Édition du 17 décembre 2024

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France insoumise, chronique d’un désastre annoncé

Surprenante par son ampleur, la débâcle du mouvement de Jean-Luc Mélenchon n’en était pas moins prévisible. Après des mois d’errements stratégiques, de tensions internes, et de fragilisation de son leader, La France insoumise se voit affaiblie. Durablement ?

27 mai 2019 | mediapart.fr

Les insoumis avaient pourtant mis toutes leurs forces dans la bataille. Une forte mobilisation militante, une collecte de fonds réussie, un beau tableau de partenaires européens, des dizaines de meetings et de réunions publiques avec l’implication de l’ensemble des députés. À commencer par Jean-Luc Mélenchon lui-même, revenu en première ligne au mitan de la campagne pour sillonner la France dans des salles remplies et enthousiastes… La campagne était belle, vivante, pleine d’espoir.

À l’arrivée, c’est un fiasco. Même si elle gagne deux eurodéputés et 150 000 voix par rapport à 2014, La France insoumise, avec ses petits 6,31 % des suffrages rassemblés dimanche 26 mai, reste dans les basses eaux du Front de gauche (alliance du Parti de gauche et du PCF) aux précédentes européennes. Pire : pour ce scrutin, envisagé comme un marchepied vers les municipales, puis la présidentielle, la formation de Jean-Luc Mélenchon se retrouve telle l’arroseur arrosé.

Alors que, forte de ses 19 % à la présidentielle, LFI ambitionnait de « remplacer » un PS en perdition, elle arrive un dixième devant la liste portée par Raphaël Glucksmann – et à égalité en nombre de sièges attribués. Surtout, la liste de Manon Aubry rassemble deux fois moins d’électeurs que celle d’Europe Écologie-Les Verts, la formation écolo remplaçant, de fait, LFI comme leader de l’alternative « progressiste » à la droite macroniste et à l’extrême droite.

Dimanche, dans le restaurant réservé pour la soirée de campagne, c’était la douche froide. Manon Aubry, la tête de liste, apparaissait, l’air désolé, sur l’estrade, pour un discours lugubre. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il se faisait applaudir par les rares militants qui s’étaient déplacés au Belushi’s. Mais on ne savait pas si ces applaudissements relevaient de l’encouragement à continuer vaille que vaille, ou du baroud d’honneur.

L’heure est-elle pour autant à l’examen de conscience ou à l’autocritique ? Au lendemain du scrutin, cela n’en prenait pas le chemin. Du côté des cadres insoumis, c’était silence radio – aucun n’a souhaité répondre aux appels de Mediapart. Et quand François Ruffin se faisait d’une discrétion de violette, Alexis Corbière, lieutenant de Jean-Luc Mélenchon, fermait d’emblée la porte à toute remise en question des choix politiques de son chef : « Jean-Luc Mélenchon est quand même le moteur de ce que nous faisons. C’est lui qui a fait émerger ce mouvement nouveau à hauteur de près de 20 % [lors de l’élection présidentielle de 2017], c’est lui qui rassemble énormément de gens dans nos meetings », déclarait-il ce lundi matin, lendemain de l’élection, sur France Info. Comme s’il fallait à tout prix sauver le soldat Mélenchon.

Dimanche soir, au Belushi’s, un bon connaisseur de la maison Mélenchon ne se faisait guère d’illusion : « Ceux qui sont au pouvoir dans le mouvement vont faire porter le chapeau à Manon Aubry et à la stratégie de petite ouverture à gauche qu’on a enclenchée. Ils vont décréter qu’il faut revenir à la stratégie populiste pure et dure. C’est écrit d’avance », confiait-il sous le sceau de l’anonymat.

La débâcle, certes surprenante par son ampleur, était néanmoins prévisible. Depuis des mois, tous les signaux étaient au rouge. Quoi qu’en aient dit certains dirigeants du mouvement, toujours prompts à crier haro sur les supposées manœuvres du « parti médiatique », tout, ou presque, était là, sous leurs yeux.

La défaite à la totalité des 10 législatives partielles organisées depuis 2018, par exemple. La bataille perdue d’Évry, analysée de manière expéditive par un Jean-Luc Mélenchon soucieux de ne pas ouvrir un débat de plus dans un mouvement qui venait d’être percuté, un mois plus tôt, par l’épisode des perquisitions, aurait pourtant mérité d’être autopsiée avec sérieux et distance. Elle aurait ainsi fait apparaître la difficulté du mouvement à mobiliser l’électorat populaire (comme nous l’expliquions ici). Ce qui s’est confirmé aux européennes, LFI ne mobilisant que 12 % des foyers touchant un revenu moyen de 1 200 euros – contre 30 % pour le Rassemblement national.

Il y eut ensuite cette série de départs au compte-gouttes de militants « de base », mécontents du manque de démocratie interne. Ils n’étaient d’ailleurs que 18 000 insoumis à voter à la convention de Bordeaux, en décembre, pour ratifier la liste des candidats aux européennes, soit 3,5 % du corps électoral des 500 000 sympathisants (inscrits sur le site) revendiqués par le mouvement, et moitié moins que lors du premier vote pour la liste non ordonnancée, au mois de juillet (33 000 votants).

