Édition du 19 novembre 2024

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COP28

« Historique » ! Les décisions de la COP28 sur le climat le sont-elles vraiment ?

« Accord historique ». C’est ainsi qu’est présenté le texte de décision de la COP28 validé ce mercredi 13 décembre, reprenant le qualificatif de la Présidence émiratie de la COP sans recul et distance critique. Si l’appel à une « transition hors des énergies fossiles » est évidemment un résultat positif, il comporte de nombreuses faiblesses qui en limite la portée. Explications.

La COP28 sur le réchauffement climatique de Dubai vient d’aboutir à plusieurs textes de décisions ce mercredi 13 décembre. Le plus commenté, le Global Stocktake, dont l’ambition était d’établir un bilan de la mise en œuvre l’accord de Paris de 2015, mentionne, pour la première fois dans une décision de COP, l’ensemble des énergies fossiles et « appelle » les Etats à une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques ».

Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs PDG d’une entreprise pétrolière, a immédiatement parler d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique ». Ce terme, « historique », est désormais repris, souvent sans recul et sans distance critique, par de nombreux commentateurs et articles de presse. Ce post de blog rapide vise à en mesurer la portée et apporter quelques nuances (cf. la fin du texte pour préciser pourquoi je me pense légitime à écrire ces lignes)
.

Il y a toujours plusieurs façons d’analyser le résultat d’une conférence internationale telle que la COP28 sur le climat :

en regardant le chemin parcouru  : alors que les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de CO2, n’avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP jusqu’à la COP26, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc), elles sont désormais mises à l’index comme une source d’énergie à laquelle il faut progressivement renoncer dans nos systèmes énergétiques : c’est un net progrès ;

  • en regardant là où les Etats devraient déjà être parvenus : les études scientifiques, les rapports du GIEC, le rapport de 2021 de l’AIE montrent qu’il faudrait déjà avoir enclenché une décrue rapide dans la production et consommation des énergies fossiles (3% par an pour le gaz et le pétrole, 7% pour le charbon) et ne plus investir un euro dans l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles, et regarder la réalité : la production-consommation d’énergies fossiles continue pourtant à augmenter et les nouveaux investissements se poursuivent ;
  • en regardant les faiblesses intrinsèques du texte de décisions lui-même  : tant la nature de la décision prise – ce n’est pas un nouveau traité international organisant la sortie des énergies fossiles – que son contenu exact – nombreuses limites intrinsèques à l’effectivité des engagements pris – conduisent à éviter les superlatifs trop hâtifs et préférer la lucidité de l’analyse et l’exigence de mise en cohérence des politiques nationales ;
  • en regardant les contradictions des Etats réclamant la sortie des énergies fossiles tout en continuant à mettre en œuvre des politiques publiques qui conduisent à en augmenter la production et la consommation d’énergies fossiles (nouvelles infrastructures pétro-gazières, nouvelles infrastructures de transports, nouveaux accords de libre-échange, etc), notamment dans les pays riches, et y compris en France (cf. cet article)

La décision de la COP28 est la reconnaissance des limites de l’Accord de Paris

Notons d’abord que le paragraphe sur les énergies fossiles que tout le monde commente n’est que l’un des 196 paragraphes de l’un des nombreux textes adoptés lors de la COP28. Notons également qu’il est inséré dans la partie « Mitigation » (réduction des émissions de gaz à effet de serre) du texte de bilan de la mise en œuvre l’accord de Paris de 2015, visant notamment à définir les « progrès collectifs à réaliser en vue des objectifs de long terme de l’Accord de Paris ». C’est la double reconnaissance :

  • (explicite) qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique à la hauteur des enjeux des objectifs de l’accord de Paris sans « transition hors des énergies fossiles » ;
  • (implicite) que le silence de l’Accord de Paris à ce sujet est insoutenable et problématique.

Que dit le texte de décision de la COP28 à propos des énergies fossiles ?

Pour mesurer la portée d’un texte de décision de COP, il ne suffit pas de vérifier avec un Ctrl+F si les mots clefs sont présents. Il faut regarder le vocabulaire utilisé, notamment les verbes et locutions adverbiales, et regarder comment les paragraphes et les phrases s’enchainent. Cela peut-être technique. Essayons de l’expliciter ici simplement :

le terme « sortie des énergies fossiles » (« phasing out fossil fuels) que réclamaient plus de 100 Etats en cours de COP28 a été remplacé par un terme plus faible, et plus vague, de « transition hors des énergies fossiles » (transitioning away) ;

l’objectif de « transition hors des énergies fossiles  » porte sur les seules « énergies fossiles » utilisées dans nos « systèmes énergétiques » : cette précision est importante car, selon le vocabulaire utilisé par les rapports du GIEC, « systèmes énergétiques » comprend l’énergie utilisée pour produire de l’électricité, du chauffage ou des carburants mais exclut par exemple l’énergie utilisée pour la production de plastique ; l’industrie du plastique est pourtant aujourd’hui un gros consommateur d’énergies fossiles ;

