12 avril 2022 | tiré du site alencontre.org
Les courriels de collecte de fonds de Trump ont contribué à réunir 378 millions de dollars faits de petits dons durant la campagne 2020. Il y a 110 millions de dollars dans le trésor de guerre de l’ancien président en février 2022. C’est plus que le total déclaré par le Comité national républicain et le Comité national démocrate réunis. Ce succès dans la collecte de fonds suggère que le message de Trump entre en écho avec une partie substantielle de la base républicaine, alors que d’autres politiciens d’extrême droite lancent des attaques fracassantes avant les élections de mi-mandat [le 8 novembre 2022] contre le droit à l’avortement, contre l’histoire des Noirs [esclavage, oppression, discrimination…], contre les écoles publiques et les personnes LGBTQ.
Les courriels trompeurs [1] de Trump pour la collecte de fonds ne sont pas seulement une odieuse arnaque. Si vous êtes un partisan inscrit sur la liste d’e-mails convoitée [dans le sens où ces listes de mails sont vendues, New York Times, 13 octobre 2018] de Trump, on vous dit que des « forces sinistres » sont en train de détruire une nation qui appartient de droit à des « patriotes loyaux comme vous ». Seul Trump peut « sauver l’Amérique » de cette humiliation, disent les courriels, faisant un clin d’œil à la rhétorique fasciste du XXe siècle, selon les experts.
Certains appels semblent fonctionner comme une loterie, offrant aux donateurs une chance de rencontrer Trump en personne ou d’assister à un rassemblement « top secret ». Un courriel datant de février 2022 et signé par « Donald J. Trump » invite les partisans à rejoindre le « cercle d’amis restreint » du célèbre président, où « quelques privilégiés » auront droit à « des informations confidentielles – des informations qui, j’en suis sûr, ne seront partagées avec personne d’autre ».
Les promesses d’informations secrètes et de proximité avec Trump semblent renvoyer à l’approche de QAnon, la théorie de la conspiration raciste et antisémite d’extrême droite selon laquelle Trump lutterait contre une cabale « élitaire » de « pédophiles ». QAnon continue de recevoir des clins d’œil de la part de Trump et d’élus alliés tels que la représentante Marjorie Taylor Greene (républicaine, Géorgie).
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Les experts débattent depuis des années de la question de savoir si Trump et son mouvement sont fascistes, mais les mensonges de Trump sur une élection volée et l’attaque du 6 janvier contre le Capitole ont franchi une ligne rouge pour des historiens comme l’expert en fascisme Robert Paxton [auteur, entre autres, de La France de Vichy, 1940-1944]. Certains journalistes qualifient désormais ouvertement le mouvement de Trump de « fasciste » ou de « néofasciste ». En effet, les experts affirment que des éléments de la pensée fasciste se retrouvent régulièrement dans les discours de Trump ainsi que dans ses courriels de collecte de fonds, qui sont payés par le Save America Joint Fundraising Committee et soutenus par deux super PAC [sans plafond de dons] pro-Trump.
Dans une explication pratique publiée sur The Conversation, Joe Broich, professeur associé à la Case Western Reserve University, donne une définition large du « fascisme » tel que le conçoivent les historiens. Les partis fascistes sont apparus en Italie après la Première Guerre mondiale et se sont répandus en Europe et dans le monde, notamment aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et en Inde. Le fascisme est « l’extrême logique du nationalisme », l’idée que les Etats-nations doivent être « construits autour de races ou de peuples historiques ». Les fascistes sont obsédés par la race, écrit Joe Broich, ainsi que par l’idée que les vrais « patriotes » et les « bonnes personnes » sont « humiliés » tandis que les « mauvaises personnes » en profitent.
« Le fascisme [dit] que notre droite actuelle n’est pas assez dure ; par exemple, ils aiment encore la démocratie ou le pluralisme relatif, alors démolissons tout et reconstruisons autour du peuple, “le peuple” – et c’est l’une des principales cases du jeu de bingo que Trump coche », a déclaré Joe Broich dans un entretien.
Joe Broich rappelle que Trump avait déclaré à un public majoritairement blanc dans le Minnesota qu’il avait de « bons gènes », avant de les avertir que le président Joe Biden allait inonder leur communauté de réfugiés de Somalie, une déclaration qui, selon les critiques, évoquait l’eugénisme et la supériorité raciale.
