Édition du 12 novembre 2024

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LGTB

Jean Coutu n'est plus « notre ami »

Vendredi dernier, la chaine de pharmacies Jean Coutu annonçait aux artisans de la revue Fugues que leur publication ne serait plus distribué dans leur réseau. Mobilisation et lettre du magazine et recul de Jean Coutu sur toute la ligne. Une victoire pour la cause LGTB et une défaire pour les tentatives homophobes. Voici la correspondance de Yves Lafontaine, rédacteur en chef et directeur de Fugues et les excuses de Jean Coutu pour l’"imbroglio".

Jean Coutu n’est plus « notre ami »

Yves Lafontaine

Le Groupe Jean Coutu a fait savoir qu’il interdira dorénavant la distribution de Fugues dans les présentoirs placés dans 18 pharmacies de la chaîne depuis plus d’une décennie. Le prétexte évoqué ? Il s’agirait d’un « magazine sexuel ».

Tiré du site LaMetropole.com (http://www.lametropole.com).

Une perception rétrograde qui démontre que rien n’est acquis. L’intolérance peut prendre bien des visages, même celui d’une institution liée à la santé comme Jean Coutu. Moins d’une semaine après la tenue, à Montréal, des célébrations de la Fierté LGBT, on nous a fait savoir que le Groupe Jean Coutu interdisait dorénavant la distribution du magazine Fugues dans les présentoirs du distributeur, placés dans dix-huit pharmacies de la chaîne. Le prétexte évoqué par Patrice Caron, directeur principal des Opérations détail du Groupe Jean Coutu, est que Fugues serait un magazine sexuel… voire érotique.

( MISE À JOUR TOUT EN BAS DE L’ARTICLE )

En discutant avec ce dernier j’ai constaté, malgré la politesse de nos échanges, que l’entreprise avait une vision très (très) conservatrice — voire passéiste — de la réalité d’aujourd’hui, ainsi que de sa clientèle. M. Caron et son employeur semblent oublier qu’environ dix pour cent de leurs clients sont des gais, des lesbiennes, des bisexuels ou des trans (LGBT) et que près de 2000 d’entre eux se procuraient Fugues chaque mois, via Jean Coutu, depuis plus de douze ans. Sans doute la haute direction de Jean Coutu l’ignore, mais Fugues existe depuis 30 ans cette année. C’est le média d’information principal de la communauté LGBT au Québec.

Fugues a été de tous les combats et de toutes les revendications depuis 30 ans, pour une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité. Il a été un acteur important lors des débats sur la reconnaissance des conjoints de fait de même sexe et du mariage gai. Et s’intéresse toujours aux enjeux et tendances qui traversent les communautés LGBT d’ici et d’ailleurs. Le contenu du magazine, fort varié, va de l’actualité communautaire, sociale et politique (abordant régulièrement les questions de discrimination et d’homophobie), en passant par les arts et la culture, la vie de nuit, les conseils consommation et bien vivre. On y trouve également une quinzaine de chroniques et des entrevues majeures avec des personnalités qui font l’événement, tels que — dans l’édition de ce mois-ci — le militant des droits Peter Tatchell, la championne mondiale de basketball Cynthia Ouellet et le comédien Benoit McGinnis.

Avec plus de 575 points de distribution à travers le Québec et un tirage de plus de 42 000 exemplaires papier et près de 10 000 téléchargements de ses versions numériques, Fugues rejoint environ 250 000 personnes chaque mois. Inutile de dire qu’avec un lectorat si ciblé et si intéressant économiquement, plusieurs entreprises, dont les principales institutions financières (Desjardins, Groupe TD, Banque Royale et Banque Nationale), plusieurs grands groupes pharmaceutiques, des concessionnaires automobiles, des cliniques médicales, des centres d’esthétisme, des promoteurs d’évènements de toutes sortes et de projets immobiliers, des hébergements, des restos et des bars, sont présents régulièrement dans nos pages, à la fois pour rejoindre une clientèle de choix, mais aussi pour soutenir un média essentiel à une communauté, encore aujourd’hui trop souvent victime de discrimination ou d’intimidation.

En plein mois des célébrations de la Fierté LGBT de Montréal et de Québec, on peut se demander ce qui a justifié la décision de Jean Coutu, sachant que Fugues était déjà distribué depuis plus d’une décennie dans environ une vingtaine de ses pharmacies (deux d’entre elles le distribuaient même depuis près de 20 ans). Au fil des ans, le contenu du magazine a évidemment évolué, mais pas vers un contenu plus sexuel, bien au contraire.

Mais au fond, peut-être ne devrais-je pas être surpris de cette décision. En effet, en 30 ans, JAMAIS le Groupe Jean Coutu n’a daigné annoncer dans nos pages, malgré les nombreux contacts et sollicitations de notre équipe de vente, et ce, même lors d’éditions spéciales consacrées à la santé et au bien être, à la question de la diversité sexuelle en milieu du travail ou lors des éditions de la Fierté. Comme entreprise, Jean Coutu, a évidemment la liberté de choisir ses stratégies de communication comme elle l’entend, mais L’INTERDICTION de distribuer Fugues dans ses pharmacies va plus loin. L’entreprise envoie maintenant un MESSAGE CLAIR et évident DE REJET, qui sera interprété par « n’ayez pas trop l’air gais », « on ne veut pas de magazines comme ça, ici » « vous n’êtes plus les bienvenus » et « on veut votre argent, mais n’exprimez surtout pas votre réalité »...

