Plus important ne signifie pas nécessairement meilleur, comme nous l’a démontré toute une série de grandes fusions [2]-dans cette ère de syndicalisme multisectoriel. Le nouveau syndicat devrait représenter une force positive sur la scène ouvrière canadienne. Les TCA autant que le SCEP représentent une force dans des lieux géographiques et des secteurs différents mais complémentaires ; la mise en commun de leurs ressources devrait aider à répondre quelques-unes des pertes encourues par les membres de chacun des syndicats (un problème répandu dans l’ensemble du secteur privé) de même qu’à fournir les ressources collectives nécessaires pour l’éducation, la recherche et l’organisation.
Mais les TCA et le SCEP, dans leurs documents publics ainsi que dans les discours lors du dernier congrès des TCA, aspirent à des objectifs plus élevés. Au moment où le mouvement syndical canadien fait face à une impasse stratégique et à un déclin organisationnel marqué, le projet du nouveau syndicat est appelé à devenir un élément clé dans la perspective de changement de la situation, au moyen d’un plus vaste projet de renouveau syndical apportant des réponses aux attaques majeures contre la classe ouvrière et le mouvement syndical. On devra faire preuve de grande prudence dans l’évaluation de ces aspirations plutôt élevées.Le nouveau syndicat sera façonné et limité par le capitalisme néolibéral, les structures et expériences du mouvement syndical et de la classe ouvrière, et les limites particulières des syndicats à l’heure actuelle. Quelques soient les changements qu’il planifiera, il devra tenir compte de ces contraintes.
Ce ne sont-là que quelques-unes des contributions potentielles et réjouissantes qui font partie du projet de nouveau syndicat et qui sont dans le domaine du possible. Elles doivent être encouragées et appuyées, avec un certain nombre de mises en garde.
Mais les énormes défis auxquels le nouveau syndicat veut faire face, nécessite un projet de changement plus profond qui va au-delà de ses capacités actuelles et contredit plusieurs des approches (et des pratiques) de ses deux composantes. Ils dépendent également d’une série de projets politiques plus vastes qui n’existent pas actuellement et que les deux syndicats ne mettront probablement pas de l’avant.
Contexte, limites et ouvertures
Le nouveau syndicat prend forme à un moment où ces organisations et la classe ouvrière en tant que telle, ont essuyé de nombreuses attaques, revers et défaites. Les syndicats sont isolés et faibles tant au niveau politique qu’organisationnel. Cela diffère considérablement de la situation qui prévalait quand les TCA ont vu le jour. Dans les années ’80, la section canadienne des UAW, qui deviendra plus tard le nouveau syndicat TCA, souvent en alliance avec le mouvement social extérieur, le mouvement ouvrier et parfois avec d’autres syndicats, a mené une bataille qui remettait en cause le libre-échange et la politique d’intégration continentale au moyen de manifestations et d’éducation populaire auprès de ses membres et du public en général. Elle a les mobilisé contre le programme d’austérité de l’époque et, plus important encore, contre les grandes compagnies automobiles de même que contre la concertation qui prévalait au sein du précédent syndicat l’UAW. En refusant les concessions, en affirmant la nécessité de maintenir l’indépendance syndicale face aux employeurs et en rejetant la notion de compétitivité comme objectif, la section canadienne des UAW a joué un rôle inspirant auprès de ses membres ainsi qu’auprès d’un nombre considérable de travailleurs et travailleuses au Canada et, dans le processus qui a mené à la formation du nouveau syndicat.
Cette nouvelle formation n’a pas signifié la fin de ces luttes mais bien leur poursuite. Cela a contribué à la création des conditions d’intensification de la lutte contre la vague grandissante des transformations néolibérales. Le nouveau syndicat, né en 1985, a joué un rôle inspirant pour d’autres composantes de la classe ouvrière et pour la large communauté progressiste au Canada et a conduit à la croissance d’un syndicalisme plus sain.
Aujourd’hui, les efforts pour créer un nouveau syndicat à partir de la fusion des TCA et du SCEP se situent dans un contexte complètement différent. Le néolibéralisme s’est développé rapidement, conduisant pratiquement plusieurs syndicats du secteur privé à la défaite et la marginalisation, entrainant une segmentation radicale de la classe ouvrière. Cela a créé un écart matériel considérable entre ceux et celles qui proviennent des secteurs précaires ou bénéficient de l’assistance-sociale, et ceux et celles qui ont d’une certaine sécurité d’emploi et de meilleurs salaires. Plusieurs syndiquéEs et le reste de la classe ouvrière n’ont jamais participé à des luttes collectives. Plusieurs ont été obligéEs de ne compter que sur leur propre stratégie individuelle pour s’en sortir, ce qui les a pousséEs à définir leur propre compréhension de la société et du rôle qu’ils et elles ont à y jouer.
