democracynow.org, 9 mars 2022
Traduction, Alexandra Cyr
Introduction, Amy Goodman
(…) Nous continuons à nous intéresser à l’invasion russe de l’Ukraine et nous nous dirigeons maintenant à Londres. Mardi, le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est adressé à la Chambre des communes britannique. Un discours historique :
Président Zelensky : Nous ne nous rendrons pas et nous ne perdrons pas. Nous allons nous battre jusqu’à la fin. Nous allons nous battre sur mer, dans les airs, nous allons défendre notre terre quel que soit le prix. Nous allons nous battre dans les forêts, dans les champs, sur les rivages, dans les villes, dans les villages et dans les rues. Nous allons nous battre sur les collines…Renforcez les sanctions contre la Russie, ce pays terroriste et reconnaissez que c’en est un. Trouvez le moyen de rendre notre ciel sûr. Faites tout ce que vous pouvez, tout ce que vous devez faire, tout ce que la grandeur de votre pays et de votre population vous oblige à faire.
A.G : Le Président Zelensky a été ovationné debout par les membres des Communes. De Londres, nous recevons maintenant l’historien, le militant, le cinéaste et auteur, Tariq Ali. Il fait partie du Comité de rédaction de la New Left Review. Plusieurs jours avant l’invasion russe, il a publié un article intitulé « News from Natoland ». Dimanche, il a participé à la journée internationale contre la guerre en Ukraine. (…) Tariq, pouvez-vous nous parler du message du Président Zelensky, de ce que fait la Grande-Bretagne et particulièrement de votre réponse à l’invasion russe de l’Ukraine ?
Tariq Ali : Je vais commencer par le message du Président Zelensky. C’était un message de propagande ; honnêtement, en utilisant même certaines phrases célèbres des discours de W. Churchill. Mais si on met cela de côté, ce ne sont pas les discours de Churchill qui ont gagné la seconde guerre mondiale. Comme tout le monde le sait, ou devrait le savoir, ce sont les batailles clés, menées par l’armée rouge sur le sol russe et sur celui de ce qui est maintenant l’Ukraine qui ont complètement détruit les derniers retranchements de l’Allemagne hitlérienne et mené à sa défaite. Il ne faut jamais oublier cela qu’elle que soit les discours.
L’objectif fondamental du message du Président Zelensky aux Communes, visiblement organisé par le Foreing Office et d’autres, était de présenter un plaidoyer en faveur du blocage du ciel ukrainien aux avions russes. C’est la demande clé des Ukrainiens.nes. Mais, jusqu’à maintenant, l’OTAN a eu l’intelligence de la refuser. Imposer un tel blocage en ce moment pourrait mener à une escalade majeure de la guerre avec un possible usage des armes nucléaires. Cette demande est donc sans issue. C’est tout au plus une pression sur V. Poutine et qui sait ce qu’il fait.
Par rapport à la guerre proprement dite : comment peut-elle se terminer ? Franchement, personne ne le sait. Ni V. Poutine qui l’a déclenchée, ni l’OTAN qui a créé cette situation au cours des 30 dernières années et qui arrive finalement à son apogée comme les quelques commentateurs.trices les plus intelligents.es des États-Unis nous l’ont dit depuis longtemps. Quelle que soit la solution, elle va se terminer ici. J’ai l’impression que V. Poutine tente d’imiter les États-Unis en prétendant que la Russie est un grand pouvoir impérial ; c’est bien téméraire. Ça ne fonctionnera pas. Mis à part tout le reste, mis à part le fait qu’il est isolé d’une très grande partie des pays dans son entourage, il faut comparer le PIB de la Russie : 1,400 mille milliards de dollars, ce qui est moins que celui de l’Italie et celui des États-Unis, qui est de 20,900 mille milliards de dollars. Alors, comment pouvez-vous prétendre imiter les États-Unis, même si ça pouvait être une bonne chose, ce n’est évidemment pas le cas en ce moment.
