Édition du 17 décembre 2024

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Europe

État espagnol : Marchandisation de la santé

Il y a quelques années Michael Moore décrivait brillamment dans son film « Sicko » [2007] le marché et les escroqueries du secteur de la santé aux Etats-Unis aux mains de grandes compagnies d’assurance. Pourtant, c’est précisément ce modèle qui est en voie d’être imposé dans l’Etat espagnol. On voit bien où nous conduira cette politique : 50 millions d’états-uniens sont totalement dépourvus de couverture en matière de santé et 64% du total de la population, en 2010, n’ont qu’une assurance privée, laquelle refuse souvent de rembourser les traitements nécessaires.Si vous voulez voir ce qui nous attend, ne manquez pas de voir ce film, car plus qu’un documentaire, c’est un film d’horreur.

Les enveloppes budgétaires adoptées impliquent la coupe la plus importante jamais subie par le secteur de la santé : 7,267 millions d’euros (7, 2 milliards ). Il s’agit donc d’une offensive en règle contre l’actuel système de santé, avec notamment : la fin du service de santé universel, ce qui marginalise les personnes immigrées sans papiers ; la réduction de diverses prestations sociales ; l’introduction du co-paiement (participation aux frais) dans le domaine de la santé, ce qui nous fait payer deux fois, et dans certaines régions autonomes, comme en Catalogne, celle d’un double co-paiement, soit un co-paiement par rapport à l’Etat central, en plus d’un co-paiement catalan, puisqu’on doit ainsi repayer ce que nous avons déjà payé sous forme d’impôts.

Il s’agit-là de mesures qui nous font reculer de plusieurs décennies et qui favorisent un service de santé déficient, avec de longues listes d’attente, des réductions de personnel et d’infrastructures… dans le but de nous pousser ainsi vers les mutuelles privées. Il est évident que le succès du système médical privé est dû au mauvais fonctionnement du système public. On peut être malades, mais ils nous veulent suffisamment vivants pour pouvoir continuer à payer. C’est ainsi qu’on impulse un système de santé à deux vitesses, l’une pour les riches et un autre pour les pauvres : la santé cesse d’être un droit pour devenir un privilège.

La Catalogne et la Communauté valencienne ont été les pionnières dans ces pratiques. A noter que ceux qui poussent les autorités dans cette voie ont généralement un long curriculum dans le privé. C’est notamment le cas de Boi Ruiz, actuel conseiller de santé de la Generalitat catalane. Avant d’occuper ce poste, il a été président et directeur de la principale entreprise privée patronale dans ce secteur : la Unio Catalana d’Hospitals. Et maintenant c’est le tour de Madrid. Comme par hasard, Antonio Burgueño – actuellement directeur général de Hospitales de la Consejeria de Sanidad madrilène et le principal idéologue de la privatisation des hôpitaux et des centres de santé – a travaillé durant plus de vingt ans dans le secteur… privé de la santé. Y aurait-il un conflit d’intérêts ?

On nous l’a répété à satiété : « la santé publique ne fonctionne pas », « la gestion privée est meilleure ». Il y a un détail curieux : lorsque le gouvernement, les médias ou le monde des affaires se réfèrent au domaine de la santé, c’est toujours pour parler des « coûts » de la santé, des « dépenses » pour les médicaments. S’occuper de la santé, nous dit-on, implique des coûts, entraîne des dépenses. Or, alors qu’on parle toujours de « dépenses publiques », il est question d’« investissements » privés. Ils manipulent les mots pour justifier leurs pratiques, mais nous sommes toujours plus nombreux à ne pas croire leurs mensonges. La santé ou l’éducation ne sont pas une « dépense », mais un « investissement », un investissement dans un modèle de société qui vise à répondre aux droits et besoins des personnes.

