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Espagne : le projet de grâce des indépendantistes catalans déclenche la fureur à droite

La droite et l’extrême droite espagnoles font front commun et appellent à manifester, alors que le socialiste Pedro Sánchez s’apprête à gracier les dirigeants indépendantistes détenus depuis 2017.

28 mai 2021 | tiré du site de médiapart.fr | photo : Pedro Sánchez

Le geste va radicaliser un peu plus le débat politique en Espagne. Le chef du gouvernement Pedro Sánchez a confirmé à plusieurs reprises cette semaine son intention de gracier les neuf dirigeants catalans indépendantistes détenus depuis l’automne 2017, préparant le terrain à leur sortie de prison.

« Il y a un temps pour la punition, un autre pour la concorde  », a lancé le socialiste aux députés le 26 mai. Et d’assurer au chef de l’opposition, Pablo Casado (PP, droite), qui l’accuse de dépendre des voix des indépendantistes au Congrès pour sa survie politique : « Je le ferais, même si je disposais [d’une majorité absolue de] 300 sièges.  » En marge d’un sommet européen à Bruxelles en début de semaine, Sánchez avait aussi déclaré : « La vengeance n’est pas une valeur constitutionnelle.  »

Les sorties de Sánchez ont déclenché l’ire des oppositions de droite, qui hurlent à la trahison. Vox, la formation d’extrême droite emmenée par Santiago Abascal – qui s’est fait connaître du grand public en portant plainte contre les dirigeants indépendantistes catalans en 2017 –, et le Parti populaire de Casado se livrent à une surenchère. Les deux partis viennent d’annoncer qu’ils participeront tous deux à une manifestation, le 13 juin, à l’appel d’une plateforme favorable à l’unité de l’Espagne.

Des dirigeants de Ciudadanos, cette formation libérale lancée au début des années 2010 et alliée de LREM au Parlement européen, ont aussi annoncé leur participation. Si bien que les médias espagnols spéculent déjà sur la réédition de la « photo de Colón ». Cette photographie, prise place de Colón à Madrid en février 2019, montrait les dirigeants de plusieurs partis de droite côte à côte, dont ceux de Vox, du PP et de Ciudadanos. Elle avait ainsi scellé l’unité de la droite et de l’extrême droite sur la question catalane, lors d’un rassemblement auquel avait aussi participé Manuel Valls (dont le retour en France anime en ce moment la toile satirique catalane).

Parallèlement, le PP, dopé par le récent triomphe de son aile la plus dure aux élections régionales de Madrid, a lancé une campagne de signatures pour s’opposer aux grâces des détenus catalans. C’est la même technique qu’avait mise en place le parti conservateur en 2006, pour faire tomber le nouveau statut constitutionnel accordant plus de droits aux Catalans – opposition qui avait choqué nombre de Catalans et les avait convaincus de rejoindre les rangs de l’indépendantisme.

Les oppositions se sentent d’autant plus légitimes que la Cour suprême espagnole a jugé « inacceptable » de gracier les leaders indépendantistes, dans un avis consultatif rendu public mercredi. Si bien que Pedro Sánchez n’aura d’autre choix,explique le journal en ligne InfoLibre, que de s’en tenir à des « grâces partielles » – mais il reste à connaître le détail des réductions de peine décidées, comme des effets sur leur inéligibilité. Le journal parle d’une décision d’ici le milieu de l’été, c’est-à-dire avant le début du mois d’août.

Les neuf responsables indépendantistes catalans – dont Jordi Cuixart, que Mediapart avait rencontré en prison – ont été condamnés en octobre 2019 à des peines de prison allant de 9 à 13 ans, pour avoir participé à l’organisation du référendum sur l’indépendance du 1er octobre 2017, une consultation déclarée illégale par Madrid. Au sein du PSOE, le parti de Sánchez, la question reste très sensible. Plusieurs barons régionaux, mais aussi l’ancien premier ministre Felipe González (« Dans ces conditions, je ne le ferais pas »), ont pris leurs distances avec Sánchez, inquiets des effets de cette décision sur le vote d’extrême droite.

Alors que la détention des dirigeants indépendantistes indigne de nombreux observateurs en Europe, et que l’Espagne se trouve parfois comparée à des régimes autoritaires comme la Hongrie, Sánchez peut tout de même compter sur quelques soutiens de poids. Le patron du pays basque espagnol, Iñigo Urkullu (PNV, droite indépendantiste), ou encore la maire de Barcelone Ada Colau (étiquetée « équidistante » entre partisans de l’indépendance et ceux de l’unité de l’Espagne) ont applaudi. Tout comme José Luis Rodríguez Zapatero. « La démocratie doit prendre l’initiative. Que souhaitons-nous ? Revenir à la situation de 2017 ? », a fait valoir l’ancien chef de gouvernement, qui rappelle les critiques qu’il avait essuyées lors des négociations avec le groupe armé basque de l’ETA en vue d’un cessez-le-feu.

Les annonces de Sánchez sont attendues alors qu’un gouvernement indépendantiste vient de voir le jour en Catalogne, plus de trois mois après les régionales. Ce scrutin avait été marqué par une victoire nette du parti socialiste, mais les formations indépendantistes restaient, au total, majoritaires en sièges. Dans son discours d’investiture, le nouveau président de la Generalitat, Pere Aragonès (vidéo ci-dessous), s’est engagé non seulement à rendre « inévitable » la tenue d’un référendum pacté avec Madrid sur l’indépendance, mais aussi à obtenir l’« amnistie » pour les prisonniers.

Discours d’investiture de Pere Aragonès, 26 mai 2021.

L’amnistie réclamée par Barcelone diffère de la grâce, puisqu’elle reviendrait à annuler, rétrospectivement, les délits reprochés aux détenus – une option fermement exclue par le gouvernement espagnol, qui préfère un simple aménagement des peines. Une amnistie profiterait aussi aux dirigeants indépendantistes exilés ailleurs en Europe, dontCarles Puigdemont, réfugié à Bruxelles depuis fin 2017, lequel pourrait alors envisager un retour sur ses terres.

Quoi qu’il en soit, la décision imminente de Sánchez devrait relancer les discussions politiques entre Madrid et Barcelone. Le premier ministre avait déjà tenté cette stratégie dès son arrivée au pouvoir en 2018, mais la mise en scène d’un rapprochement, très médiatisée, n’avait pas débouché sur de véritables résultats concrets. Sauf que la situation, à Barcelone, a changé depuis : ce n’est plus le parti de Puigdemont (droite indépendantiste), au discours plus radical sur la désobéissance vis-à-vis de Madrid, qui détient la présidence de la région, mais un représentant d’ERC (gauche républicaine indépendantiste), en théorie plus ouvert aux compromis. C’est tout le pari de Sánchez, d’ici sa fin de mandat.

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