Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Impressions, veillée à Québec sous le bâillon

Départ à 13h45 avec Agnès et Agathe. Arrivée à la Colline parlementaire vers 16 h, temps froid, humide. Déjà une cinquantaine de personnes pilotent dans la neige autour d’un camion-oasis. On restera toute la nuit s’il le faut !

Conférence de presse du RVHQ : sera-t-elle relayée par les médias ? Ils nous ont tellement ignorés, minimisés, folklorisés durant tous ces mois de lutte ingrate.

Avant même d’entrer, il faut enlever nos vieux macarons : Non aux gaz de schiste ! Premier barrage de sécurité, on nous donne un badge de visiteur-invité. Enlever bottes et manteaux, les faire scanner. Se faire scanner nous-mêmes, relever nos jambes de pantalons au cas où. Tout récupérer, tout porter au vestiaire. En repartir avec un petit sac et un jeton rond.

Monter vers le fameux Salon bleu, quatre volées de marches interminables. S’arrêter pour examiner la marqueterie, les peintures ... en fait pour reprendre notre souffle. De nouveau s’inscrire, laisser le petit sac et le jeton rond. En repartir avec un jeton carré. Ni cellulaires, ni monnaie, ni clés, ni quoi que ce soit dans nos poches. Re-scannage à la porte du Salon, re-levage des bas de pantalons, des fois qu’on aurait pu y glisser quelque chose, mais quoi ? Un jeton carré ?

La sécurité est partout, bien visible. Nous devons être filmées sous tous les angles, mais pas de problème, notre lutte est transparente et pacifique. Les gardes et préposés sont tous très polis, la plupart gentils et souriants. Tous les participants comprennent et semblent accepter facilement. L’Assemblée nationale est un endroit sensible, il est important que les personnes élues puissent délibérer sereinement, que les employé-e-s fassent leur boulot en sécurité et que les visiteurs et visiteuses visitent tranquillement.

Entrée dans le Salon bleu. Je ne peux voir que des bureaux vides et quelques têtes penchées sur leur I-Pad. Coup de chance, c’est Manon Massé qui parle, elle a 6 minutes pour résumer son opposition et son indignation face au PL106. Elle est efficace. Elle termine en déclarant qu’elle préfère rejoindre le vrai monde dehors que de rester en dedans impuissante et bâillonnée. Bravo Manon ! J’applaudis 30 millisecondes, jusqu’à ce qu’un garde me fusille du regard et me menace d’expulsion. Un autre visiteur agite une main sans faire de bruit, nouvelle fusillade, nouvelle menace. Le jeune sort écœuré.

Manon sort aussi, un député déclare qu’elle bafoue la démocratie en ne siégeant pas jusqu’au bout dans l’enceinte sacrée ....Tout est beau et grandiose dans le Salon bleu, le plafond, les murs, les colonnes, les lustres, le plancher, tout sauf le spectacle qui s’y joue.

Le ministre poursuit la lecture de ses amendements-bidons, proposant de faire passer le délai d’avis des MRC de 30 à 45 jours. C’est généreux : 45 jours pour réagir à l’annonce de la dévastation de leur territoire. Les personnes députées de l’opposition se disputent entre eux et elles. L’amendement est adopté.

Au bout d’une heure, je n’en plus, si je n’ai pas le droit d’applaudir, je peux encore moins essayer d’argumenter avec le ministre, crier chou ou faire une grimace. Il faut juste respirer tranquillement. Juste respirer bien tranquillement pour éviter la crise de nerfs.

C’est déprimant d’entendre le ministre nous débiter de sa voix doucereuse les amendements qui signent le pillage de notre pays. Je me méfie de ces voix qui énoncent calmement les pires horreurs, sans laisser les relents de conscience faire trembler leurs mots. Je pense qu’il y a des cours pour apprendre à parler comme ça, que le ministre a eu A+. Messieurs Harper et Couillard aussi.
Écœurées toutes les deux, on préfère retourner geler dehors. On écoute les discours des militants et militantes, de Manon Massé, de Jacques Tétreault. Leurs voix n’ont pas l’onctuosité de celle du ministre, elles tremblent un peu, elles grelottent. Mais elles parlent vrai, elles expliquent, elles encouragent. C’est la voix des miens, de ceux et celles avec qui je discute et réfléchis, de ceux et celles qui m’écoutent, de ceux et celles en qui je crois. Après une heure, les discours s’arrêtent, question de ménager les batteries du système de son, et peut-être aussi celles des personnes discourant.