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Le 5 avril, un courriel de collecte de fonds signé par Trump, dont l’objet est « C’est très, très triste », déplore que « notre pays » soit « détruit par Joe Biden et les démocrates ». « Nous ne sommes plus respectés », lit-on dans l’e-mail, « c’est très triste de voir ce qui est arrivé à nos grands Etats-Unis. »
« Dire “nous ne sommes plus respectés”, c’est classique, c’est comme une caricature des fascismes à l’ancienne », a déclaré Joe Broich. « Nous avons été humiliés, nous allons retrouver notre fierté – c’est comme une triste farce, sortie tout droit de Mein Kampf. »
L’idée directrice de la collecte de fonds est largement dépourvue de contenu politique réel, en dehors de la mention rapide d’un « désastre » à la frontière des Etats-Unis et d’un engagement à « SAUVER L’AMÉRIQUE ».
Bien sûr, il y a un véritable désastre humanitaire à la frontière sud des Etats-Unis. Les groupes de défense des droits des migrant·e·s accusent les politiques racistes mises en place sous Trump et poursuivies jusqu’à récemment sous Biden. Trump et des républicains comme le gouverneur du Texas Greg Abbott exploitent depuis longtemps les peurs xénophobes face aux immigrant·e· s de couleur pour rallier leur base nationaliste. Trump a construit sa présidence autour de son mur frontalier. Greg Abbott est actuellement en train de militariser davantage la frontière avec toutes les ressources qu’il peut rassembler en réponse à la décision de Biden de supprimer le Titre 42 [possibilité pour le gouvernement des Etats-Unis de renvoyer des personnes venant d’un pays touché par une maladie contagieuse], la politique dite de « rester au Mexique ».
Joe Broich a déclaré que le fascisme est un « droitisme révolutionnaire » qui est à la fois anti-establishment et rageusement anti-social. Le fascisme est « révolutionnaire » dans le sens où le système politique actuel doit être saisi ou renversé afin de protéger « le peuple » (ou le « folk », également appelé « volk » en allemand) de l’« Autre » désigné par les fascistes, quel qu’il soit. (Dans le cas de l’Allemagne nazie, les cibles comprenaient le communisme, le libéralisme, le socialisme, les immigrants, les Juifs, les Tsiganes et les Slaves.)
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Dans le même courriel de collecte de fonds datant du 8 avril, Trump déclare que le « système est totalement brisé ». Il écrit que le pays « va vers le socialisme et le communisme » – en même temps, apparemment – et que le leadership de Joe Biden et Kamala Harris est à blâmer. Trump qualifie, à tort, tous les démocrates de « socialistes » et de « communistes ». (Bien sûr, au grand dam de nombreux progressistes, le parti démocrate dominant n’est décidément pas socialiste !). Pourtant, si les trumpistes croient que le système est brisé et que le communisme est en quelque sorte en plein progrès, dès lors ils pourraient aussi croire que la violence est nécessaire pour « sauver l’Amérique », disent les experts en fascisme.
Ce sentiment était clairement présent lorsque des milices armées, des bandes fascistes et des partisans de Trump en colère ont cherché des élus à attaquer le 6 janvier 2021. Plus d’un an après, la rhétorique de Trump continue d’encourager la violence. Lors d’un récent discours en Caroline du Sud (16 mars 2022 ), Trump a exhorté ses partisans à « donner leur vie » pour défendre un pays supposé être attaqué par des forces progressistes. Inspirés en partie par Trump, les républicains des Etats-Unis ont répondu aux appels massifs à la justice raciale en faisant pression pour interdire les livres et les discussions en classe sur la « théorie critique de la race », leur terme fourre-tout inexact pour les programmes d’équité et l’éducation antiraciste :
« Faire disparaître la théorie critique de la race de nos écoles n’est pas seulement une question de valeurs, c’est aussi une question de survie nationale. Nous n’avons pas le choix… Le sort de toute nation dépend en fin de compte de la volonté de ses citoyens de sacrifier – et ils doivent le faire – leur vie pour défendre leur pays… Si nous laissons les marxistes, les communistes et les socialistes apprendre à nos enfants à haïr l’Amérique, il n’y aura plus personne pour défendre notre drapeau ou protéger notre grand pays ou sa liberté. »
Outre l’appel aux armes, en quoi cela diffère-t-il du « red-baiting » [chasse aux sorcières communistes de la période du maccarthysme] qui a dominé la rhétorique du GOP pendant des décennies ? En bref, il n’y a pas de différence. Le socialisme est un épouvantail bien connu des républicains. Cependant, pour Joe Broich et d’autres experts, l’écart fasciste de Trump par rapport à l’orthodoxie républicaine s’est cristallisé avec la tentative violente de renverser l’élection le 6 janvier 2021. Selon Joe Broich, les fascistes ont recours aux paramilitaires ou au moins à la violence de rue pour imposer leur politique. L’encouragement de Trump à des groupes violents tels que les Proud Boys correspond à cette description.
