Tiré de Fugues
Crédit photo : Alexis GR
Par Samuel Larochelle, 27 avril 2024
À quel point ces thérapies peuvent-elles causer des dommages ?
Jocelyn Lebeau : La première étude canadienne sur le sujet démontre que 10% des personnes LGBTQ+ en auraient subi, soit près de 100 000 personnes à travers le pays. Les impacts de ces thérapies, qui ont souvent lieu à l’adolescence, sont nombreux : hausse de l’anxiété, problèmes d’estime de soi, impact sur le parcours scolaire et socio-professionnel et suicides, tant certaines personnes en sont venues à se détester. L’expert Martin Blais dit qu’une thérapie de conversion est une entreprise de destruction massive de l’identité et de la confiance en soi.
Historiquement, ces thérapies ont pris plusieurs avenues : exorcisme, discussions avec des « spécialistes », lobotomie, LSD, greffes de testicules d’hommes hétéros, castration, électrochocs, viols correctifs, auto-punition de « reconditionnement ». Comment as-tu réagi en découvrant ça ?
Jocelyn Lebeau : Ça m’a choqué ! Dans le milieu médical, jusqu’en 1990, l’homosexualité
était un trouble de santé mentale, selon l’Organisation mondiale de la santé, alors que la transidentité était perçue comme une maladie jusqu’en 2019. Donc, la médecine tentait de répondre à cette vision. C’est long de faire changer la médecine partout sur la planète. Jusqu’à récemment, dans certains bureaux de psychologues reconnus par l’Ordre des psy du Québec, on suggérait subtilement de faire une thérapie de conversion.
En ce qui concerne le milieu religieux, il est plutôt question de rencontres avec un prêtre ou un pasteur, de lectures des versets de la Bible, de camps religieux comme dans le film Boy Erased ou . Ça existe encore, même si on sait que ça ne fonctionne pas.
Comment expliquer notre ignorance sur ces pratiques ?
Jocelyn Lebeau : Olivier Ferlatte, le chercheur de la grande étude, affirme que c’est un sujet tabou, même au sein de la communauté. C’est seulement en commençant à travailler là-dessus qu’il s’est rendu compte que certain.e.s collègues qu’il côtoyait depuis des années en avaient vécu et que ça se passait chez nous.
Le balado met la lumière sur le fait que ça s’est passé ici, que ça peut encore se produire et que c’est criminel au Canada depuis janvier 2022. La loi a été adoptée à l’unanimité par l’ensemble des élu.e.s, car c’est considéré comme une forme de torture. Seule une douzaine de pays interdit les thérapies de conversion sur la planète.
Même si le Québec a expulsé l’Église il y a six décennies, la religion occupe-t-elle plus de place qu’on le croit ?
Jocelyn Lebeau : Je tiens à préciser que le christianisme n’a pas le monopole de l’homophobie et de la transphobie, et qu’il existe des églises ouvertes aux personnes LGBTQ+. Il y a moyen de vivre sa foi en étant queer. Je ne veux pas démoniser la religion. Bien sûr, il y a moins de pratiques religieuses qu’à une certaine époque au Québec, mais ça existe encore. Pour certaines personnes, la religion, c’est toute leur vie : leurs croyances, une partie de leur éducation, leur cercle social, leur fun de fin de semaine.
Si ton entourage te propose une alternative pour te libérer du « démon de l’homosexualité », tu as tendance à les écouter, car ces gens partagent les mêmes valeurs que toi. Et lorsque tu réalises que ça ne fonctionne pas et que tu vas moins bien depuis que tu as subi les thérapies de conversion, si tu choisis de quitter ton groupe religieux, tu te détaches de tous tes cercles : tes amis, ta famille, ta gang.
Les thérapies de conversion viennent beaucoup de la volonté de maintenir une forme d’ordre social où les rôles sont très définis. D’où vient ce besoin de rigidité ?
Jocelyn Lebeau : La société a installé un système très binaire : le bien et le mal, les hommes et les femmes, etc. Il y a plusieurs choses qui sont séparées sans rien au milieu. Mais depuis quelques années, on se rend compte qu’entre les deux, il existe plusieurs choses et ça brasse la cage de certaines personnes. Ça bouleverse certaines visions du monde. Je crois qu’on est dans une période de changement positive, mais on assiste également à une remontée de l’homophobie et de la transphobie. C’est pour ça qu’il faut se faire entendre et donner des exemples de réussites publiquement.
