Et pourtant, je me suis acharné. J’ai travaillé sur appel, n’importe quand. À quatre heures du matin. Le lendemain jusqu’à minuit. La nuit aussi. Sans compter mes heures. Je paye mes cotisations syndicales, mais n’ai pas de sécurité d’emploi. Pas d’assurance maladie. Pas de fonds de pension. Corvéable à merci, on me qualifie de « jeune », de « relève », même si j’ai parfois plus de 40 ans.
On m’a dit qu’il fallait serrer les dents, que cette précarité n’était que temporaire. J’y ai cru. Depuis l’école, on annonçait de beaux jours à ma génération. On parlait même de pénurie de main-d’oeuvre. Le Québec au complet était censé partir à la retraite. Sans compter qu’on allait investir dans le numérique, avoir un besoin criant de relève.
Avec les compressions budgétaires, les plus anciens dont les postes ont été coupés ont pu supplanter de moins anciens qui eux-mêmes ont pris la place d’encore moins anciens. Un jeu de chaises musicales brutal dont l’issue est connue d’avance : c’est moi qui perds. S’il travaillait à Radio-Canada, Denys Arcand prendrait la place de Xavier Dolan.
Le système est ainsi. Pour éviter l’arbitraire, l’ancienneté s’impose comme la valeur cardinale. Peu importe le mérite de chacun.
Deux castes finissent par émerger. Les employés permanents qui se sont battus pour obtenir leurs droits, certes. Et moi, nous, les précaires, leurs enfants, encore et toujours sur le bord de la route.
Je ne suis pas seul dans cette galère. Fonction publique, éducation, santé... les rouages du transfert de génération se grippent, le mal-emploi ronge la jeunesse québécoise. L’attrition et les gels d’embauche forment notre horizon.
Un débat de société doit être mené au Québec. Syndicats, employeurs : ouvrez les yeux face à cette génération sacrifiée. Quand les compressions deviennent systémiques et la précarité la norme, l’ancienneté ne peut rester le seul critère. Sinon, quelle équité intergénérationnelle ?