campagne de BDS est un gage de son efficacité. « Israël et ses groupes de lobbys aux États-Unis ont dépensé des centaines de millions $ au cours des dernières années », ajoute-t-il.
La CDPQ a déjà joué un rôle dans le désinvestissement
Nous avons demandé à M. Barghouti, comment il voyait l’augmentation des investissements de la CDPQ dans les entreprises ciblées par BDS. « Les Palestinien·nes ne mendient pas la charité au monde. Nous appelons à la solidarité, mais avant tout, nous appelons à mettre fin à la complicité. Au minimum, ne faites pas de tort », a-t-il répondu.
« Les syndicats et organisations progressistes au Québec ont déjà joué un rôle clé pour mettre fin à la complicité honteuse du Québec et du Canada dans l’apartheid colonial israélien. »
« L’année dernière, ce sont les pressions exercées sur la Caisse qui ont finalement contraint Allied Universal, la société mère du mammouth de la sécurité G4S, à complètement cesser ses activités en Israël », dit Omar Barghouti.
En effet, la campagne BDS avait lancé une campagne contre l’entreprise G4S en 2012. L’entreprise G4S est une multinationale de la sécurité acquise par Allied Universal en 2021. G4S possédait en partie une école de police israélienne et offrait également des services pour les prisons israéliennes et les postes de contrôle dans les territoires occupés.
La CDPQ avait investi dans Allied Universal dès 2019. En mai 2023, le député solidaire Haroun Bouazzi demandait à la CDPQ comment elle pouvait justifier un tel investissement, alors que des révélations de torture contre des prisonniers politiques, incluant des mineurs, étaient documentées en Israël.
Le patron de la Caisse avait répondu qu’il était d’accord et que son institution mettait de la pression sur l’entreprise, dont elle détenait alors 28 %.
La pression sur Allied Universal avait poussé l’entreprise G4S à cesser ses activités en Israël en juin 2023, citant des dommages réputationnels et des pertes de contrats en raison de la campagne BDS.
« Nous appelons les personnes de conscience au Québec, la société civile et les syndicats, à le faire de nouveau, à pousser la CDPQ à cesser ces investissements honteux dans des compagnies d’armement qui permettent le génocide en cours », dit Omar Barghouti.
« Le retour sur ces investissements est imprégné du sang palestinien, des villes, universités et hôpitaux rasés par les bombardements, des dizaines de milliers de Palestinien·nes massacré·es par les forces génocidaires israéliennes. »
Un projet de loi pour des investissements éthiques
Le député solidaire de Maurice-Richard, Haroun Bouazzi, a questionné le patron de la Caisse de dépôt à nouveau cette année, lors de l’étude des crédits budgétaires. « On a attiré l’attention de la Caisse sur des investissements qui sont tout à fait contraires à l’éthique », dit-il en entrevue.
Il rappelle qu’il a récemment déposé le projet de loi 299, qui propose que « la question du respect des droits de la personne et la question du respect des limites de la capacité de la planète, la lutte contre la crise climatique, soient intrinsèquement inscrites dans [la] mission [de la CDPQ] ».
Pour le député solidaire, « la Caisse doit revoir ces investissements dans un contexte où la Cour internationale parle de génocide plausible ».
Haroun Bouazzi ajoute qu’il y a quelques semaines, tous les partis ont « salué le courage de [l’ex-premier ministre canadien Brian] Mulroney dans la question du boycott de l’Afrique du Sud pour lutter contre l’apartheid ». Il se désole que cet hommage ne soit pas accompagné d’une véritable volonté politique et que le gouvernement décide de « fermer les yeux sur des investissements financiers qui ne font que contribuer à la politique de colonisation, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité, voire au crime de génocide ».
« On a montré qu’on est capable d’être meilleur que ce qu’on fait en ce moment », affirme le député Bouazzi. Mais il craint qu’on « va se retrouver à redire “ plus jamais ” devant un crime dont on a été témoin au jour le jour ».
Auteur·e
SAM HARPER
Sam Harper est journaliste d’enquête pour Pivot, depuis le Bas-Saint-Laurent. Il est passionné par la cybersécurité et les renseignements de sources ouvertes. Il s’intéresse également aux inégalités sociales et à l’extrême droite. Il est titulaire d’un doctorat en médecine et d’un DEC en techniques de l’informatique. Mastodon : mstdn.social/@acetum
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