Aujourd’hui, les travailleurs et travailleuses du secteur de la santé lèvent le pied. A Madrid, il y a déjà eu plusieurs journées de grève, des manifestations massives, des occupations d’hôpitaux comme celui de l’emblématique hôpital La Princesa, où vingt occupations ont eu lieu, la collecte d’un million de signatures dans la population pour la défense du système de santé public, ainsi que de multiples actions comme celle appelée : « embrasse ton hôpital » [occupation-encerclement de l’hôpital]… Tout cela pour dire « NON » au plan de réforme du système de santé impulsé par la Comunidad de Madrid. Une « réforme » qui prétend, entre autres, privatiser six hôpitaux et 27 dispensaires et imposer une taxe d’un euro par ordonnance. D’après les syndicats, cette réforme entraînerait la perte de 7,000 postes de travail.

Et tout cela alors que ce dimanche, 2 décembre 2012, quelque 50,000 personnes occupant différentes fonctions dans le secteur manifestaient à Madrid pour revendiquer leurs droits en ce qui concerne les impayés de l’administration publique. Un total de 300 millions est dû par l’administration dans ce secteur, ce qui menace d’entraîner la fermeture d’environ 20% des centres où ils travaillent. C’est une manifestation historique, la première protestation massive de ce collectif depuis des années.

A Barcelone, les travailleurs de l’Hôpital de Sant Pau ont commencé il y a trois jours (3 décembre) une occupation d’une durée indéterminée pour s’opposer aux coupes budgétaires. Celles-ci ont entraîné pour cet hôpital la fermeture de 84 lits, une réduction de l’activité des services de radiothérapie et de radiologie, la fermeture de celui de chirurgie, etc., avec la détérioration qui en résulte pour les prestations. Les protestations contre les coupes salariales, les licenciements et la précarité constituent un autre front. De fait, le cas de l’hôpital de Sant Pau peut être étendu à beaucoup d’autres centres. Et la lutte du personnel et le soutien social et citoyen avec lesquels il peut compter est un exemple à généraliser.

La Catalogne a été à l’avant-garde de la privatisation du secteur de la santé au niveau étatique. C’est un bon exemple pour montrer à quel point les politiques économiques du CiU [Convergence et Union, parti de la droite catalane] et du PSC [Parti des socialistes de Catalogne] mènent une politique identique. La revue en ligne Cafèamblet dénonce depuis longtemps les obscurs négoces de CiU et du PSC concernant la santé publique catalane. Ces enquêtes ont valu à la revue une amende de 10,000 euros pour avoir découvert « lo que no tocaba » [le peu de transparence des comptes publics où se mêlent intérêts publics et privés]. Et maintenant plusieurs entités sociales ont déposé plainte devant le Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne contre le conseiller Boi Ruiz et son équipe. Elles les suspectent d’être mêlés à des délits de trafic d’influences, de non-assistance à personnes en danger, d’activités interdites aux fonctionnaires, etc.

Rentabiliser la santé publique est un des principaux objectifs du capital privé dans l’actuelle situation de crise, laquelle fournit l’excuse parfaite pour appliquer des politiques de privatisation qui étaient planifiées depuis longtemps. Tout comme on cherche à faire des profits avec les secteurs de l’éducation, du logement, des transports publics et en fin de compte avec nos vies. Les services publics sont en point de mire du pouvoir économique et politique qui les voient comme un grand gâteau qu’ils veulent se partager pour augmenter leur taux de profit. Mais comme on l’a répété à maintes reprises : « la santé publique ne se vend pas, elle se défend ». Un point c’est tout.


*Traduction A l’Encontre ; publié dans le quotidien Publico, le 5 décembre 2012.
**Plus info : http://esthervivas.com/francais/

Esther Vivas

Auteur de "En campagne contre la dette” (Syllepse, 2008), co-coordinatrice des livres en espagnole "Supermarchés, non merci" et "Où va le commerce équitable ?" et membre de la rédaction de la revue Viento Sur (www.vientosur.info).

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