Sans parler des prises de distance, avec plus ou moins de fracas, de membres éminents du premier cercle : l’éloignement de Charlotte Girard, pressentie pour porter la liste aux européennes avant qu’elle ne jette l’éponge, le départ de Thomas Guénolé, responsable de l’école de formation, en passant par le décrochage de l’aile populiste du mouvement comme de l’aile la moins populiste avant Noël 2018…

Après trois ans d’efforts pour tenter de bâtir un mouvement neuf, centripète, et porté par une jeune garde de responsables (les 17 députés du groupe parlementaire), les perquisitions, et la semaine noire qui s’est ensuivie, ont sans doute été le coup le plus dur porté à la « figure porteuse » de Jean-Luc Mélenchon. Perdant de sa présidentiabilité – et donc de sa capacité de rassemblement –, il s’est retrouvé de plus en plus critiqué par un certain nombre de ses électeurs de 2017. Et même par la base militante, dont une partie a fini par voir dans le personnage de François Ruffin une alternative possible...

Là-dessus, la campagne de Manon Aubry n’a pas été une sinécure. Accusée par un de ses colistiers de passer le début de la campagne « enfermée dans une salle rue de Dunkerque [le QG de la campagne] avec Manuel Bompard [le numéro 2 de la liste – ndlr], sans vouloir écouter aucun conseil », l’ancienne d’Oxfam avait une mission (impossible) : tenir tous les bouts d’une ligne stratégique et politique illisible.

Héritant des ambiguïtés du mouvement sur des questions centrales telles que la sortie des traités et le Plan B, la mission qui lui avait été confiée au départ était d’aller chercher les électeurs de gauche classique… au moment même où Jean-Luc Mélenchon s’engageait corps et âme dans le soutien aux gilets jaunes.

Un positionnement « au milieu du gué », ni vraiment populiste ni vraiment gauche classique, qui, selon Jérôme Sainte-Marie, politologue et sondeur, proche de Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle, a fini par mécontenter tout le monde : « La stratégie était trop populiste pour la gauche, et trop à gauche pour les populistes », résume-t-il.

« Comme le montrent les mauvais résultats de Podemos aux européennes, tous les populistes de gauche arrivent au bout d’une dynamique en Europe, comme si le “moment populiste” était en train de se refermer, rattrapé par la résilience partielle des anciens partis politiques, analyse Arthur Borriello, chercheur au Cevipol. Dans ce contexte, Jean-Luc Mélenchon a été en hésitation constante pour savoir s’il devait, ou non, continuer sa stratégie populiste. »

Comme souvent en temps de crise (lire ici), les débats ont donc repris de plus belle, ces dernières heures, entre les pro et les anti-ligne populiste, tous se renvoyant la responsabilité du « bouillon » électoral. Dimanche soir, après la proclamation des résultats, François Cocq, cadre du Parti de gauche, a immédiatement regretté que LFI se soit, durant la campagne, « cornérisée dans la petite gauche, abandonnant la tâche de la révolution citoyenne qu’elle avait su porter lors de la présidentielle. Pire, son erreur stratégique et sa confusion programmatique l’ont ramenée aux yeux des gens au rang d’une force comme les autres ».

Analyse inverse de la députée insoumise Clémentine Autain, qui n’en rabattait pas sur les critiques : « Le ressort de la stratégie populiste, le choix entre “eux” et “nous”, tout cela a fait long feu. On ne doit pas verser dans un discours de la haine, mais porter un discours d’alternative sociale et écologique. »

Derrière l’éternel débat stratégique se profile aussi une question de moins en moins taboue au sein du mouvement : comment se dépatouiller avec un Jean-Luc Mélenchon à l’image écornée depuis l’épisode des perquisitions, et qui, très engagé personnellement dans la campagne des européennes – son visage était sur le bulletin de vote à côté de celui de Manon Aubry –, subit aujourd’hui aussi un revers personnel ?

« LFI, c’est un programme, un leader, une stratégie », avait coutume de dire Manuel Bompard, le directeur de la campagne présidentielle, en 2017. Deux ans plus tard, il semble que deux des trois piliers se soient, du moins en partie, effondrés. D’autant que LFI n’a pas de structure pour gérer le choc, ni de « fusible » à faire sauter, tous les pouvoirs étant concentrés dans la personne du député de Marseille et ses quelques très proches.

« Malgré ce qui avait été promis au sortir de l’été dernier, il n’y a pas de lieu de débat stratégique, rien n’a été prévu pour échanger, on ne peut discuter de rien », déplore Clémentine Autain. « Les insoumis vont payer leur choix stratégique d’avoir créé un mouvement et non un parti. Normalement, après un échec de cette ampleur, les partis organisent un congrès, mais là que peuvent-ils faire ? », s’interroge Jérôme Sainte-Marie.

D’autant que la suite s’annonce peut-être pire encore. Avec son faible score aux européennes, le mouvement, qui se voyait déjà au centre de la recomposition de la gauche via la constitution d’une fédération populaire, aura bien des difficultés à peser dans le rapport de force lors de la construction des alliances nécessaires aux prochaines municipales.

Pauline Graulle

Collaboratrice à la revue Politis (France).

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