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Santé

Financement par statistiques dans le réseau de la santé : une bombe à retardement (APTS)

LONGUEUIL, QC, le 24 mars 2015 - L’APTS s’inquiète vivement des effets pervers de la « gestion par statistiques » utilisée largement dans le réseau de la santé et des services sociaux ; tout particulièrement pour les services à domicile. Comme l’indique Le Devoir de ce matin, l’utilisation des statistiques liées à des cibles de performance atteint des niveaux insoutenables pour le personnel du réseau. Ces statistiques conditionnent en partie les budgets que reçoivent les établissements.

« Nos membres subissent l’équivalent du PL 20 depuis des années, indique la présidente de l’APTS, Carolle Dubé. Cadences et quotas sont leur lot quotidien. L’obsession du ministère pour la pseudo-performance et les statistiques va finir par faire sauter le presto. Ce système fou est une machine à épuisement professionnel. »

Les gestionnaires subissent d’énormes pressions du ministère de la Santé et des Services sociaux, pour augmenter le nombre d’heures de visite à domicile par exemple.

Si la cible n’est pas atteinte, l’établissement peut même perdre son financement. « C’est clair : dans le réseau, l’argent ne suit pas le patient, affirme la présidente. L’argent suit la statistique. Sur qui pensez-vous que revient alors la pression ? Directement sur les épaules des travailleuses sociales, des ergothérapeutes, des physiothérapeutes et des thérapeutes en réadaptation physique, entre autres, pour qu’ils se déplacent le plus souvent possible à domicile, alors que ce n’est pas toujours nécessaire. Le but unique : obtenir la statistique la plus payante pour l’établissement. »

Créativité statistique imposée par les gestionnaires

L’APTS a réalisé une enquête auprès de ses membres pour connaître l’ampleur du désastre statistique. Plusieurs d’entre nous ont fait état de leur grand malaise face aux exigences des employeurs, qui viennent miner leur autonomie professionnelle. Par exemple, certains intervenants se font carrément dire par leur gestionnaire d’apporter leur ordinateur au domicile du patient pour y rédiger leurs notes afin d’augmenter artificiellement la durée des visites à domicile. D’autres se font fortement conseiller de scinder leurs interventions en deux ou trois visites afin d’améliorer leurs statistiques, alors qu’une seule aurait pu suffire. « On fait perdre ainsi un temps fou aux intervenants, qui pourraient utiliser leur précieux temps à meilleur escient, s’indigne Carolle Dubé. Au bout du compte, le public n’est pas mieux servi. Il n’y a aucune utilité clinique à multiplier des visites dans le seul but de gonfler les statistiques artificiellement. Cette créativité statistique, à la base du financement du réseau, est un leurre qu’il faut dénoncer. »

Une intervenante nous raconte : « Pour un patient, nous devons faire plusieurs types d’interventions, dont des démarches auprès de tiers. Nous pouvons parfois faire plusieurs démarches dans une journée : l’une pour des problèmes financiers et l’autre pour obtenir un logement, par exemple. Or, une seule de ces démarches sera prise en considération. Une seule sera « statable ». Par contre, si j’attends au lendemain pour faire et inscrire la deuxième démarche, elle sera comptabilisée. Si l’exigence demandée par mon gestionnaire est de réaliser 5 démarches en 5 jours, il suffit que je m’absente une journée pour faire baisser mes statistiques. C’est absurde. » Cette pression pour des statistiques en apparence reluisantes crée un climat de compétition malsain entre les intervenants. Lorsqu’une personne tombe malade, c’est la responsabilité de l’équipe entière de compenser pour la baisse des statistiques. Résultat : épuisement professionnel et maladies.

Les cibles en visite à domicile sont homogènes pour l’ensemble du Québec, de St-Henri à Sillery, en passant par Chicoutimi. Elles ne tiennent pas compte des particularités propres à chaque région. Pire encore, elles sont récurrentes : elles doivent être répétées chaque année. Les directions d’établissement elles-mêmes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer cette situation. « Dans certains contrats (ententes de gestion et d’imputabilité), notamment celui du CSSS du Sud de Lanaudière, on peut lire noir sur blanc que les cibles sont totalement irréalistes, ajoute Carolle Dubé. Même les directions sont indignées. Il est temps de réduire la pression. »

Financement par activités

Le gouvernement veut se lancer tous azimuts dans le financement à l’activité. À la base de ce mode de financement : les statistiques. « Celles-ci ne sont même pas fiables, indique la présidente. Pour dix intervenants, il peut y avoir dix interprétations différentes d’un même acte. Sans parler de la pression à la créativité statistique exercée par les gestionnaires. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce projet part sur de bien mauvaises bases. »

Pour l’APTS, ça ne peut plus continuer comme ça. « Au lieu de contrôler l’autonomie de nos membres, il faut leur faire confiance. Ce sont eux qui connaissent le mieux les réalités du terrain. Les objectifs comptables à courte vue n’apportent aucune véritable économie. Au lieu de dépenser des sommes faramineuses en contrats informatiques, mettons l’argent dans les services directs à la population. Les professionnels et les techniciens sont des experts. Il est temps de cesser de les mépriser », de conclure Carolle Dubé.

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