cet objectif de « transition hors des énergies fossiles » n’est positionné qu’au 4ème rang des 8 « efforts globaux » auxquels les Etats sont « appelés » à « contribuer », au même titre que des « efforts » de second rang et/ou discutables ;

peut-être la limite la plus importante : les Etats sont « appelés à contribuer » (« calls on Parties to contribute) à la « transition hors des énergies fossiles » : voilà des termes parmi les plus faibles du vocabulaire onusien pour exiger des Etats qu’ils prennent des décisions, contrairement à des termes tels que « urges », « requests » ou « decides » ;

tout aussi significatif  : outre le verbe utilisé, il faut immédiatement regarder comment il est complété par des locutions adverbiales pour comprendre l’intention de la COP : ici, il est mentionné que cet « appel à contribuer » peut être réinterprété à l’aune des « circonstances nationales », ce qui en limite la portée : il n’y a ici ni plan d’action global, ni agenda, ni objectifs précis assignés aux Etats.

Illustration 2
Décision de la COP28 sur les énergies fossiles © @MaximCombes

Sur un autre paragraphe clef du texte (paragraphe 39 et 40), ce problème de vocabulaire adéquat est tout aussi manifeste : alors que toutes les études montrent que les politiques climatiques actuelles conduisent a minima vers 2,5°C, 3°C ou plus de réchauffement, le texte se limite à « encourager » (et pas « exiger » ou autre) les Etats donner plus d’ambitions à leurs politiques afin de respecter l’objectif des 1,5°C.

Efforts globaux sur les énergies fossiles minorés par de nombreux échappatoires

Plus largement, il faut remarquer que ce paragraphe portant sur les « efforts globaux » que les Etats sont « appelés » à engager sur les énergies fossiles :

  • limite les efforts à fournir sur le charbon au seul charbon qui n’est pas associé à du captage et stockage de CO2 (« unabated » dans le langage des COP)
  • limite aux seules subventions « inefficaces », sans que le terme ne soit jamais défini (ni à la COP28, ni au G20), les efforts de « sortie des subventions aux énergies fossiles », laissant la porte ouverte à ce qu’elles soient toutes poursuivies si les Etats les jugent efficaces ;
  • ne fixe pas d’objectifs et d’agenda précis sur les émissions de méthane liées à l’exploitation et la consommation des énergies fossiles, alors que c’est décisif à court-terme ;
  • donne beaucoup de place aux solutions technologiques : capture et stockage du CO2, hydrogène bas-carbone, véhicules à faibles émissions, etc ;
  • ne fixe aucun agenda clair et engageant sur tous ces sujets
  • ne prévoit pas de programme de travail afin de s’accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements.

L’industrie gazière et les Etats gaziers épargnés à la dernière minute ?

Il faut également noter, car c’est important et cela peut sans doute expliquer pour partie pourquoi les pays pétro-gaziers se sont résolus à accepter ce texte de décision de la COP28 : il a été ajouté dans la dernière nuit un paragraphe ad hoc, ie de même niveau que la totalité du paragraphe sur les énergies fossiles, qui « reconnaît le rôle que jouent les carburants de transition pour faciliter la transition énergétique ». Par « carburants de transition », l’industrie-pétro-gazière et les Etats producteurs entendent notamment le gaz fossile : ce paragraphe incite donc à poursuivre les investissements dans l’exploration, l’exploitation et la production de gaz fossile alors que les études et rapports montrent que la production de gaz fossile devrait décroître de 3% par an à compter de 2022.

Où sont les financements ? Où est le programme de travail permanent sur les énergies fossiles en vue d’un Traité international ?

Pour qu’une décision de COP soit opérationnelle, il ne faut pas seulement en rester à l’édiction de recommandations générales. Encore faut-il préciser comment elle doit s’appliquer, par qui, à quel moment et avec quels moyens. Qui dit vouloir une «  transition hors des énergies fossiles » implique par exemple de savoir quels sont les Etats qui doivent l’appliquer immédiatement, lesquels plus tard. Et surtout avec quels moyens, et sur la base de quels principes les efforts vont être répartis entre les différents Etats (équité).

Les Etats du Nord, les plus riches, dont la richesse accumulée depuis deux siècles est pour partie fondée sur l’exploitation et la consommation d’énergies fossiles à bas coûts ne sauraient exiger un engagement sur la sortie des énergies fossiles des pays du Sud au même rythme et dans les mêmes conditions. A minima, cela nécessite des financements ad hoc. C’est par exemple ce que réclame la Colombie pour avancer dans le sens de la décision prise. Manifestement, ces financements ne sont pas là.

Ils sont pourtant essentiels. Au sujet des financements, souvenons-nous de la promesse que les pays riches avaient fait aux pays pauvres lors de la COP15 à Copenhague, à savoir 100 milliards de dollars d’argent public, additionnels et pérennes sur la table d’ici à 2020. Quatorze ans plus tard, ils ne sont toujours pas là. La décision de la COP28 le « note avec de profonds regrets ». Sans financements supplémentaires, il n’y aura pas de sortie des énergies fossiles : « No finance, no phase out ».