Tu fais intervenir un homme pro-thérapies de conversion, qui prétend que ça ne crée pas de dommages et que l’homosexualité est une croix. Pourquoi lui offrir une tribune ?
Jocelyn Lebeau : On trouvait ça important d’avoir différents points de vue. Comme on demande aux gens de comprendre les réalités LGBTQ+, je crois qu’on doit nous aussi tendre l’oreille à ce que certaines personnes pensent. Cela étant dit, c’était la rencontre qui me stressait le plus. Je savais qu’on ne voyait pas l’orientation sexuelle et l’identité de genre de la même façon. Au final, ç’a été une discussion entre deux adultes qui essayaient d’entendre le point de vue de l’autre. Selon sa vision, l’homosexualité est un démon dont on peut se débarrasser. Je ne suis pas d’accord. Mais de l’entendre, ça m’a permis de réaliser que certaines personnes voient ça ainsi.
J’ai envie de vivre dans une société où tout le monde peut échanger pour faire avancer les choses. Il n’est pas le seul à penser comme ça. Il dit lui-même que s’il y avait des études plus poussées faites par d’autres spécialistes, il serait prêt à se rallier au consensus scientifique. Présentement, il croit qu’il y a un lobby gai et que des gens ne peuvent pas pousser les études aussi loin qu’ils le souhaiteraient. Nous lui avons partagé nos recherches. Je ne crois pas qu’on l’a fait changer d’idée, mais dans cet échange, peut-être qu’on peut espérer faire un peu changer les choses.
Les personnes comme lui trouvent souvent des raisons pour justifier que toutes les preuves qu’elles ont tort sont sans fondement. Ça vient entre autres d’une perte de confiance envers les institutions et ça semble justifier tous les comportements et tous les idéaux.
Jocelyn Lebeau : Lui-même reconnaît que certains de ses propos peuvent se rapprocher de théories conspirationnistes. Il nous l’a dit. Mais on entend l’échange au complet : ses propos, nos réponses et nos nuances. Ce segment-là permet de remettre en lumière certains faits sur les thérapies de conversion. C’est important de réagir et de rectifier les faits.
Le balado donne aussi la parole à un jeune Québécois qui affirme être passé d’homo à hétéro, qui dit avoir changé pour être ce que Dieu veut qu’il soit et qui s’abandonne chaque matin, dans le sens qu’il met de côté une part de lui-même pour être hétéro. Comment réagissais-tu à ses propos ?
Jocelyn Lebeau : Au début, ça confronte ! C’est une autre façon d’aborder son rapport à la vie. Il a l’air très heureux dans sa relation avec Dieu, sa femme et ses enfants. Il a choisi d’écouter ce que Dieu lui a envoyé comme message. Je respecte ses choix.
As-tu hésité avant de diffuser une parole qui pourrait permettre à d’autres personnes de se reconnaître et les encourager à écraser une part d’elles-mêmes ?
Jocelyn Lebeau : Pas du tout, car on donne aussi la parole à plusieurs spécialistes qui affirment n’avoir jamais rencontré une personne qui a réussi à changer son orientation sexuelle ou son identité de genre à l’aide des thérapies. On est tous libres d’écouter nos désirs ou non. Martin Blais dit espérer que les gens qui prennent cette décision ont un sentiment d’accord avec eux-mêmes chaque jour. Dr Richard Montoro explique que ce n’est pas nécessairement santé. Après ça, les gens peuvent tirer leurs conclusions.
Tout au long du balado, je t’ai senti à fleur de peau. Pourquoi ?
Jocelyn Lebeau : Parce que c’aurait pu être moi. À l’adolescence, si j’avais baigné dans un milieu religieux et qu’on m’avait proposé une thérapie de conversion, j’aurais embarqué à 100 milles à l’heure. Ça me faisait tellement chier d’être gai ! Donc, je me reconnais dans ces personnes-là. Je les trouve courageuses de nous parler. Elles ont fait preuve de tellement d’authenticité que je me devais d’en faire autant.
INFOS | Suivre le balado Fais un homme de toi sur Ohdio :https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados
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