Bob Herbert, collaborateur distingué du site Demos [2] lui répond que c’est la sous-syndicalisation qui a poussé plus de 50 millions de personnes dans le groupe des pauvres reconnus aux États-Unis : « La raison pour laquelle autant de travailleurs-euses dans ce pays sont dans une telle détresse financière, c’est qu’ils et elles n’ont aucun support sur les lieux se travail : pas d’organisation, pas de représentation ; impossible de se battre pour ses intérêts dans un tel contexte ».
Jeremy Scahill, australien bon teint, fier de l’histoire de son pays et de la situation de son mouvement ouvrier, où l’idée que la classe ouvrière fait partie intégrale du système politique et économique, que le salaire minimum est de 15.00$ de l’heure et qu’il y existe un filet social raisonnable, a subit tout un choc en arrivant aux États-Unis où il a constaté ce qu’il qualifie de : « coup d’État silencieux ». L’histoire du mouvement ouvrier américain est caractérisée par une lutte constante pour que le capital ne le fasse disparaitre complètement.
Selon le Département du travail américain, le salaire minimum stagne à 7.25$ l’heure et ceux et celles qui gagnent ce niveau de salaire ne travaillent pas à temps plein. Ce faible niveau de salaire minimum amène l’ODCE à classer les États-Unis au bas des échelles des pays développés. Les États de la fédération peuvent adopter d’autres niveaux de salaire minimum. Celui en vigueur en Californie est un des plus élevé du pays : il passera de 8.00$ à 9.25$ au cours des cinq prochaines années. Le Centre de recherche sur le travail et l’éducation de l’Université Berkley qualifie de faible le travail à 12$ de l’heure ou moins. Selon ces critères, environ le tiers des travailleurs-euses aux États-Unis vivent sous le seuil de pauvreté tel que défini par le Bureau du recensement qui stipule qu’une famille de 2 adultes et 2 enfants ayant moins de 22,811$ ou moins de revenu annuel est pauvre.
Depuis 68 ans, la syndicalisation a dramatiquement diminuée. En 1945, les Travailleurs unis de l’automobile,(TUA) le plus grand syndicat du pays, les Travailleurs de l’acier ainsi que la CIO ont fait grève pour un meilleur salaire. Celle des TUA a duré 113 jours. Avec l’appui de la Maison Blanche ils ont gagné une augmentation de 15%.
En 1948, le PDG de Général Motors, M. Charles Wilson, a proposé une formule qu’il a appelée « partage du progrès ». Il s’agissait de déterminer un facteur d’amélioration annuel qui servirait, sur la base du calcul de l’augmentation de la productivité, à augmenter le salaire horaire en lien avec l’augmentation de PIB et du coût de la vie tout en corrigeant les effets de l’inflation. Cette pratique a été adoptée dans l’industrie automobile, de l’acier et dans d’autres grandes industries. On a appelé cette entente syndicale-patronale, l’entente cordiale.
Mais, tout change….En 1946, les RépublicainEs ont gagné la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat. Ils ont mené campagne contre la « force syndicale » et ont adopté la loi sur la gestion des relations de travail, le Labor-Managment Relations (Taft-Hartley) en 1947. Cette loi bannit la plupart des modes de piquetage et les campagnes de boycott. Elle donnait aux employeurs le droit de poursuivre les syndicats en cas de dommages (à la propriété patronale), rendait plus difficile les processus de syndicalisation, bannissait l’organisation ouvrière en atelier fermé [3], et exigeait que les représentantEs syndicaux-ales signent un document attestant qu’ils et elles n’étaient pas membres du Parti communiste. Elle permettait aussi au gouvernement fédéral de déclarer une grève « contraire à l’intérêt national » et introduisait la formule nécessaire pour que les États puissent faire passer des lois dites « du droit au travail » qui rendent la syndicalisation sans pertinence. Cette loi est le point de départ du déclin de la syndicalisation aux États-Unis.
Au fil du temps, le pouvoir des entreprises s’est accru jusqu’au point où le si sacré pouvoir d’expression américain n’avait plus sa place sur les lieux de travail. Bruce Barry de la Vanderbilt Université dit que les lois américaines sur l’emploi donnent un pouvoir immense aux employeurs dans tous les secteurs. Les employéEs travaillent selon le bon vouloir de leurs employeurs ce qui signifie que : « vous pouvez être renvoyéEs pour de bonnes ou de mauvaises raisons ou aucune raison du tout ». Les employeurs ont le droit de s’en prendre aux travailleurs et travailleuses qui expriment des idées politiques avec lesquelles ils ne sont pas d’accord et ils peuvent les obliger, sous menace de renvoi, à contribuer au parti politique choisi par l’employeur en temps ou en argent, s’il n’y a pas de loi de l’État qui l’interdit. Seuls 8 États et le District de Columbia ont de telles lois qui protègent la liberté des travailleurs-euses en ce domaine.
Aux États-Unis, les syndicats sont vus avec dédain par les législateurs-trices et les entreprises. Wallmart se distingue par une histoire anti syndicale agressive : le démantèlement des syndicats là où elle n’a pas réussi à les empêcher de se former. Comme il s’agit d’une méga entreprise, vous le prenez en plein dans la gueule.
