C’est une invitation à un voyage inédit en compagnie de Dante Alighieri et de La Divine Comédie, un voyage aux enfers, au pays des morts mais aussi au purgatoire et au paradis, à leurs promesses de renaissance et d’infinis possibles.
C’est plus encore, par-delà le divertissement marchand qui endort tant et tant, un voyage initiatique pour rappeler l’essentiel : la catastrophe de la mort, celle qui hante les vivants que nous sommes et rôde comme jamais, de sa froideur grandissante, autour du monde contemporain. Pensez à ce double de vous, pantin inanimé, qui se trouve justement ce soir à vos côtés !
Mais ici, ce ne seront pas les vers d’un poème qui vous serviront de guide privilégié. Vous verrez d’ailleurs que le spectacle commence par un appel désespéré où plus rien ne se comprend, véritable tour de Babel devant la catastrophe annoncée, le grand dérèglement du monde. Comme si dorénavant la parole était insuffisante et que devant l’urgence du danger, il fallait revenir aux sources de l’imaginaire, faire appel à toutes les ressources de notre être : la puissance des désirs et des rêves, la passion de l’absolu. À la manière d’une nouvelle mission pour le théâtre !
Ce qui nous servira de boussole dès lors, c’est la proposition d’une expérience sensorielle unique où jeu des comédiens, poétique des corps, chœurs et musique symphonique, éclairages et vitraux lumineux vous emporteront vers d’autres horizons : justement cette richesse de l’expérience humaine intérieure et intime, cette profondeur infinie du monde que le calcul économique et la meute affligeante de ses supporters s’emploient à vouloir réduire au néant, à la mort.
Alors, il n’y aura qu’à vous laisser emporter par les chants et leurs curieuses mélopées, le langage des corps et la danse légère de leurs ombres réfractées aux vitraux, aux colonnades et au nefs. Il n’y aura qu’à vous laisser appeler par les images et leurs évocations sensibles, par les symboles et leurs secrets si proches :
Ce compte à rebours psalmodié, celui des années qui marquent une vie, en annonçant irrémédiablement la fin, mais aussi ces 100 chants de La Divine Comédie, présage d’un laborieux périple vers d’autres mondes.
Ce grand dérèglement cannibale, si propre au monde d’aujourd’hui, cette lutte implacable de tous contre tous, cette froideur de l’âme qui annonce la fin, le temps hagard des douleurs et de la mort.
Ces montagnes de vêtements dans l’ombre de croix dressées, oripeaux et souvenirs de nos vies de vivants, de nos travestissements quotidiens dont il faut bien finir par se défaire, devenant sous nos yeux, en les jetant au ciel, chemin vers le royaume des morts, route vers l’autre monde. Passage vers l’inconnu que l’on n’emprunte, à la manière de funambules, qu’au prix de tous les périls, en laissant derrière soi, jusqu’à ses ritournelles enfantines, le désir même d’être debout.
Cette danse soliloque, seule sous un projecteur rouge sang, ce déchirement d’un corps qui se dénude peu à peu de tous ses attributs de vivant, et se dénude pour donner naissance à une vague mouvante de corps multiples, disparaissant, roulant dans les eaux ombres glauques du Styx, ne ramenant sur l’autre rive, à la manière d’un violent retour à la réalité, que de froids empilements de sacs mortuaires, cadavres et charniers en attente désespérée de paix.
Et puis après l’entracte, lorsqu’enfin, comme le veut Dante, on entre au purgatoire –ce passage obligé vers le paradis-, vous ne découvrirez que des tableaux plein d’incertitudes, partagés entre les cauchemars de l’enfer et l’espoir d’y échapper : l’envie pour les hommes de bâtir un monde nouveau, mais grugée par la violence pesant sur les femmes ; le désir de bonheur mais galvaudé par les jouissances machinales ; l’espoir de se dépasser ensemble, mais freiné par la peur qui fait inexorablement reculer. Avec toujours d’étranges tableaux se dressant soudain dans la lumière :
Ces personnages sortis tout droit d’un grotesque carnaval, et cette reine à la robe écarlate, croulant sous les rôles et les étoffes pesantes de la vie sociale, mais dont on cherche doucement à dévoiler la virginité et l’innocence première.
Enfin, entre des amas de souliers dépareillés et des blocs de glace qu’on découvre soudainement partout, cet ultime appel à ne pas se laisser gagner par les désordres lisses et glacés du monde contemporain. Pour trouver le chemin des possibles et cette marche qui enfin nous irait ; loin, très loin des horizons de gel et de froid engourdissant, expression dernière pour Dante, des maux de l’enfer.
Comme si cela dépendait de nous, et qu’au sortir du spectacle, une fois les portes largement ouvertes sur la rue, le paradis pouvait être là devant, telle une sourde promesse. À la manière de ce monde des songes, qu’il reste à faire résonner en nous, et pour longtemps, en découvrant peu à peu les multiples métaphores qu’il revient en toute liberté, à chacun d’inventer.
Pierre Mouterde