On retourne en dedans. Réinscription, re-badge, re-fouille, re-scan, re-vestiaire, re-jeton rond.

Passage à la cafétéria pour se restaurer. Tout est bon et la dame très gentille. Son assistant fait réchauffer la soupe pour ceux et celles qui vont rentrer de dehors. Martine Ouellette vient souper avec nous, on discute. Elle a travaillé pour Eau Secours, avec Louise Vandelac et Alain Saladzius, ils et elles se sont battues pour sauver des rivières. Et moi, dans une autre vie, j’ai été mairesse, siégé a la MRC, au CLD, sur le Conseil régional d’environnement, sur trois comités de gestion de bassins versants : Nicolet, Bécancour et Saint-François. On décentralisait alors les lieux de pouvoir, on se donnait des moyens de protéger nos ressources. Des dizaines et des dizaines d’heures de réunion pour se connaître, discuter, mesurer, soupeser, planifier, décider. Fini tout ça. Top-down généralisé.

Re-fouille, re-scan, re-jeton carré, re-Salon bleu. Cette fois, j’ai le ministre en pleine ligne de mire. Des estafettes grouillent autour de lui et je prends conscience qu’il n’écoute pas les propos de l’opposition, il lit, discute avec ses acolytes. Re-déprime. Re-rage.

Le ministre reconnaît qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, mais il va de l’avant : il accorde aux MRC le droit de définir les zones où la fracturation serait incompatible avec les autres usages. Il omet de rappeler que les permis déjà accordés aux pétrolières devront être honorés, et que toute la vallée du Saint-Laurent est déjà claimée. L’amendement n’est qu’un trompe-l’œil. Adopté.

Le ministre parle expropriation. Il ne devrait pas y en avoir, sauf dans l’intérêt public. Il ne faut pas s’inquiéter au niveau de l’expropriation, il n’y en a jamais, jamais eu avant. Pourquoi y en aurait-il davantage maintenant ? PARCE QUE TU VIENS DE LEUR EN DONNER LE DROIT.

Le ministre veut maintenant moduler le coût des redevances selon les milieux hydriques. Le député de l’opposition ne savait pas qu’on parlait de fracturer aussi en milieux hydriques. Moi non plus. Je pense à la rivière Nicolet, à la Bécancour, à la Saint-François. J’étouffe.

Je sors du magnifique Salon bleu, je descends les escaliers grandioses. Cette colline de beauté va accoucher non pas d’une souris, mais d’une bête immonde, dévoreuse de vie, de beauté, de tranquillité, et de l’avenir des ressources qu’on aurait voulu laisser bien propres à nos enfants.

Ce lieu de notre supposée démocratie, de la prise de parole de nos personnes élues, ne résonne que de mots creux, de faux-semblants, de tractations sous la nappe entre les partis et les grands lobbys du Québec. L’UPA a essayé de négocier jusqu’au bout des amendements via la CAQ, mais on ne l’a pas presque pas entendue sur la place publique ou vu mobiliser nos agriculteurs.

Après avoir bombé le torse, la FQM n’a pas levé le petit doigt pour informer la population. On retire aux MRC leur vraie raison d’être : l’aménagement du territoire. Des mots un peu pompeux pour une vraie belle cause : réfléchir sur le vivre-ensemble d’une population, arbitrer les inévitables conflits d’usage du territoire, garder un œil sur le futur tout en s’occupant sérieusement du présent.

Ce lieu de nos décisions collectives est une imposture. Ce n’est pas le temple de la démocratie mais celui de toutes les compromissions. Les vraies décisions se prennent ailleurs. Ici se joue une mauvaise pièce de théâtre, avec un mauvais scénario, les acteurs ne sont pas convaincants. Remboursement svp.

Retour à la maison vers 4 h du matin. À midi, je me fais réveiller par Sylvie. Elle se sent méprisée, foulée au pied par la loi-bâillon, elle sanglote au téléphone. Et moi je n’ai presque plus de voix pour la consoler, tant j’ai crié dans la nuit d’hier, dehors au froid, et dans le Salon bleu, silencieusement.

Denise Gendron, citoyenne
Sainte-Monique
15 décembre 2016

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