(…) Je pense que la question la plus importante à se poser maintenant, est de savoir comment essayer de mettre fin à cette guerre ? Plus d’escalade ? Plus d’armement ? Introduire de plus en plus d’armes rendra les conditions encore pires, principalement pour le peuple ukrainien. C’est lui qui souffrira le plus. Ce sont le réfugiés.es et les citoyens ordinaires qui ne veulent pas de cette guerre qui souffrent. Il faut se demander si une partition, même sanglante, serait la seule solution. Et si c’est le cas, pourquoi ne pas mettre le processus en marche dès maintenant ? L’assaillant et les assiégés n’en veulent pas. Ça ne devrait pas nous empêcher de plaider en sa faveur comme nous le faisons pour la fin des énergies fossiles. Les deux propositions ne sont pas plus utopiques l’une que l’autre. Mais personne ne s’avance à ce sujet.
Arrêtons-nous juste un instant. En Russie, on observe la naissance d’un courageux mouvement en faveur de la paix. Nous y sommes tous et toutes sympathiques. On a battu les manifestants.es, on les a emprisonnés.es. En Grande Bretagne, Boris Johnson et sa doublure, le leader du Labour Party, Keir Starmer, s’en sont pris au mouvement Stop the War. En Russie V. Poutine les traite « d’agents de l’OTAN » ce qu’ils nient en disant « Nous ne faisons pas rapport à l’OTAN ». Ici, en Grande Bretagne B. Johnson et K. Starmer les critiquent en disant : « En critiquant l’OTAN, vous faites le jeu de V. Poutine, vous le soutenez », ce que nous nions aussi. C’est George Bush qui a commencé cette critique en disant : « Si vous n’êtes pas avec nous et avec notre guerre, vous êtes avec les terroristes » Nous avons répondu que ce n’était pas une façon acceptable de mener un débat. Nous avons refusé cette division comme nous le faisons en ce moment.
Les politiciens.nes les plus en vue en Europe et ailleurs dans le monde devraient se demander : « Comment allons-nous arrêter cette tragédie » ? Je ne pense pas que V. Poutine qui a désastreusement mal calculé ce qu’il pouvait atteindre ….C’est maintenant très clair à partir de renseignements obtenus récemment qu’il a pensé que ce serait une (attaque) éclair alors qu’actuellement, son armée rencontre une résistance à laquelle elle n’était pas préparée. Voici un seul exemple : V. Poutine a envoyé à Kiev de simples policiers, sa garde policière et des troupes qui accomplissent des opérations de sécurité spéciales. Ils ont été repoussés et beaucoup d’entre eux ont été tués. Ce n’est sûrement pas dans l’intérêt de qui que ce soit, certainement pas de la Russie.
Ce conflit peut engendrer plusieurs conséquences, par exemple une partition sanglante de l’Ukraine qui, selon moi, serait moins pire que la poursuite de la guerre. Il se pourrait aussi que V. Poutine soit renversé à l’intérieur de son pays parce que le peuple russe commence à se rendre compte de ce qui se passe exactement. Certains.es de mes amis.es russes les plus utopiques, des philosophes, des militants.es, me disent : « Nous espérons qu’il se fera écraser par les Ukrainiens.nes, pas par l’OTAN parce que ça pourrait déclencher une autre révolution en Russie même ». Je ne crois pas à ça du tout.
Je pense effectivement que l’élite russe va être très en colère si cette guerre dure. Comment pouvez-vous garder le contrôle d’un pays dont la population ne veut pas être occupée ? L’OTAN a appris sa leçon après 20 ans en Afghanistan. En tous cas j’espère qu’elle l’a apprise et qu’elle ne tentera pas de répéter cette performance où que ce soit en Europe. V. Poutine devrait aussi avoir appris des propres expériences russes en Afghanistan, mais il semble bien que non. Comment voulez-vous occuper un pays sans avoir des milliers et des milliers de vos propres troupes sur ce terrain ? Même si vous installez un gouvernement fantoche, il aura besoin du soutien de vos troupes. Je suis convaincu qu’actuellement ces perspectives sont discutées sérieusement.
Donc, Amy, il serait possible de faire ce que les États-Unis ont fait avec le Venezuela ; ne pouvant renverser le gouvernement chaviste et N. Maduro, ils ont imaginé de créer un gouvernement fantoche avec J. Guaido, un total imbécile comme Président, de le reconnaitre et demander à leurs amis européens d’en faire autant. Personne en Amérique latine n’a pris cela au sérieux. Personne ! Alors, on peut imaginer : un président imaginaire dans un pays imaginaire. C’est ce que V. Poutine tente de faire aussi. Je ne le lui conseillerais pas, ce serait un échec monumental.
