Tout au moins, cette accusation est implicite dans certains propos tenus par des juristes selon qui le respect des minorités, de leurs croyances et de leur droit à l’intégration sociale se trouverait mis en péril par le projet Legault. Ils soutiennent que la protection des minorités forme un des piliers de la démocratie et qu’elle ne doit pas dépendre uniquement de la volonté de la majorité des citoyens et citoyennes.
C’est vrai, mais d’importants bémols doivent être apportés à cette assertion.
Tout d’abord, il ne faut pas confondre « dictature de la majorité » et « loi de la majorité ». Imposer une mesure d’intérêt public forte du soutien d’une majorité populaire n’équivaut pas pour un gouvernement élu (même avec une minorité de suffrages) à brimer le droit de minorités spécifiques, religieuses dans ce cas-ci. Céder au chantage agressif de la contestation juridique des représentants et représentantes de ces groupes reviendrait pour le gouvernement Legault à renier une des pièces majeures de sa plate-forme électorale.
Il est légitime par ailleurs de contester un projet de loi ou une loi qu’on juge injuste par voie juridique et même dans la rue, en particulier quand elle favorise indument des intérêts privés au détriment de groupes importants de la population comme les travailleurs et les étudiants.
Dans le cas des signes religieux, la question est d’un autre ordre : celle d’affirmer sans ambiguïté un principe général, celui de la neutralité religieuse de l’État. Il ne s’agit pas de brimer des droits mais d’imposer une mesure qui garantit l’égalité de tous et de toutes dans le secteur civique, quelle que soit l’affiliation religieuse de ses agents et agentes.
On peut dénoncer cette mesure, la combattre devant les tribunaux mais pas la qualifier de « dictature de la majorité » (une expression passe-partout, en voie de devenir une idée reçue).
Après tout, au 19ème siècle à l’époque de la révolution industrielle alors que le droit de vote était encore censitaire et limité, plusieurs capitalistes et politiciens s’opposaient à sa généralisation sous prétexte, entre autre, de protéger la minorité des riches contre l’éventuelle dictature des pauvres, peu à même selon eux de participer à la gestion de la Cité...
Dans le cas qui nous occupe, ce que certains et certaines revendiquent en attaquant le projet Legault est la possibilité pour des minorités religieuses de se soustraire à la loi de la majorité pour évoluer dans de petits ghettos culturels, comportant leurs propres règles mais de bénéficier en même temps d’un accès égal à tout le monde dans le secteur civique (fonction publique, justice, police, enseignement public) en conservant leur exclusivisme religieux ostentatoire.
Rappelons ici qu’aucun droit fondamental n’est nié par le projet gouvernemental, qui vise juste à s’assurer que les agents de l’État affichent une nécessaire neutralité religieuse dans l’exercice de leur travail. Ces personnes conservent le droit de pratiquer leur religion, mais pas celui d’imposer leurs emblèmes religieux dans les relations qu’elles entretiennent forcément avec les simples citoyens et citoyennes, croyants ou pas. C’est clair et équilibré.
Je formule l’hypothèse (fort vraisemblable) que la majorité des pratiquants et pratiquantes de tous les horizons est d’accord avec ce principe, à tout le moins qu’elle ne s’y oppose pas.
L’hostilité à son endroit provient plutôt du courant intégriste (qu’il ne faut pas confondre avec la majorité des musulmans et celle d’autres confessions religieuses, dont les membres sont modérés) et bien entendu, des tenants et tenantes du multiculturalisme à la Trudeau.
Pourrait-on alors parler dans ce cas d’une opposition entre une majorité religieuse accommodante envers la laïcité de l’État d’une part, et d’autre part une minorité intégriste intransigeante ?
Le proche avenir nous l’apprendra.
Jean-François Delisle
Un message, un commentaire ?