Tiré de Plateforme altermondialiste.
Les accords de Camp David entre l’Égypte et Israël, la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak (lancée en septembre 1980)… ces événements ont tous débuté sous Jimmy Carter.
Son successeur, Ronald Reagan, a soutenu le dirigeant irakien Saddam Hussein, a été témoin de l’assassinat du président égyptien Anouar al-Sadate en octobre 1981, de l’invasion israélienne du Liban et de l’expulsion de l’OLP de Beyrouth en 1982, ainsi que du massacre de Sabra et Chatila en septembre de la même année – une période qui a abouti et s’est finie sur la première Intifada.
George H. W. Bush a quant à lui eu droit à la première guerre du Golfe et à la conférence de Madrid en 1991.
Bill Clinton a connu l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995 et l’échec du sommet de Camp David en 2000 entre le Premier ministre israélien Ehud Barak et le dirigeant palestinien Yasser Arafat, un processus qui s’est terminé avec la seconde Intifada.
L’ombre jetée par George W. Bush sur la région est encore plus prégnante : destruction de l’Irak (autrefois puissant pays arabe), essor de l’Iran en tant que puissance régionale, déchaînement de conflits sectaires entre sunnites et chiites, essor du groupe État islamique. Vingt ans de conflit ont été engendrés par sa décision d’envahir l’Irak en 2003.
La grande supercherie
L’espace d’un instant, sous le mandat du président Barack Obama, la flamme d’un nouveau départ avec le monde musulman a vacillé. Mais la croyance en le fait que l’administration américaine soutiendrait la démocratie n’a pas fait long feu.
Ceux qui avaient osé espérer furent cruellement déçus par le président qui a osé tourner les talons. Une fois au pouvoir, les musulmans ont été laissés tomber comme de vieilles chaussettes, tout comme les Afro-Américains.
À l’occasion de deux moments de grande tension – le coup d’État militaire égyptien en 2013 et le meurtre du journaliste américain James Foley en 2014 –, Obama, lauréat du prix Nobel de la paix pour ses « efforts extraordinaires pour renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples », est retourné à sa partie de golf.
Obama a refusé de qualifier le renversement du premier président élu démocratiquement en Égypte de putsch, et son secrétaire d’État John Kerry en aurait fait de même si le président turc Recep Tayyip Erdoğan n’avait pas échappé de peu à un assassinat et que le coup d’État avait été couronné de succès.
L’histoire de la diplomatie et des interventions militaires américaines au Moyen-Orient est une succession d’échecs et la liste des États en déliquescence n’a fait que s’allonger à chaque investiture.
La retraite militaire décidée par Obama après « avoir dirigé de l’arrière » en Libye et l’intervention allégée en Syrie ressemblait à la Bérézina. Dans ce tumulte, deux piliers de la politique américaine ont émergé : une détermination inébranlable à soutenir Israël, quel qu’en soit le prix, qu’importe que ses Premiers ministres et ses colons sapent les efforts de paix. Et un soutien par défaut aux monarques absolus, aux autocrates et aux dictateurs du monde arabe.
Méchante sorcière
Entre à présent en scène la méchante sorcière de cette pantomime.
Trump a entrepris de détruire le consensus le Moyen-Orient en donnant carte blanche à la droite religieuse nationaliste juive en Israël. Deux idéologues et donateurs des colonies en sont l’incarnation : Jared Kushner, gendre et conseiller de Trump, et David Friedman, son ambassadeur en Israël.
Sous prétexte de pensée créative, ils ont détruit le consensus qui avait nourri la recherche d’une solution au conflit palestinien de chaque administration américaine précédente : les frontières négociées sur les lignes de front de 1967, Jérusalem-Est comme capitale, le droit au retour des réfugiés.
Ils ont effacé les frontières de 1967 en reconnaissant le plateau du Golan et l’annexion des colonies, ils ont reconnu l’intégralité de Jérusalem comme la capitale d’Israël et ont cessé de financer l’agence pour les réfugiés palestiniens, l’UNWRA. L’apogée fut le coup de grâce porté à un État palestinien : la reconnaissance par trois États arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn et Soudan) d’Israël dans sa forme territoriale actuelle.
Cela signifie la reconnaissance de 400 000 colons habitant dans près de 250 colonies en Cisjordanie, sans compter Jérusalem-Est ; la reconnaissance des lois faisant de ces colonies des « îlots » israéliens ; la reconnaissance d’une 3e génération de colons israéliens. C’est à tout cela qu’ont décidé d’adhérer les Émirats arabes unis, Bahreïn et maintenant le Soudan.
