La réaction initiale du voyageur face à cette mesure serait la joie et en même temps l’incrédulité : le changement d’attitude des autorités après l’assassinat de Fyssas a été surprenant. Le fait est que ces mêmes autorités disposaient d’informations détaillées sur les activités criminelles du parti depuis plusieurs années. La violence raciste est quotidienne et les médias internationaux, les ONG nationales et internationales et même la Commissaire aux Droits de l’Homme de l’UE s’en sont fait l’écho. Pour beaucoup, la violence raciste était devenue leur pain quotidien. Les autorités judiciaires et politiques n’avaient aucune volonté d’agir ; la législation antiraciste grecque n’a jamais été appliquée (le Parlement a récemment repoussé une version améliorée de cette législation) et les auteurs des attaques jouissaient d’une impunité totale.
Calcul politique
Il y a moins d’un an, Nikos Dendias, ministre de l’Ordre Public, insistait sur le fait qu’il n’y avait aucun lien entre la police et l’Aube Dorée et menaçait « The Guardian » d’une plainte pour diffamation quand ce journal britannique informa sur des cas de torture de militants antifascistes par la police. Néanmoins, avec l’assassinat de Fyssas, Dendis s’est vu forcé d’initier une enquête sur ces relations. Plusieurs officiers supérieurs de la police ont été licenciés ou mis à la retraite. Le lendemain de l’assassinat, 32 plaintes judiciaires ont été déposées contre l’Aube Dorée pour des incidents violents, dont certaines victimes sont mortes.
Notre Athénien se demanderait sans doute : pourquoi les autorités ne sont-elles pas intervenues avant ? Pourquoi le font-elles maintenant ? Parce que la victime était un Grec ? Cela fait très longtemps que l’Aube Dorée aurait du être qualifiée d’organisation criminelle et traînée devant les tribunaux pour cela. Cela aurait été une mesure automatique dans la majorité des pays européens. Après l’assassinat, des politiciens européens ont exprimé leur dégoût et certains ont proposé que la Grèce ne soit pas autorisée à exercer la présidence tournante de l’UE en janvier tant que ses autorités ne prenaient pas des mesures contre les néonazis
Mais peut-être que la motivation principale de la réaction inattendue du gouvernement grec a été le fruit d’un calcul politique : jusqu’il y a très peu de temps, d’influents politiciens et commentateurs conservateurs envisageaient sérieusement le fait que le parti de droite Nouvelle Démocratie (ND) doive prendre en considération la possibilité de former un gouvernement de coalition avec les néonazis si ceux-ci se montraient plus « modérés ».
Le gouvernement évoquait le mouvement antifasciste de gauche comme l’un des « extrêmes » violents en dépit du fait que ce mouvement s’oppose depuis des années au nazisme. Cette « théorie des deux extrêmes », historiquement ignorante et moralement perverse, servait à faire peur à la population et à l’éloigner des organisations de gauche et des mouvements sociaux qui résistent aux attaques des néonazis et qui soutiennent leurs victimes. Le gouvernement de coalition du ND et du PASOK (Parti socialiste) s’attend maintenant à ce que la dénonciation des activités criminelles de l’Aube Dorée lui permette de récupérer les électeurs de celle-ci.
En conséquence, la sensation est aigre-douce : même si elle arrive tardivement, l’arrestation avec tambours et trompettes de la direction de l’Aube Dorée constitue un soulagement pour beaucoup. Pour les immigrés de la ville d’abord, qui pourront marcher tranquillement dans les rues d’Athènes. Pour les homosexuels, les militants de gauche, les antifascistes et tous ceux qui s’indignaient de la présence provocatrice de l’Aube Dorée dans la vie quotidienne et dans la politique du pays. Toute personne ayant la peau un peu sombre devait marcher prudemment dans les rues d’Athènes. Le danger était partout.
Responsabilité gouvernementale
Néanmoins, peu de choses ont changé sur le plan institutionnel. L’application du droit pénal à quelques délinquants ne permettra pas d’en finir avec le racisme généralisé alimenté par le gouvernement de coalition ND et PASOK. C’est Andreas Loverdos, une figure connue du PASOK, qui a qualifié l’Aube Dorée de « Hezbollah grec » parce qu’ils « interviennent sur les grandes questions » et « suscitent la confiance ». C’est Vyron Polydoras, ex-ministre ND, qui a proposé de former une coalition avec eux. Et c’est le Premier ministre lui-même, Samaras, qui a déclaré en mars 2012 : « Nos villes sont occupées par les immigrés illégaux ; nous allons les récupérer ». Tenant sa parole, ce gouvernement a lancé une campagne policière ironiquement appelée « Xenios Zeus » (Zeus hospitalier) avec des ratonnades contre les personnes à la peau sombre et des arrestations d’immigrés sans papiers dans des « camps de rétention ».
C’est ce même gouvernement qui a rejeté la réforme de la loi de citoyenneté de 2010, celle qui offrait pour la première fois aux immigrés de la seconde génération la possibilité d’acquérir la nationalité grecque. Le gouvernement et les autorités ont criminalisé les malades atteint du HIV (Sida) et les drogués ; il a pourchassé et arrêté illégalement des anarchistes et des antifascistes ; il a réduit les salaires et les pensions ; il a vu comment le chômage des jeunes a explosé à plus de 60% ; il a fermé des hôpitaux et mené les universités au bord de la faillite. Tel est le grand paradoxe du démantèlement de l’Aube Dorée : le même gouvernement qui menace la démocratie et se montre indulgent avec le fascisme prétend obtenir aujourd’hui des lettres de noblesse démocratiques en combattant « l’extrémisme ».
L’Aube Dorée est tout à la fois un parti politique et une bande criminelle et l’interdiction de partis politiques est souvent problématique et inefficace. La loi peut interdire mais non éliminer les idées fascistes : ces dernières doivent être combattues politiquement. Pour la plupart des gens, la lutte contre l’Aube Dorée ne se limite pas à applaudir la détention théâtrale de sa direction. L’antifascisme est une lutte politique liée au type de société dans laquelle nous voulons vivre. Cette lutte est menée quotidiennement par des citoyens, des militants, des associations de la société civile et des communautés immigrées. C’est une lutte pour la démocratie, la solidarité et la justice sociale. Il n’est pas possible de la gagner sans infliger une défaite à l’injustice systémique de l’austérité.
Source : http://gu.com/p/3j677