« Les deux partis ont voulu déjouer l’autre dans les urnes, mais maintenant, je pense qu’avec le Trumpisme, il n’y a aucun problème à abandonner la démocratie », a déclaré Joe Broich. « Je pense que c’est le grand changement ».
Le fascisme de Trump se répercute sur le Parti républicain, en particulier au niveau des Etats, où les élus extrémistes exigent une médiatisation des attaques aux enseignants des écoles publiques, aux étudiants et aux familles LGBTQ, aux droits de vote et à toute discussion réaliste sur l’histoire raciale de la nation. Les programmes scolaires antiracistes et les soins de santé conformes au genre pour les adolescents transgenres, par exemple, sont présentés comme des affronts aux patriotes et aux chrétiens. Ou, comme le dit Joe Broich, comme des « agressions contre l’intégrité du volk ».
« Pour le trumpisme, nous pourrions dire que c’est une “agression contre les vrais Américains”, il faut qu’ils soient attaqués pour que vous puissiez vous rassembler autour du drapeau de Trump en guise de contre-attaque », a déclaré Joe Broich.
Les réactionnaires et les autoritaires ne sont pas tous des fascistes. L’ancien président George W. Bush n’est généralement pas considéré comme fasciste parce qu’il est membre de l’establishment politique plutôt qu’un révolutionnaire de droite. George W. Bush était belliciste et est critiqué pour avoir sapé la Constitution, mais il représente toujours le système actuel et le courant dominant du GOP. Trump, en revanche, s’est opposé à Jeb Bush [gouverneur de Floride de janvier 1999 à janvier 2007, il participe aux primaires de 2016 et se retire, il est très attaqué par Trump ; allié au Tea Party, il se profilera comme un néoconservateur] et à l’establishment républicain en tant qu’outsider populiste de droite en 2016. Depuis lors, Trump a ignoré une longue liste de normes démocratiques, culminant dans son refus de concéder la victoire lors de la dernière élection.
« Le fascisme est toujours une option de droite révolutionnaire, donc le fascisme doit attaquer une droite établie, plus ancienne… C’était impossible pour Jeb Bush, mais c’est explicitement ce que Trump a fait », a déclaré Joe Broich.
Joe Broich affirme que le fascisme existe sur un éventail comme toute autre idéologie politique, mais il existe des caractéristiques définissant les fascismes historiquement. Cochez suffisamment de cases sur la carte du jeu de bingo fasciste – violence anti-gauche, racisme et xénophobie, capitalisme de copinage, nationalisme extrême, paramilitaires et violence de rue, un leader central fort – et vous êtes en territoire fasciste. Bien sûr, Trump n’est pas identique aux fascistes du passé. Mais un examen attentif de la façon dont il rallie ses partisans – et capte leur argent – offre un aperçu de ce à quoi un avenir fasciste pourrait ressembler. Même si Trump n’est plus à la Maison Blanche, ses e-mails de collecte de fonds montrent que nous ne pouvons pas ignorer la possibilité présente d’un tel avenir à l’horizon. (Article publié sur le site Truthout, le 9 avril 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] Dans le sens où l’on fait croire à des personnes favorables à Trump qu’elles ne sont plus sur les listes d’e-mails du président et qu’elles doivent immédiatement répondre pour continuer à être inscrites en bonne place sur ce listing de donateurs que Trump va examiner. Ce qui suscite des réponses et des dons, petits. (Réd.)
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