Redessiner la carte
« Quand les choses se tasseront, dans quelques mois ou dans un an, le conflit israélo-arabe sera terminé », s’est vanté Friedman. Mais ce triomphalisme sans détour sera aussi éphémère et aussi funeste que celui de George W. Bush après son atterrissage sur un porte-avion portant la désormais célèbre bannière proclamant « Mission accomplie » en Irak.
Les États du Golfe seront parmi les plus grands perdants en cas de défaite de Trump cet automne
Je me dissocie de ceux qui relèguent les accords d’Abraham dans les poubelles de l’histoire.
Mais ils sont vidés de leur substance lorsque le ministre des Affaires stratégiques israélien découvre que 90 % des internautes sur les réseaux sociaux arabophones condamnent la normalisation émiratie ; le Washington Institute recense un taux d’approbation de 14 % parmi les Saoudiens.
À l’évidence, d’après ces chiffres, Friedman devra attendre longtemps avant que l’opinion publique arabe entre dans le XXIe siècle, comme il le dit.
Mais l’absence de soutien public à travers le monde arabe vis-à-vis de la normalisation ne signifie pas que celle-ci n’aura pas d’effets. Elle va effectivement redessiner la carte du Moyen-Orient – mais pas vraiment dans le sens espéré par Friedman et les colons. Jusqu’à ce que lui et ses semblables prennent le contrôle de la Maison-Blanche, Washington jouait sur une séparation utile entre les deux piliers de la politique américaine : le soutien inconditionnel à Israël d’un côté et aux dictatures arabes de l’autre.
Cela permettait à Washington de proclamer qu’Israël était la « seule démocratie » au Moyen-Orient, l’autorisant ainsi à se défendre dans « un voisinage difficile », tout en faisant tout leur possible de l’autre côté pour que ce voisinage reste difficile, en soutenant les familles au pouvoir qui répriment les Parlements, la démocratie et tourmentent leur peuple.
Il s’agit de tactiques classiques des colonisateurs, bien rodées par les empires britannique, français, néerlandais et espagnol. Et cela a fonctionné pendant des décennies. Tout président américain aurait pu faire ce qu’a fait Trump, mais le fait est qu’ils ne l’ont pas fait. Cela signifie qu’eux, au moins, avaient prévu les dangers de fusionner le soutien à Israël avec le soutien aux dictatures arabes explosives et sujettes aux révolutions.
Trump est à la fois ignorant et profondément inconscient car tout ce qui lui importe dans ce processus, c’est sa propre personne. Adulte présentant tous les symptômes d’une blessure narcissique infantile, Trump a pour unique demande au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que lui seul soit salué comme le sauveur d’Israël.
Lors d’une conversation téléphonique avec Netanyahou sur haut-parleur devant les journalistes de la Maison-Blanche, Trump a demandé : « Est-ce que tu penses que Joe l’endormi aurait pu conclure cet accord, Bibi ? Joe l’endormi ? Est-ce que tu penses qu’il aurait pu conclure cet accord d’une manière ou d’une autre ? Je ne crois pas. » Netanyahou a marqué une longue pause avant de répondre. « Eh bien… Monsieur le Président, ce que je peux vous dire, c’est… euh, que nous apprécions l’aide de quiconque en Amérique pour parvenir à la paix… Et nous apprécions énormément ce que vous avez fait. »
Jouer le tout pour le tout
En jouant le tout pour le tout, l’ère de l’ambiguïté utile de la politique américaine au Moyen-Orient touche à sa fin. Occupants israéliens et despotes arabes sont désormais ouvertement dans les bras les uns des autres. Cela signifie que le combat contre les despotes dans le monde arabe revient à libérer la Palestine occupée.
On pourrait penser que cela n’a que peu de conséquences car le Printemps arabe, qui a causé de tels bouleversements en 2011, a été voué à la tombe il y a longtemps. Mais il serait idiot de penser cela, et l’ancien ambassadeur israélien en Égypte Yitzhak Levanon n’est certainement pas un idiot.
Écrivant dans Israel Hayom, Levanon se demande si l’Égypte est sur le point de connaître d’un nouveau soulèvement : « Le peuple égyptien rêvait d’ouverture et de transparence après le renversement de Moubarak, qui était perçu comme un dictateur. Les Frères musulmans sont exilés et persécutés. Il n’y a pas d’opposition. Une réforme constitutionnelle permet à Sissi de rester à la présidence jusqu’en 2030 et la loi l’autorise à contrôler le pays par des moyens draconiens, dont des arrestations et exécutions politiques. L’histoire moderne nous enseigne que cela peut affecter l’ensemble de la région. »
Un autre ancien ambassadeur israélien a fait part de son inquiétude à propos de l’effet de Trump sur Israël. Barukh Binah, ancien ambassadeur au Danemark et chef adjoint de mission à Washington, note que les traités de paix que Trump a signés l’ont été avec les amis existants d’Israël et ne permettaient en rien de sortir le pays de l’impasse diplomatique dans laquelle il se trouve avec ses ennemis.