En 2007, un rapport de Human Rights Watch, intitulé « Discounting Rights » [4] met en évidence l’hostilité de l’entreprise face aux syndicats et aux droits à la syndicalisation. Le rapport parle de l’équipe des ressources humaines de Wallmart qui a été dépêchée dans un magasin sitôt connue la nouvelle que des efforts de syndicalisation commençaient. Cette équipe et les gérants du magasin ont obligé tous les employéEs à visionner des vidéos critiques de la formation de syndicats. On leur a dit qu’ils et elles n’avaient pas besoin d’être représentéEs et on les a avertiEs des conséquences négatives qui pourraient advenir en cas de syndicalisation telles des mesures disciplinaires et même le renvoie. Les représentantEs du syndicat et leurs supporteurs-euses n’avaient que très peu de temps pour faire valoir leurs arguments. Le rapport conclut : « Toutes ces tactiques créent, sur les lieux de travail, un climat si hostile aux syndicats et si dénué de visions différentes que les travailleurs-euses ne sont plus capables de choisir librement de se syndiquer ou non ».
Comme le dit un employé : « Walmart apeure tout le monde à mort au simple fait de mentionner le mot syndicat.
Walmart utilise même des tactiques illégales dont l’espionnage des activités syndicales ou des représentantEs hors des lieux de travail ; elle menace de faire perdre leurs avantages sociaux à ceux et celles qui veulent s’organiser ; elle licencie les supporteurs-euses les plus en vue ; elle n’utilise pas de mesures disciplinaires contre ceux et celles qui s’en prennent aux supporteurs-euses des syndicats ; elle applique de façon différenciée les politiques de l’entreprise contre ces personnes ; elle soumet des employéEs à des entrevues coercitives au sujet des activités syndicales et interdit toute discussion ayant pour sujet le syndicat.
Entre 1998 et 2003, Walmart a été poursuivie pour au moins 300 infractions à liberté d’association des ses employéEs. Le Bureau national des relations de travail a porté 41 accusations pour congédiements pour activités syndicales, 59 pour surveillance des activités syndicales, 59 pour interrogatoires du personnel sur ces activités, 47 pour promesses illégales de bénéfices aux personnes qui dissuadent les travailleurs-euses de se syndiquer.
94 de ces accusations ont donné lieu à des plaintes formelles devant le Bureau national des relations de travail. Résultats : 11 jugements contre la compagnie et 12 règlements hors cours. Cette faiblesse du Bureau national des relations de travail signifie que les employéEs n’ont aucune protection efficace contre les manœuvres malhonnêtes des patrons contre la syndicalisation.
Mais, même si ce Bureau était plus agressif contre les pratiques antisyndicales des entreprises, les condamnations qu’il pourrait imposer seraient insignifiantes. Par exemple, quand Walmart a été condamnée pour congédiement illégal pour activités syndicales, les seules choses qui lui ont été imposées furent de payer les salaires non versés aux personnes en cause et d’afficher une note sur les lieux de travail disant qu’elle avait enfreint la loi. Pour Gordon Lafer, du Laboratoire et du Centre de recherche en éducation ouvrière de l’Université de l’Orégon, le fait que les condamnations du Bureau National des relations de travail ne soient pas plus conséquentes le rend complètement inefficace.
Walmart n’est pas seule de son espèce. Aux États-Unis, le capital mène des campagnes pour empêcher les travailleurs-euses d’améliorer leurs salaires et leurs conditions de travail et de vie. Depuis 2010, là où les Républicains ont gagné la majorité dans les législatures d’État comme au Wiskonsin, au Michigan et en Ohio, ils ont fait adopter des lois restreignant le droit de négociation pour les employéEs du secteur public et des lois dites « du droit de travailler ». Ce genre de lois permet aux employeurs-euses d’empêcher les syndicats de percevoir les cotisations. Des groupes de défense des droits comme le Centre pour les médias et la démocratie et Progress Missouri ont démontré que le modèle pour ces lois anti syndicales a été élaboré par l’American Legislative Exchange Council, (ALEC). Cette organisation prépare des conférences annuelles où les entreprises comme Reynods American, Exxon Mobil Corp. et la pharmaceutique Pfyzer peuvent rencontrer des éluEs pour mettre au point des modèles de lois et s’entendre sur leur introduction au débat comme le fait le Forum économique mondial.
Dans son rapport de novembre 2013, intitulé « Spooky Business : Corporate Espionnage against Nonprofit Organisations, Gary Ruskin détaille l’utilisation extensive que font les entreprises de sociétés de sécurité privées pour espionner et perturber le travail d’organisation sans but lucratif qui critiquent leurs activités. Il dit : « En fait, en ce moment, les entreprises reprennent dans une moindre envergure le même type d’activités que la CIA. Elles embauchent des travailleurs—euses et des retraitéEs des services de renseignement et policiers ».
Cet état de faiblesse de la classe ouvrière et le travail de sape des entreprises envers la société civile, mènent à des niveaux d’inégalité difficile à expliquer dans un pays riche comme le nôtre. Les compagnies dominent tellement la scène politique que les travailleurs-euses sont incapables de faire valoir leurs droits à un salaire décent et à des conditions de travail et de vie acceptables. Beaucoup se tiennent la tête basse dans l’espoir de garder un travail qui leur permet difficilement de vivre. Le récent mouvement de revendication dans le secteur de l’alimentation rapide les encourage mais ceux et celles qui y ont participé ont essuyé les représailles de leurs employeurs-euses : coupures d’heures de travail et diminution des conditions de travail. Sans une solide organisation syndicale pour défendre leurs intérêts il semble bien que les travailleurs-euses américainEs devront traverser la frontière canadienne pour améliorer leurs conditions de travail et de vie. C’est ce qu’ont fait les MexicainEs : traverser la frontière américaine…