Les syndicats, particulièrement dans le secteur public mais aussi dans d’autres secteurs comme dans l’automobile, se retrouvent isolés de bien des façons de la classe ouvrière. Dans les meilleurs secteurs du mouvement ouvrier, les syndicats ont abandonné la lutte contre les concessions tant au niveau salarial que normatif, même dans les milieux de travail. Cela a favorisé une démoralisation des membres, mais a également refroidi ceux que les syndicats tentent de recruter.
Politiquement les syndicats n’ont pas contesté le système. Avec la défaite complète de la gauche radicale, qui a déjà servi de pôle de référence anti capitaliste, ils ont tenté de « retenir » ce qu’ils avaient, et de retourner à la nostalgie des bons vieux jours de l’État providence et du partenariat entre les employeurs et le gouvernement. D’un autre côté, l’intégration continentale, le libre-échange, la dépendance à l’exportation et les demandes patronales pour les concessions, ont pratiquement été acceptées par le mouvement syndical, incluant les deux syndicats qui fusionnent en ce moment. À ce chapitre, les grands partis politiques ne sont pas en reste.
Les syndicats sont liés au succès de certains employeurs dans des secteurs particuliers, et sont obligés de satisfaire les intérêts de leurs membres cotisants qui y travaillent. Dans une conjoncture où les plus protégéEs étaient en mesure de créer des modèles de négociations et de lutte pour les autres, cela ne semblait pas aussi restrictif qu’aujourd’hui. Mais en cette ère d’avancée du néolibéralisme, avec ses masses de sans-emplois, de travailleurs pauvres et précaires, cela participe à séparer les syndiquéEs des autres travailleurs, avec des résultats désastreux. Ils et elles sont vuEs par la majorité de la classe ouvrière comme des privilégiéEs.
Au lieu de faire partie d’un mouvement de résistance bien vivant, le projet de nouveau syndicat se situe dans un environnement de défaites et ceux qui le forment (dirigeantEs, militantEs et plusieurs membres de la base) ainsi que les autres syndicats et composantes de la classe ouvrière en sont marquéEs. Cela apporte une part de frustration qui les pousse à aller de l’avant. Mais n’ayant pas vraiment tiré de leçons de ces défaites, leurs positions demeurent limitées, et ils et elles en viennent à accepter complètement les limites définies par les corporations.
S’il veut être en mesure de répondre à ces obstacles, le nouveau syndicat, comme le reste du mouvement syndical, devra changer ses façons de faire. Les syndicats du monde capitaliste parlent souvent de développer de nouvelles stratégies : grandes fusions, programmes renouvelés, plus de poids en organisation etc. [3] Mais, le facteur crucial demeure le niveau de désorganisation et de défaites de la classe ouvrière en tant que telle, la force du néolibéralisme, les limites du syndicalisme tel qu’il existe et l’absence de réelles alternatives tant politiques qu’organisationnelles qui viseraient à créer un mouvement de classe unitaire.
(…) [4]
Conclusion
Dans son ensemble, le projet de fusion entre le SCEP et les TCA est positif. Son ambition d’y intégrer des individus et de s’ouvrir aux mouvements sociaux donne de bonnes perspectives de développement du militantisme. Mais le nouvel ordre du jour du nouveau syndicat se heurtera aux pratiques courantes, aux limites structurelles et politiques de notre époque et à l’inhabilité ou au manque de volonté du mouvement syndical à faire ce qu’il faut pour s’opposer à l’ordre dominant. La dernière entente avec les grands de l’auto à Détroit en est un exemple éloquent.
Pour effectuer ce changement il faudrait qu’il existe un mouvement socialiste et anticapitaliste bien vivant, en progression au Canada et en Amérique du Nord. Mais, ces temps-ci la gauche est faible, éclatée et isolée du mouvement syndical dans son ensemble. Développer ce mouvement va prendre du temps mais créera les conditions pour que les syndicats transforment leur organisation, leurs relations avec le reste de la classe ouvrière et leurs positions politiques.