I. En dépit du fait que les objectifs du millénaire soient démesurément modestes, ils ne seront même pas atteints.
Au niveau mondial la réduction limitée du pourcentage de la population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour résulte de l’évolution en Chine et en Inde [La Chine et l’Inde ne sont pas des modèles. [2], pays qui n’ont pas appliqué le consensus de Washington.
L’humanité a les possibilités matérielles de garantir à chaque être humain le respect des droits humains fondamentaux bien au-delà des modestes Objectifs du Millénaire. Il est évident que ce n’est pas un manque de ressources qui constitue le problème.
II. L’explication qui prévaut dans les documents produits par les institutions comme la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE… n’est pas convaincante et sert à consolider des politiques qui sont à l’origine de la crise car elles ont fragilisé les pays en développement qui les ont acceptées.
Les recommandations ou impositions de ces institutions découlent de plusieurs dogmes :
Le premier est relatif au financement du développement par l’endettement. Cela conduit la grande majorité des pays en développement à adopter un comportement absurde. En effet, bien que les pays en développement, - principalement les exportateurs de matières premières et la Chine - détiennent l’immense majorité des réserves internationales (en dollars surtout) répertoriées de par le monde, ils continuent de s’endetter. Que font ils ? Ils achètent des bons du Trésor des Etats-Unis, c’est-à-dire qu’ils prêtent au gouvernement américain. Ils déposent ces bons du Trésor dans les coffres de leur banque centrale et émettent ensuite des titres de la dette publique à Wall Street ou sur leur marché interne. C’est totalement absurde : en effet, les bons du Trésor ont un rendement très faible alors que les bons que les pays en développement émettent qui sont en dollars rémunèrent les créanciers avec des taux beaucoup plus élevés [3]. Les dirigeants de ces pays feraient beaucoup mieux de ne pas s’endetter et d’utiliser leurs réserves pour des investissements productifs et des dépenses sociales pour améliorer les conditions de vie de leurs populations.
Le second dogme est celui du libre échange et de la libre circulation des capitaux, des biens et des services. Cette liberté de circulation ne s’applique pas dans les pays les plus industrialisés aux travailleurs et aux personnes en général ce qui est en contradiction complète avec la théorie néolibérale. En effet, il faut rappeler qu’Adam Smith, référence des néolibéraux, était lui, en faveur de la liberté de circulation et d’établissement des travailleurs.
Le troisième dogme complètement en contradiction avec la réalité est l’idée selon laquelle donner aux pauvres un meilleur accès au marché permet de mettre fin à la pauvreté alors que l’éradication de la pauvreté est du ressort de l’Etat par la mise en œuvre de changements structurels mettant fin à l’injustice sociale.
Le rôle néfaste des politiques macro-économiques connues comme le consensus de Washington a été mis en lumière à de nombreuses reprises au cours des 20 dernières années.
Un exemple : la crise alimentaire de 2007-2008
En 2007-2008, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 140 millions. Cette augmentation a été le résultat d’une forte hausse des prix des denrées alimentaires [4]. Dans beaucoup de pays en développement, cette augmentation du prix des aliments au détail a atteint 50%.
Pourquoi cette augmentation ?
D’une part les pouvoirs publics du Nord ont augmenté leurs aides et leurs subventions aux agrocarburants (mal nommés biocarburants alors qu’ils n’ont rien de bio, rien d’ « écologique »). Il est ainsi devenu tout à coup rentable de remplacer des cultures destinées à l’alimentation humaine par des cultures de fourrage et d’oléagineux ou de détourner une partie de la récolte de grains (mais, blé…) vers la production d’agrocarburants. Il en a résulté une réduction de l’offre d’aliments sur le marché mondial et de ce fait une augmentation des prix au niveau mondial.
D’autre part, depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2007 aux Etats-Unis et par ricochet au reste du monde, la spéculation des grands investisseurs (fonds de pension, banques d’investissement, hedge funds…) s’est déplacée vers les marchés où se négocient les contrats des denrées alimentaires de base – en particulier 3 bourses américaines spécialisées dans le marché à terme de grains : Chicago, Kansas City et Minneapolis-.
Les pays en développement – du fait des politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale depuis la crise de la dette qui les a privé de toute forme de protection indispensable – se sont trouvés particulièrement vulnérables. En effet, ces politiques ont conduit à la réduction des surfaces destinées aux cultures vivrières, à la spécialisation dans un ou deux produits d’exportation, à la disparition des systèmes de stabilisation des prix, à l’abandon de la production autosuffisante de céréales et à la réduction de leurs réserves, à l’affaiblissement des économies du fait d’une extrême dépendance des marchés mondiaux, d’une forte réduction des budgets sociaux, de la suppression des subventions aux produits de base, de l’ouverture des marchés qui aboutit à la mise en concurrence injuste des petits producteurs locaux avec les multinationales… Maîtres dans l’art du pillage, les institutions mises en cause reconnaissent certaines erreurs pour mieux rester au centre du jeu international. Alors qu’elles ont commis le crime d’imposer un modèle économique qui a délibérément privé les populations pauvres des protections indispensables et les a laissé à la merci des spéculateurs les plus sauvages un timide mea culpa dans un document semi confidentiel ne peut évidemment suffire.
Selon la FAO, la situation s’est améliorée en 2010 [5] mais il est clair que l’Objectif 1 des OMD ne sera pas atteint en 2015.
