Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Espagne : le Parlement coupe la tête du PP

Le parlement espagnol vient de voter la motion de censure contre le leader du Parti populaire, embourbé dans des affaires de corruption. C’est son ancien allié, le socialiste Pedro Sanchez qui lui succède... mais avec quelles marges de manoeuvre ?

Tiré de la revue Regards.

Il y a seulement une semaine, le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy semblait stable, après avoir réussi à approuver son budget annuel grâce au soutien du parti de centre-droite Ciudadanos et le Parti Nationaliste Basque. Mais la publication le 25 mai dernier d’un arrêt judiciaire prouvant le financement illégal du Parti Populaire (PP) de Rajoy a amené le Parti Socialiste (PSOE) à présenter une motion de censure.

Après une semaine vertigineuse de négociations parmi les partis d’un Parlement plus fragmenté que jamais, le premier juin à 11h34, Mariano Rajoy a été destitué et remplacé par Pedro Sánchez, leader socialiste, à la tête du gouvernement espagnol. L’élection de Sánchez ne garantit pas un changement politique profond en Espagne mais donne une centralité politique nouvelle à Unidos Podemos, ouvrant une fenêtre d’espoir rare dans l’Europe d’aujourd’hui.

L’arrêt de l’Audiencia Nacional du 25 mai n’a pas été une surprise : depuis des années, les indices de l’existence d’un large réseau de financement illégal du PP s’accumulaient. Comme la Cour l’a affirmé, le parti de M. Rajoy a eu « une comptabilité parallèle à la comptabilité officielle » depuis 1989 et son trésorier a créé un « système efficace de corruption institutionnelle ». Mariano Rajoy a toujours refusé d’assumer la responsabilité politique de la corruption de son parti, répétant qu’il fallait attendre les conclusions des juges. L’arrêt du 25 mai a détruit cette stratégie de défense poussant Pedro Sánchez à agir.

Les mutations successives du PSOE

Le dirigeant socialiste a expérimenté des transformations politiques frappantes. Après les élections de 2016, où le PP a perdu sa majorité absolue, M. Sánchez a refusé de lui donner son soutien, nécessaire à la réélection de M. Rajoy. Une rébellion de l’appareil du PSOE a forcé M. Sánchez à démissionner et les socialistes ont permis l’investiture de M. Rajoy au lieu de former un gouvernement avec Unidos Podemos et les formations nationalistes catalanes et basques. Une grande coalition qui n’avouait pas son nom a vu le jour.

Le PSOE a expérimenté encore une transformation en 2017, quand M. Sánchez a gagné par surprise les primaires pour le secrétariat général, malgré le soutien de l’appareil du parti et les grands médias à sa rivale, la présidente andalouse Susana Díaz. Avec un discours plus à gauche que jamais, Pedro Sánchez a exprimé sa volonté de chercher des accords avec Unidos Podemos et a reconnu le caractère « plurinational » de l’Espagne, un terme emprunté au parti de Pablo Iglesias. Cependant, l’optimisme réveillé à gauche par la résurrection de M. Sánchez n’a pas duré : le PSOE a maintenu son soutien au gouvernement de Rajoy et a adopté une ligne intransigeante face à l’indépendantisme catalan, soutenant la persécution judiciaire des leaders catalans et oubliant toute référence à la diversité nationale de l’Espagne.

Depuis le référendum d’indépendance du premier octobre 2017, déclaré illégal par la justice espagnole et durement réprimé par la police, la situation politique était bloquée. Ciudadanos est monté vertigineusement dans les sondages pendant les dernier mois, renforcé par sa position intransigeante face à l’indépendantisme. De leur côté, les 71 députés de Unidos Podemos étaient impuissants face à l’alliance parlementaire entre le PP et Ciudadanos, soutenue discrètement par le PSOE. L’approbation du budget de 2018 avec les voix du Parti Nationaliste Basque semblait garantir la stabilité du gouvernement de Mariano Rajoy jusqu’à la fin de la législature en 2020, mais l’arrêt de l’Audiencia Nacional a bouleversé la situation.

Un nouveau gouvernement et de multiples possibles

Peu après la publication de l’arrêt, Pedro Sánchez a annoncé une motion de censure, recevant le soutien immédiat de Pablo Iglesias et de ses alliés. Cependant, il manquait les nationalistes catalans et basques pour avoir la majorité. Les premiers ont soutenu Sánchez sans enthousiasme quand, de leur côté, les nationalistes basques ont maintenu le suspense jusqu’à la dernière minute pour finalement voter "oui" en échange du maintien du budget qu’ils avaient négocié avec le PP, qui incluait des nombreuses concessions au Parti Nationaliste Basque.

Le scénario ouvert par l’élection de Sánchez est incertain mais prometteur. La marge de manœuvre du gouvernement socialiste de Pedro Sánchez sera limitée jusqu’à la fin de l’année par le maintien du budget d’austérité du PP. La gestion de Rajoy a été désastreuse : précarisation de l’emploi, limitation des libertés fondamentales, répression des mobilisations citoyennes, obstacles aux énergies renouvelables et fragilisation des services publics.

Malgré ces limites évidentes, toute réforme progressiste dans ces domaines et (dans bien d’autres !) représentera une bouffée d’air frais. Le PSOE dépend de Unidos Podemos et des nationalistes catalans et basques, ce qui le forcera au moins à s’intéresser à l’urgence sociale dont souffre l’Espagne et à initier un dialogue avec le gouvernement indépendantiste catalan. De plus, Pedro Sánchez ne pourra pas faire la sourde oreille aux demandes des mouvements sociaux féministes ou de défense des retraites, qui sont montés en force au cours des derniers mois.

Le 15 mai 2011, le Mouvement 15-M a ouvert une nouvelle période politique en Espagne, faisant trembler le bipartisme et favorisant la création de Podemos. Tout au long des sept dernières années, la société espagnole a changé profondément mais le conservateur Mariano Rajoy s’est accroché à la présidence grâce au soutien de Ciudadanos et du PSOE. Depuis aujourd’hui, cette contradiction entre la société espagnole et son gouvernement a pris fin et c’est comme si l’espoir était en train de revenir dans la vie politique espagnole.

Pablo Castaño Tierno

Professeur au département de sociologie de l’University of London, G-B.

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