Édition du 29 octobre 2024

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Le chef de l’Assemblée des Premières Nations fustige la CAQ pour son bilan

Ghislain Picard dénonce l’attitude du gouvernement Legault envers les Premières Nations à l’occasion de la fin du premier mandat de la CAQ. Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, publiait cette semaine dans La Presse une lettre très critique à l’égard du gouvernement Legault pour souligner la fin de son premier mandat au pouvoir. Pivot s’est entretenu avec lui pour mieux comprendre les principaux griefs qu’il retient contre le gouvernement caquiste et les motivations derrière cette sortie publique.

11 juin 2022 | tiré de pivot.québec

Pivot : Alors qu’il refusait de parler de racisme systémique, le gouvernement Legault a demandé qu’on le juge non sur la sémantique, mais sur ses actions. À l’heure des bilans, qu’avez-vous pensé de ses actions ?

Ghislain Picard  : Ce n’était vraiment pas impressionnant. Pour nous, c’est clair que le gouvernement va rester dans ses tranchées sur le racisme systémique, alors même que le terme fait l’unanimité partout. C’est clair pour moi qu’à ce stade, nous pouvons appeler ça une idéologie qui est devenue celle du gouvernement provincial.
D’ailleurs, le gouvernement fédéral a organisé au moins trois forums nationaux pour parler du racisme systémique dans le réseau de la santé. Pendant ce temps, le Québec a choisi de s’en tenir à sa position. C’est clair que du côté des Premières Nations, ça ne fait pas l’unanimité.

Pivot : Pourquoi est-ce important pour vous de dénoncer le bilan de la CAQ en matière de relation avec les Premières Nations ?

Ghislain Picard : C’est l’heure des bilans pour tout le monde. Les partis d’oppositions le font aussi et nous ne voyons pas pourquoi nous nous priverions de ce droit-là.
C’est une occasion pour nous de revenir sur des enjeux qui ont été négligés autant dans leur traitement que dans les considérations de la part du gouvernement. C’est important de les ramener dans l’espace public dans les prochains mois, en prévision de la campagne électorale qui sera déclenchée à la fin de l’été.

Pivot : Dans votre lettre, vous avancez que le gouvernement de François Legault se distingue de tous les autres dans l’histoire moderne du Québec par la somme des rendez-vous manqués avec les Autochtones. Qu’entendez-vous par là ?

Ghislain Picard  : Par exemple, il y a la réforme sur la protection de la jeunesse, où les propositions que nous avons amenées [pour adapter les règlements à nos réalités] ont frappé un mur. C’est la même chose avec le projet de loi 96 sur la langue française.
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Legault a entamé des démarches afin de contester la législation fédérale reconnaissant une capacité de gouvernance à nos communautés et donc une capacité d’agir de notre gouvernement. Il conteste un droit qui est extrêmement important pour nous à plusieurs égards. Je considère que [de contester la constitutionnalité] de la loi fédérale concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (C-92) est tout simplement une grande injustice.

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis a été adoptée en 2019 par le gouvernement fédéral. Elle vise à donner des pouvoirs de protection de la jeunesse aux communautés autochtones, afin notamment que l’État ne puisse plus intervenir pour séparer des familles. Adoptée dans la foulée des discussions concernant les pensionnats autochtones, elle vise explicitement à empêcher que des événements similaires puissent se reproduire.
À lire  :« Les Atikamekw d’Opitciwan reprennent le contrôle sur la protection de la jeunesse »

Après avoir été débouté par la Cour supérieure puis par la Cour d’appel du Québec, le gouvernement Legault conteste maintenant la constitutionnalité de cette loi devant la Cour suprême du Canada, invoquant qu’elle constitue une ingérence dans ses compétences en matière d’éducation.
Ce qui fait peur au gouvernement de la CAQ, c’est de voir au Québec un autre ordre de gouvernement qui serait celui exercé par les Premières Nations.
Cela change la donne de façon importante. L’avis de la Cour d’appel du Québec de février dernier sur la loi C-92 dit que, dorénavant, il n’y aura pas uniquement les compétences fédérales et les compétences provinciales, mais qu’il y aura aussi les compétences que peuvent exercer les Premières Nations. Pour moi, c’est majeur et ça fait peur au gouvernement.