Cela dit, aussi désolante soit-elle, cette décision n’est pas dramatique pour autant pour Fugues. En quelques heures notre distributeur aura trouvé d’autres lieux bien plus ouverts (dont évidemment des pharmacies concurrentes) pour distribuer les 1800 exemplaires de Fugues qui étaient disponibles jusqu’à tout récemment dans les entrées de dix-huit Jean Coutu. Mais, par le geste posé, il semble évident que les personnes LGBT créent un malaise auprès des employés, de la direction et des partenaires d’affaires de Jean Coutu.

Par principe, suite à la récente décision que Patrice Caron m’a décrite au téléphone comme « finale et sans appel », et afin de protéger nos lecteurs, nous les encourageons fortement à se procurer Fugues ailleurs et à choisir pour leurs achats des commerces et établissements qui ont démontré très clairement une RÉELLE ouverture. La décision de Jean Coutu est très mal avisée, ne serait-ce que dans une optique de relations publiques. Sans doute s’agit-il d’un réflexe du passé, motivé par une ou quelques plaintes de clients ou d’employés rétrogrades à l’esprit fermé, inconscients que le Québec est une société ouverte et diversifiée. « Vivre et laisser vivre », ne dit-on pas ? À ce que je sache, personne n’est obligé de prendre un exemplaire de Fugues si le contenu ne l’intéresse pas ou s’il ne correspond pas à ses valeurs.

Lors des nombreuses entrevues que j’ai accordées cet été, dans le cadre du 30e anniversaire de Fugues et de l’exposition présentée jusqu’au 31 août à l’Écomusée du Fier Monde (« Fugues se souvient »), j’ai souvent rappelé combien l’ouverture à la différence s’est faite rapidement au Québec, en particulier au niveau des droits. Mais j’ai également émis mes craintes d’un retour en arrière, d’une possible résurgence de l’intolérance. Et qu’il fallait à ce sujet rester très vigilant. La décision corporative du Groupe Jean Coutu est la preuve tangible que rien n’est acquis et que l’intolérance peut prendre bien des visages, même celui d’une institution québécoise respectée comme Jean Coutu. Une institution qui, au fil des ans, a tout fait pour qu’on croie qu’on y trouvera « de tout, même un ami »... 

Yves Lafontaine

Rédacteur en chef et directeur de Fugues
et dorénavant ex-client de Jean Coutu

Groupe Jean Coutu offre ses excuses

Mise à jour le 22 Août 2014 - 11H30

Quelques heures à peine après la diffusion du communiqué du magazine Fugues signé de son rédacteur en chef Yves Lafontaine appelant au boycott du Groupe Jean Coutu pour cause d’homophobie, l’entreprise s’est empressée de publier une note d’excuse et de rétractation sur son site Facebook qui se lit comme suit :

"Le Groupe Jean Coutu souhaite assurer à la communauté que le magazine Fugues continuera d’être distribué dans les succursales de son réseau. Le retrait envisagé n’émanait pas d’une décision corporative. Nous nous excusons sincèrement auprès de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transsexuelle et transgenre (LGBT) ainsi qu’à tous ceux et celles qui ont pu être offensés par cette situation."

Tout a démarré lorsque le directeur principal des opérations de détails chez Jean Coutu, Patrice Caron, a ordonné le retrait du Fugues de dix-huit succursales de son réseau au prétexte que c’était une publication sexuelle, voire érotique.

On peut comprendre la frayeur qui a pu s’emparer de la haute direction en imaginant ce qu’aurait pu être la concrétisation d’un boycott systématique dans tout le Québec, des 450 mille gais et lesbiennes et de leurs proches. C’aurait été des pertes se chiffrant en millions de dollars.

Il n’en reste pas moins que le Fugues qui célèbre cette année ses 30 ans d’existence n’a jamais eu aucune publicité du Groupe Jean Coutu, au contraire des autres compétiteurs du domaine de la pharmacie.

Stéphane Maestro

Éditeur

LaMetropole.com

La lettre du Groupe Jean Coutu

Bonjour Monsieur Lafontaine,

Nous tenons à vous informer que nous avons bien pris connaissance de votre éditorial et nous sommes sincèrement désolés de cette situation. Le retrait envisagé de votre revue n’émanait pas d’une décision corporative et je vous assure qu’elle ne sera pas retirée de nos succursales. C’est une revue de qualité dont nous reconnaissons l’importance. Voici le texte que nous avons publié sur nos plateformes sociales ce matin :

Le Groupe Jean Coutu souhaite assurer à la communauté que le magazine Fugues continuera d’être distribué dans les succursales de son réseau. Le retrait envisagé n’émanait pas d’une décision corporative. Nous nous excusons sincèrement auprès de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transsexuelle et transgenre (LGBT) ainsi qu’à tous ceux et celles qui ont pu être offensés par cette situation.

Hélène Bisson

Vice-présidente Communications

Groupe Jean Coutu

Yves Lafontaine

Rédacteur en chef et directeur de Fugues.

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