« Trump est considéré par beaucoup comme le meilleur ami d’Israël mais, tout comme il l’a fait avec les États-Unis, il nous a isolé de la communauté occidentale à laquelle nous appartenons. Au cours des quatre dernières années, nous avons développé une dépendance à une drogue psychédélique puissante et unique en son genre baptisée “Trumpion” – et lorsque le dealer quittera la Maison-Blanche, Israël n’aura plus qu’à rentrer en désintox », écrit Barukh Binah.
Une importante leçon
Avec les accords de Camp David, l’Égypte fut le premier pays arabe à reconnaître Israël en 1978. En 1994, la Jordanie fut le second avec la signature par le roi Hussein d’un traité de paix au poste-frontière de Wadi Araba. Le fait que les deux États arabes qui formaient la première vague aient tellement perdu au change est un signe de plus d’un manque de réflexion et de planification derrière la seconde vague de reconnaissance en 2020.
Une vague de reconnaissance chasse l’autre. Ce n’est pas l’œuvre d’un peuple qui a soigneusement réfléchi à cela.
Le Jordanie perd progressivement le contrôle des lieux saints à Jérusalem. L’Égypte perd l’argent et le trafic du canal de Suez, qui est contourné par un pipeline qui va transférer des millions de tonnes de pétrole brut de la mer Noire à Ashkelon. La construction d’une voie de chemin de fer grande vitesse entre les Émirats arabes unis et Israël est également en projet. L’Égypte est sur le point d’être contournée par la terre et par la mer.
En 1978, l’Égypte était le plus puissant et le plus peuplé des États arabes. Aujourd’hui, elle a perdu son importance géopolitique. C’est une leçon importante que devraient retenir tous les dirigeants arabes.
Certains dirigeants de la région l’ont compris. La nouvelle alliance entre Israël et les États du Golfe a généré d’autres alliances déterminées à défendre la Palestine et les droits des musulmans. Il suffit de regarder à quel point la Turquie se rapproche du Pakistan et de l’Iran. Et à quel point le Pakistan est proche de renoncer à son alliance militaire de longue date avec l’Arabie saoudite.
La leçon pour la Palestine
La Cisjordanie n’est pas moins explosive que l’Égypte. Dans le cadre de leurs efforts pour contraindre le président palestinien Mahmoud Abbas à accepter l’accord, l’aide arabe à l’Autorité palestinienne (AP) a chuté de 81 % au cours des huit premiers mois de l’année, passant de 198 millions à 38 millions de dollars.
L’AP refuse d’accepter les taxes qu’Israël collecte en son nom, depuis qu’Israël a commencé à déduire l’argent que l’AP versait aux familles des combattants palestiniens morts. Si l’AP avait accepté cette déduction par Israël, elle serait également morte à l’arrivée. L’Union européenne a refusé de pallier ce déficit.
Avec le gel quasi-total de la coordination en matière de sécurité avec Israël et les arrestations israéliennes nocturnes en Cisjordanie, l’enclave est une poudrière. Abbas ne va pas être tenté de réprimer la prochaine flambée de mécontentement populaire, comme il l’a fait constamment par le passé.
Les Palestiniens ont attendu longtemps après la création de l’État d’Israël pour mettre en place une sérieuse campagne de reconquête de leur territoire perdu. Ils ont patienté d’avril 1949 à mai 1964, lorsque l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été fondée pour restaurer « un État palestinien indépendant ».
Ils ont attendu encore plus longtemps que le principe d’échange de la terre contre la paix leur rende leur terre. Trump, Kushner et Friedman ont prononcé son décès, tout comme celui de la solution à deux États. L’expression qu’ils ont pris soin de ne pas prononcer dans toutes les conférences et présentations de leur projet était « État palestinien ».
Une fois de plus, les Palestiniens sont seuls et contraints de reconnaître que leur destinée est entre leurs seules mains.
Les conditions qui ont abouti à la première Intifada sont réunies et n’attendent qu’une génération de jeunes qui n’étaient pas encore nés le 8 décembre 1987. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’un autre soulèvement ne se concrétise car c’est désormais la seule façon pour eux de sortir de la spirale infernale de l’expansion israélienne, de la trahison des Arabes et de l’indifférence internationale.
Reconnaître Israël ne fonctionne pas. Les discussions non plus.
Voilà l’héritage de Trump. Mais c’est également, hélas, l’héritage de l’ensemble des présidents qui l’ont précédé. Les accords d’Abraham entraîneront la région dans des conflits pour les décennies à venir.
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