Pivot : Vous faites aussi référence au fait que le Québec ne peut pas se construire comme nation en ignorant les autres peuples avec lequel il partage son territoire. Que voulez-vous dire par là ?

Ghislain Picard : Nous pouvons sans doute faire un parallèle assez facile entre la poussée nationaliste de l’actuel gouvernement, qui vise à pousser l’importance du français comme langue commune, et la volonté d’affirmation des Premières Nations. Je voyais d’ailleurs monsieur [le ministre de Langue française Simon] Jolin-Barrette qui se réjouissait que la Constitution canadienne reconnaisse maintenant en toutes lettres la spécificité du Québec.
Ce que nous voulons dire ici, c’est que tant mieux si le Québec est capable d’accéder à cela, mais il ne faut pas que ça se fasse en niant les droits des autres nations qui sont également sur le territoire, soit les Premières Nations.

Pivot : Le gouvernement a semblé plus actif sur la question autochtone depuis la mort de Joyce Echaquan. Est-ce que c’est aussi ce que vous constatez de votre point de vue ?

Ghislain Picard  : En marge des événements de Joliette en septembre 2020, les ministres se sont rapidement donné la main. Je pense même à une annonce, faite quelques jours après le décès tragique de Joyce Echaquan, où l’on voyait trois ministres [sur place]. Le gouvernement se mobilisait pour faire l’apologie des services de santé en promettant de changer les choses et d’écouter les propositions amenées par les communautés.
Parmi elles, il y avait deux choses extrêmement importantes. D’abord le Principe de Joyce, que le gouvernement a reconnu, mais sans agir sur cette reconnaissance. Puis la sécurisation culturelle, qui vient d’être reportée à plus tard alors qu’au départ le point était de s’assurer de l’intégrer rapidement à la Loi sur la santé et les services sociaux.
Finalement, ce dossier-là, qui aurait dû être réglé depuis maintenant deux ans, va devenir une promesse électorale.

Pivot : Est-ce qu’il y a quand même eu des dossiers où les choses se sont bien passées et dont le gouvernement pourrait s’inspirer pour mieux agir dans les autres ?

Ghislain Picard : Il y a eu des ententes avec les communautés et je ne crois pas qu’on ne puisse rien leur enlever. Nous le voyons d’ailleurs dans les voyages que fait monsieur [le ministre responsable des Affaires autochtones Ian] Lafrenière depuis quelques mois, où il annonce à gauche et à droite du financement. Lui-même prétendait se rendre à pas loin de 200 millions $ en annonces depuis qu’il est en poste.
C’est bien de s’entendre avec les communautés, mais ces annonces restent en surface. Il y a beaucoup de dossiers en dessous de la surface qui méritent l’attention du gouvernement, dont les grandes questions que j’ai soulevées plus tôt.
À celles-ci nous pouvons aussi ajouter la question de [l’adhésion à] la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une résolution unanime de l’Assemblée nationale en octobre 2019 [pour reconnaître ses grands principes et s’engager à négocier sa mise en oeuvre].
Ça remonte déjà à trois ans. Depuis, qu’est-ce qui s’est passé au juste ?
Ce qui s’est passé, c’est vraiment que le premier ministre a une espèce d’obsession comme quoi la Déclaration représenterait un droit de veto [pour les Premières Nations], alors que ce n’est pas du tout ça. Cela mérite des explications et à ce jour, à moins que j’aie manqué quelque chose, il n’y a pas grand monde au gouvernement qui s’est expliqué par rapport à cette absence de volonté de discuter de la Déclaration avec les principaux concernés, soit les Premières Nations.

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