Pour avancer en ce sens, la communauté internationale ne saurait se dispenser d’un programme de travail permanent, de préférence au sein des COP, afin qu’il y ait désormais une négociation continue entre les Etats-membres pour définir l’ordre de priorité des gisements que l’on déciderait de ne plus exploiter, en vue d’un Traité international ad hoc. A titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d’un fonds pour les pays pauvres. Ce n’est pas ce que prévoit la COP28 dans son texte de décision.

Que va changer cette décision de COP28 ? Est-on véritablement sur la voie d’une « transition hors des énergies fossiles » ?

A ce stade, il faut immédiatement préciser que les décisions de COP ne sont pas de la même nature qu’un traité international tels que le Protocole de Kyoto ou l’Accord de Paris qui, une fois ratifiés par les Etats-membres, deviennent du droit international et entrent en application. La Convention cadre des Nations-Unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC ou UNFCCC), qui est le cadre international dans lequel se déroulent les négociations climatiques internationales, n’est pas une organisation internationale qui décide de règles internationales s’appliquant aux Etats. La décision d’une COP n’est pas un Traité international. Du fait de l’Accord de Paris, les COP ont pouvoir d’émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l’Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger, mais il ne s’ensuit pas qu’une décision de COP impose une obligation aux Etats.

La décision de la COP28 d’une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » n’oblige aucun Etat à réduire, limiter ou interdire l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles sur son territoire national. Tous les nouveaux projets d’exploration ou d’exploitation annoncés ces dernier mois, au mépris des recommandations du GIEC ou de l’AIE, pourront légalement perdurer tant que cet appel à une « transition hors des énergies fossiles » n’est pas transformé dans du droit international via une modification de l’Accord de Paris et/ou la négociation d’un nouveau Traité international pour sortir des énergies fossiles. TotalEnergies & co n’ont pas obligation de mettre fin à leurs projets climaticides.

Conclusion (provisoire)

Ceci étant dit, cela ne signifie pas que cette décision de COP est sans effet. La COP28 de Dubai marque définitivement reconnaissance par la communauté internationale qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d’énergies fossiles. Cela constitue une avancée diplomatique majeure. Ne serait-ce que parce qu’elle disqualifie moralement et politiquement tous les projets d’exploration ou d’exploitation d’énergies fossiles récemment approuvés ou encore dans les cartons.

Puisque cette décision ne va pas devenir du droit international contraignant, du moins dans l’immédiat, il est de la responsabilité des chercheurs, de la société civile organisée, de l’opinion publique en général, et des pouvoirs publics bien intentionnés de se servir de cette décision de COP pour bloquer et enterrer des projets d’énergies fossiles en cours de déploiement. On peut commencer par la France (lire cet article)

BONUS : le jour où décision internationale sera prise de laisser 80% des énergies fossiles dans le sol, la cotation boursière de TotalEnergies, Shell, BP et consorts s’effondrera immédiatement. Ce n’est pas le cas :-)

La cotation de TotalEnergies suite à l’annonce de la décision de la COP28 © @MaximCombes
(je vous renvoie au livre Sortons de l’âge des fossiles pour savoir comment gérer cette légère difficulté).

D’où je parle : Engagé dans le suivi des négociations climatiques depuis le milieu des années 2000 – même si j’ai raté quelques COP depuis 2018, dont Dubai, j’ai toujours essayé de garder une distance critique envers les discours énonçant l’inutilité des COP d’un côté et envers ceux qui de l’autre nous promettent monts et merveilles des « COP de la dernière chance ». Par exemple, en 2009, avant la COP15 à Copenhague, j’étais un des rares en France à affirmer qu’elle ne serait probablement pas le succès qu’on nous annonçait malgré l’élection récente d’Obama, et en 2015, j’ai alerté bien avant la COP21 (dès Lima en 2014 -iciou ici ou ici), sur le fait que l’Accord de Paris en gestation comportait des failles telles qu’il ne saurait contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, ce que nous constatons désormais avec clarté.

Précision : Ce papier, comme beaucoup d’autres, reposent sur de nombreux échanges avec des spécialistes de ces questions, notamment lorsqu’il s’agit de questions juridiques. Merci donc toutes celles et ceux qui m’aident à construire des analyses telles que celles-ci.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition(Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).

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Maxim Combes

Economiste de formation, je suis engagé depuis la fin des années 1990 dans le mouvement altermondialiste, à travers Attac France notamment. Avec d’autres j’ai contribué à animer la coalition Urgence Climatique Justice Sociale en France et le réseau Climate Justice Now ! à l’échelle internationale. J’ai depuis contribué à la mise sur pied de la Coalition climat 21. Outre ce blog, je contribue au site d’Informations Basta ! (bastamag.net) Je viens de publier : Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène Et je suis le coauteur de : - La nature n’a pas de prix (Attac, Paris, LLL, 2012) - Les naufragés du libre-échange, de l’OMC à Tafta (Attac, Paris, LLL, 2015) - Crime climatique stop ! (Seuil, « Anthropocène », août 2015). - Le Climat est notre affaire (Attac, Paris, LLL, 2015)

Son blogue sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes

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