Le réfrigérateur et la mollesse libérale
Pendant plusieurs décennies, la Gaspésie a été considérée comme un grand réfrigérateur dans lequel on venait piger des ressources sans se préoccuper de savoir si elles étaient renouvelables ou non. Pensons aux compagnies forestières et minières qui, pendant des générations, ont employé les Gaspésiens à exploiter leur patrimoine territorial et qui, après avoir spolié toutes les ressources, sont parties vers d’autres régions du monde. Chaque fois, elles ont laissé dans leur sillage des communautés atterrées, des familles appauvries et des promesses d’exil…
Aujourd’hui, le même scénario se reproduit avec la rareté des ressources en énergies fossiles et l’augmentation de la demande pour les métaux. Les impacts demeurent les mêmes alors que les redevances minières sont pratiquement inexistantes et qu’elles ne couvriraient probablement pas les coûts advenant une catastrophe écologique. Les ressources sont déjà, pour la plupart, réclamées par différentes compagnies : l’argile alumineuse, les réserves pétrolifères d’Anticosti et les poches de gaz de schiste. En somme, tout ce qui peut être minimalement rentable est déjà réclamé par diverses compagnies, qui, par chance, se buttent de plus en plus à une opposition citoyenne.
Nombre de scieries demeurées ouvertes, derniers legs de l’âge industriel, ferment progressivement leurs portes alors que se profilent au loin des industries dont on ignore les impacts qu’elles auront sur le territoire. Les emplois créés compenseront-ils pour l’exploitation des ressources ? Les Gaspésiens ont été laissés pour compte après les crises successives dans le secteur des pâtes et papiers et dans le secteur des pêches. Aujourd’hui, de nouvelles industries semblent vouloir s’implanter. Quelles en seront les conséquences ?
La mollesse du Parti libéral au cours de ses neuf années au pouvoir a été flagrante : le dossier des gaz de schiste en est un bon exemple. Alors que les autres régions plus proches des grands centres ont obtenu un sursis, la fracturation reste un dossier d’actualité dans le grand Gaspé. C’est sans compter Orbite Aluminæ, qui possède les droits d’exploitation de l’argile alumineuse sur plusieurs arpents dans la région de Grande-Vallée, et tout le dossier du gisement pétrolier Old Harry. Tout ça, sans véritables redevances. On se livre pieds et poings liés à des entreprises avides de profits sans se donner de réels moyens de limiter les impacts écologiques et sociaux – crise du logement et inflation au début du boom, chômage massif et désuétude des compétences lors du départ des usines.
Toute cette cabale politique de développement et de création d’emplois est accompagnée d’un manque de transparence envers l’électorat, le gouvernement Charest n’ayant réclamé que très peu d’études pour analyser l’impact économique, social et écologique qu’aura le développement de ces industries en Gaspésie. De la même manière, la volatilité des emplois dans le secteur primaire est un enjeu qui, jusqu’à présent, a été peu abordé par la classe politique.
La chasse aux Gaspésiens
Les récentes modifications au régime d’assurance-emploi, si elles sont appliquées telles qu’elles ont été déterminées lors de l’adoption législative, créeront un grave problème d’appauvrissement régional. De nombreuses familles se retrouveront dans une situation financière difficile. Bien que relevant du fédéral, cette mesure aurait dû être contestée par l’ensemble des membres de la classe politique provinciale.
Les transformations majeures au régime d’assurance-emploi ont été mises de l’avant par les conservateurs pour réduire le recours des « chômeurs chroniques » à ses dites prestations. Or, dans une région où l’essentiel de l’économie et de la structure sociale repose sur le travail saisonnier, les impacts des politiques conservatrices seront dévastateurs pour les familles gaspésiennes.
Ainsi, le fait de devoir se trouver un emploi à 70 % de son salaire habituel dans un rayon d’une heure de route créera une véritable onde de choc, car tout travailleur gagnant moins de 14,40 $ l’heure devra accepter un travail au salaire minimum sous peine de voir ses prestations d’assurance-emploi s’arrêter.
Bien avant l’apparition de l’industrialisation, la Gaspésie s’est bâtie avec l’apport des pêcheurs, des bûcherons et des agriculteurs. Rien n’est plus désolant que de constater que les travailleurs de ces industries seront les premiers touchés par ces changements politiques. Ce qui est plus atterrant encore, c’est qu’en raison des périodes récurrentes de chômage, les travailleurs seront plus sensibles à l’exploitation des énergies fossiles ainsi que des ressources minières et forestières. Cela aura pour effet d’augmenter l’appui au développement de ces industries, et ce, même si de graves conséquences sociales et environnementales sont à prévoir.
Un vent d’espoir
Tout n’est pas nécessairement noir lorsqu’il s’agit d’exploiter les ressources naturelles. Pour autant que les sites soient sécuritaires et que les communautés qui accueillent ces industries aient accès à d’autres secteurs d’activités, l’exploitation des ressources naturelles pourra continuer de se développer. Ajoutons à cela le volet écoresponsable. Le gouvernement doit s’engager à produire, par le biais d’experts réellement indépendants, des études sur l’impact environnemental de ces nouvelles formes d’exploitation. Il doit adopter de nouvelles lois balisant la production et assurant une gestion durable. Si toutes ces conditions sont réunies, l’exploitation des ressources naturelles en Gaspésie pourrait être jugée viable, tant sur le plan social qu’environnemental.