Il faut se rappeler que, dans le passé, les Ukrainiens.nes, étaient divisés.es presque également entre être plus ou moins avec la Russie ou être de même avec les États-Unis et son organisation militaire, l’OTAN. La division était de 40/40. À un moment donné, c’est monté à 50/50. Actuellement, on ne le sait pas, mais parmi mes amis.es ukrainiens.nes, presque personne ne veut d’une occupation permanente par la Russie, seules quelques personnes le veulent. Et il y a probablement plus de gens en faveur de l’OTAN qu’il y en avait précédemment.
Juan Gonzalez : Il y a ici un enjeu pour la gauche : quelle réponse apporter ? Il y a un article aujourd’hui dans le New York Times intitulé : Socialists’ Response to War in Ukraine Has Put Some Democrates on Edge. Il critique ouvertement la position des Democratic Socialists of America qui soutiennent que l’expansionnisme impérialiste de l’OTAN a alimenté la crise actuelle. Déjà, des candidats.es qui se présentent contre des personnes comme Jamaal Bowman s’y opposent sur la base de la politique étrangère et attaquent DSOC. Quelle serait, selon vous, la réponse à donner à gauche quant à cette invasion et la situation actuelle ?
T.A. : Je pense que nous ne pouvons pas dissocier complètement l’invasion des politiques agressives de l’OTAN depuis quelques décennies. Elle a été avertie : « N’essayez pas (ça) en Ukraine ». En novembre dernier, le Président Biden s’est exprimé à ce sujet et a plus ou moins admis que les protocoles d’admission de l’Ukraine dans l’OTAN étaient prêts. La gauche n’est pas la seule à tenir le discours qu’elle tient. Le chroniqueur vedette du New York Times, Thomas Freidman, que même avec beaucoup d’imagination on ne peut classer à gauche, était très critique dans ses deux chroniques de février. Il a cité un écrit très intéressant de George Kennan, le père de l’historiographie de la Guerre froide, la vraie guerre froide. Il y a quelques années, il nous mettait en garde contre la poursuite de nos politiques et disait que nous allions nous retrouver avec une situation horrible en Ukraine.
Il y a d’autres exemples : en 2008, Condoleezza Rice, qui faisait partie de l’administration B.W. Bush, avait reçu un avis d’un membre de la communauté du renseignement qui avait été en Russie pendant deux ans et demie. Il lui avait dit clairement et avec intelligence : « J’ai rencontré tout le monde. Des personnes qui haïssent V. Poutine, des libéraux, des militaires et personnes ne veut voir l’OTAN en Ukraine. Oubliez cette option ». Cette personne est actuellement directeur de l’Agence centrale du renseignement, c’est William Burns. Il doit vivre avec les effets d’un avis qu’il a donné et qui n’a pas été suivi.
Dire que l’OTAN est impliquée (en Ukraine) est un simple fait. Beaucoup de bons livres ont été publiés par des professeurs.es américains.es de politique internationale. Dans Not One Inch, la professeure M.E. Sarotte à l’Université Johns Hopkins, soutient que depuis le tout début les Russes n’ont pas compris que, finalement, les États-Unis et l’Allemagne iraient leur chemin et que M. Gorbatchev l’a reçu en plein visage. J. Baker, (le secrétaire d’État américain de l’époque), a déclaré : « Nous ne bougerons pas d’un seul pouce de plus vers l’est », à titre de garantie à la réunification allemande. Helmet Kohl, le chancelier allemand à ce moment-là, a rassuré M. Gorbatchev : « Nous ne permettrons même pas que l’OTAN installe des bases dans l’ancienne Allemagne de l’est ». Et voilà ce qu’est devenu le pouce en question : l’OTAN s’est avancé de 300 miles dans l’ancien marais soviétique de l’est européen. Il faut donc comprendre….
A.G. : Je veux vous remercier pour votre contribution à notre programme. (…)
N.d.t. Effectivement, il n’y pas de base militaire de l’OTAN en Allemagne de l’est. Mais ailleurs…..
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