Après avoir rapidement analysé les causes de la crise alimentaire de 2007-2008, il est pertinent de citer Fantu Cheru, expert indépendant de la Commission des droits humains des Nations unies à Genève qui déjà en 1999 écrivait :
« L’ajustement structurel va au-delà de la simple imposition d’une série de politiques macro-économiques au niveau national. Il s’agit d’un projet politique, une stratégie de transformation consciente de transformation sociale au niveau mondial pour façonner le monde selon les desideratas des entreprises transnationales. Les programme d’ajustement structurel servent donc de « courroies de transmission » pour faciliter le processus de mondialisation par la libéralisation et la déréglementation et en réduisant la fonction de l’Etat dans le développement national. » [6]
III. Il ne faut pas croire que ces politiques ont été abandonnées.
Même si la Banque mondiale et le FMI affirment qu’elles ont remplacé les recettes du consensus de Washington par d’autres politiques, les faits démentent ces affirmations. Tant ces institutions que l’OCDE continuent les mêmes recommandations qui sont bien souvent des impositions. Ca a été y compris le cas en Haiti [7] ou au Pakistan [8] en 2010, pays dont les citoyens ont été très durement affectés par des catastrophes naturelles. Le FMI continue également d’appuyer des dictatures : en septembre 2010 il a décidé d’octroyer un crédit de 192 millions de dollars au régime dictatorial du Honduras.
IV. La crise économico-financière internationale de 2007 est-elle derrière nous ?
Il y a trois facteurs qui allègent le poids de la crise pour les Pays en développement. Ces trois facteurs qui peuvent se dégrader rapidement sont : 1. les prix élevés des matières premières (d’où découle le haut niveau des réserves internationales) ; 2. de bas taux d’intérêt et des primes de risque pays également basses ; 3. des flux de capitaux vers les bourses des pays émergents.
Lorsque les banques centrales des principaux pays industrialisés (Réserve fédérale des Etats-Unis, Banque centrale européenne, Banque d’Angleterre, Banque du Japon) décideront d’augmenter les taux d’intérêt, cela fera brutalement augmenter le coût de refinancement de la dette externe des pays en développement et les prix des matières premières pourraient chuter car le prix est aujourd’hui dépendant de l’immense liquidité monétaire internationale et de la spéculation. De plus, si l’économie chinoise entre en crise, cela pourrait également produire une chute des prix des matières premières.
V. Il est nécessaire de revenir aux recommandations contenues dans la Déclaration sur le droit au développement adoptée par l’Assemblée générale le 4 décembre 1986 dans sa résolution 41/128.
Il est nécessaire d’agir tant au niveau de la Communauté internationale que chaque Etat souverain (qui peut prendre des mesures unilatérales basées sur le droit international).
L’article 1 de la Déclaration des Nations unies sur le droit au développement stipule ce qui suit :
1.2. « Le droit humain au développement implique également la pleine réalisation du droit des peuples à l’auto-détermination qui inclut selon les dispositions relatives aux deux Pactes internationaux sur les droits humains, l’exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et ressources naturelles ».
L’article 8 précise « Il faut réaliser les réformes économiques et sociales adéquates afin d’éradiquer toutes les injustices sociales ».
VI. Recommandations ou alternatives concrètes qui peuvent être mises en place soit par la communauté internationale soit par les Etats souverains.
Les taxes globales : un exemple de celles-ci serait la taxe de type Tobin (sur les transactions financières).
Augmenter l’aide au développement pour atteindre 0,7% du PIB des pays les plus industrialisés (en 2010, les pays de l’OCDE y dédie 0,35% soit la moitié de leur engagement ; il s’agit de plus d’un chiffre très surévalué) et la convertir en un fonds de réparation pour les dommages causés aux peuples du Sud pendant les 5 derniers siècles de pillage et de domination de la part des puissances du Nord.
Adopter une nouvelle discipline financière en interdisant les transactions avec les paradis fiscaux.
Appliquer dans chaque pays une réforme fiscale redistributive.
Rendre aux peuples du Sud les biens mal acquis par les élites dominantes de ces pays qui les ont placés dans les pays du Nord et les paradis fiscaux.
Réduire drastiquement les dépenses d’armement et investir les sommes épargnées dans des politiques sociales.
Réaliser des audits de la dette publique pour déterminer la partie illégitime et l’annuler ou la répudier. La Norvège a en 2006 annulé unilatéralement la dette de 5 pays du Sud ( Equateur, Pérou, Jamaïque, Egypte et Sierra Leone).
La Norvège a considéré que les crédits octroyés n’ont pas servi au développement de ces 5 pays, elle a reconnu qu’ils ont été octroyés en réalité pour aider l’industrie norvégienne de construction et d’exportation de bateaux. L’Equateur a 2007 institué une commission d’audit intégral sur la dette publique interne et externe (dont j’ai fait partie) qui a travaillé de juillet 2007 à septembre 2008. Sur base des conclusions de l’audit, l’Equateur a décidé de suspendre unilatéralement le paiement de 3,2 milliards de dollars de dette sous forme de bons et a ainsi pu économiser plus de 2 milliards de dollars.
Se doter de nouvelles institutions au niveau régional : l’exemple de la Banque du Sud. Il est de plus nécessaire de remplacer les institutions comme la Banque mondiale et le FMI par des institutions véritablement démocratiques respectant la Charte des Nations unies et tous les pactes et traités internationaux relatifs aux droits humains.
Récupérer le contrôle sur les ressources naturelles
Réaliser une réforme agraire en distribuant les terres à celles et ceux qui les travaillent et en garantissant la souveraineté alimentaire.La crise climatique en cours affecte et affectera tous les peuples mais spécialement ceux du Sud de la planète. Il faut s’inspirer des conclusions du sommet des peuples sur le changement climatique qui s’est tenu à Cochabamba en avril 2010 à l’initiative du gouvernement bolivien.
Oui il est possible d’éradiquer la pauvreté et l’injustice mais à l’intérieur d’un nouvel ordre international et avec un autre modèle de développement respectueux de la nature.
New York, le 15 septembre 2010