Tiré de Reporterre.
« Non, désolé, vous ne pouvez pas rester dans la salle d’audience. » Mercredi 27 septembre, les agents de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) répétaient inlassablement la même chose aux journalistes venus nombreux de toute l’Europe. S’excusant presque. « Il n’y a plus de place à l’intérieur. » Il faut dire que l’affaire examinée était hors normes. C’est la première fois dans l’histoire de cette institution que trente-deux États sont mis en accusation dans une même procédure.
Les requérants n’étaient que 6 — dont 3 frères et sœurs. De jeunes Portugais âgés de 11 à 24 ans, profondément marqués par les incendies ayant ravagé leur pays en 2017. Anxieux quant à leur avenir dans un monde promis aux crises et aux épisodes de chaleur extrême en raison du réchauffement climatique. Pour eux, les trente-deux États poursuivis ont manqué à leurs obligations en ne mettant pas en place des mesures suffisantes pour réduire significativement leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour le dire autrement, tous contribuent au réchauffement climatique à cause de leur inaction. Et cette dernière fait peser une lourde menace sur leurs vies.
Leurs ressentis sont mitigés à la fin de la journée d’audience : déçus des prises de position des représentants des gouvernements, ils et elles sont cependant optimistes quant à l’issue de leur procédure. « Nous avons le sentiment que les juges nous ont écoutés », assure Claudia Duarte Agostinho, l’une des requérantes. La décision de la CEDH devrait être rendue publique en 2024.
Les six jeunes fondent notamment leur action sur l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui consacre le droit à la vie et l’article 8 relatif au respect de la vie privée et familiale. Ils s’appuient également sur l’Accord de Paris sur le climat de 2015 (adopté lors de la COP21) pour rappeler les États à leurs obligations : prendre toutes les mesures nécessaires afin que les températures n’augmentent pas de plus de 1,5 °C d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle.
Ils ont déposé leur demande en 2020. Celle-ci a été étudiée en urgence par l’institution. L’audience n’est qu’une partie de la procédure qui se joue pour une large part à l’écrit, dans l’échange de questions et de rapports.
Une responsabilité collective
Avant de se pencher sur cette question de fond, les débats se sont d’abord ouverts sur la recevabilité de l’affaire : la CEDH est-elle compétente pour juger ce cas ? Les représentants des États mis en accusation étaient les premiers à prendre la parole pour dire que non. Normalement, les requérants doivent épuiser toutes les voies de recours dans leurs pays avant de se tourner vers la Cour européenne. Ce que n’ont pas fait les six militants. Ces derniers ont expliqué par la voix de leurs avocates que l’affaire est trop grave et trop urgente : suivre cette procédure dans chacun des trente-deux pays aurait pour effet de ne pouvoir juger l’affaire sur le fond. Au rythme où s’accélère le réchauffement climatique, il sera trop tard.
Autre point d’importance : six jeunes Portugais peuvent-ils demander des comptes à des pays dont ils ne sont pas ressortissants quant à leur inaction climatique ? Là encore, les États jugent que non. « Ce serait ouvrir la porte à un afflux de requêtes », expliquait Sudhanshu Swaroop, avocat représentant le Royaume-Uni.
Les avocates des requérants, elles, ont dit qu’une tonne de CO2 produite en France a les mêmes effets qu’une tonne produite au Portugal : accélérer le réchauffement global. Ce dernier « ne connaît pas de frontières ». Pour Maître Macdonald, ne pas se saisir de ce dossier « équivaudrait à dire que le problème est trop grand, trop compliqué, trop global, donc la Cour devait détourner les yeux. D’après ces États, les droits humains qui ont surgi des ruines de l’Europe après la guerre ont atteint la fin de leur chemin. Ils ont tort ».
Enfin, les États ont jugé que les six jeunes ne pouvaient se prévaloir du statut de victime, au motif que le réchauffement climatique ne les touche pas plus particulièrement que n’importe qui d’autre sur Terre. Un argument balayé d’un revers de main par les avocates : cela voudrait dire que plus une situation touche un grand nombre de gens, moins les États auraient à en répondre.
- « Les États se cachent derrière les questions de forme »
Particulièrement longue, l’audience s’est concentrée finalement sur la recevabilité plutôt que sur le fond de l’affaire. À aucun moment les États n’ont mis en avant le fait qu’ils ont pris des mesures nécessaires pour réduire suffisamment leurs émissions de gaz à effets de serre. « On voit bien qu’ils se cachent derrière les questions de forme pour ne pas avoir à répondre », a estimé Sebastien Duyck, juriste senior au Center for international environnemental Law, après les débats.
L’affaire est loin d’être anodine : si la CEDH se saisit du dossier et estime que les États ont manqué à leurs obligations, elle pourra les obliger à agir pour réduire leurs émissions. Sa décision vaudra également pour les pays signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme non mentionnés dans l’affaire. De quoi faire grincer les dents des représentants des États qui n’ont pas manqué de préciser que, pour eux, la procédure engagée par les jeunes mettrait la CEDH non en position de juge, mais de « législateur ».
« C’est assez triste ce que nous venons d’entendre aujourd’hui, a réagi Claudia Duarte Agostinho. Les gouvernements ont finalement dit que ce qui se passe tout autour de nous n’est pas important. Ils minimisent l’impact du changement climatique sur nos droits humains. En dehors de la salle d’audience, ils disent tout ce qu’il est bon de dire sur l’urgence climatique. Mais aujourd’hui, ils ont nié le fait que ce à quoi nous sommes confrontés, c’est que les choses s’aggravent. »
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