Publié le 15 juin 2020 | tiré d’Entre les lignes entre les mots
Des paroles et des actes. Ne pas discuter des politiques menées, des arguments utilisés, des possibilités ouvertes – ici par les élections – revient à se laisser enfermer dans un ordre dicté du monde par les puissants. Et pour répondre à Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de l’Europe de Yanis Varoufakis, Eric Toussaint propose – dans une formulation ironique et qui annonce la couleur – de discuter d’une capitulation entres adultes…
Dans son introduction, introduction-eric-toussaint-capitulation-entre-adultes-grece-2015-une-alternative-etait-possible/ , publiée avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse, l’auteur, « en contrepoint du récit de Varoufakis », exprime d’autres appréciations, un autre avis, une critique argumentée des choix opérés par Yanis Varoufakis…
« Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en œuvre par Yanis Varoufakis et le gouvernement d’Alexis Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un parti de gauche radicale a été élu en Europe pour former un gouvernement. Moins de six mois après avoir pris ses fonctions, ce gouvernement se pliait finalement aux exigences des créanciers, renonçant de fait à mettre fin à l’austérité. Comprendre les échecs et tirer les leçons de la manière dont ce gouvernement a affronté les problèmes qu’il a rencontrés sont de la plus haute importance si on veut éviter un nouveau fiasco. Dans d’autres pays d’Europe, une majorité d’électeurs et d’électrices pourrait porter au gouvernement des forces de gauche qui promettent de rompre avec la longue nuit néolibérale et de réaliser de profonds changements. Des explosions sociales de grande ampleur peuvent aussi déboucher sur l’arrivée de forces de gauche radicale au gouvernement. Même là où les chances d’arriver au gouvernement sont très limitées, il est fondamental de présenter un programme cohérent de mesures qui devraient être prises par un gouvernement aussi fidèle au peuple que le sont les gouvernants actuels à l’égard du grand capital. Il est également nécessaire de proposer une stratégie pour affronter les ennemis du changement et de l’émancipation ».
Je ne vais pas revenir sur le déroulé de cette histoire et les différentes analyses proposées tant par l’ancien ministre des finances que par Eric Toussaint.
Je me propose de souligner certains points – bien argumentés par l’auteur du livre – et en m’éloignant de l’objet du livre, d’indiquer d’autres points qui mériteraient d’être travaillés.
Comment un programme élaboré et présenté aux électeurs et électrices peut-il être mis en place ? Comment des élu·es et un gouvernement peuvent-iels restituer et rendre compte des possibles écarts entre les propositions et les politiques menées ? Comment sont rendues publiques les négociations avec les instances européennes ?
Comment favoriser l’auto-organisation des populations, leurs actions propres, condition de l’amélioration des rapports de force ? Comment rechercher le soutien des populations des autres Etats européens ?
Dit autrement, de quel point de vue sont énoncées les propositions, discutées les actions gouvernementales ?
Poser ou ne pas poser ces questions, et d’autres, relève d’une divergence fondamentale entre celleux qui pensent qu’une politique gouvernementale suffit en soi et que les programmes électoraux n’ont qu’une valeur très indicative et celleux qui font de l’action politique des populations une condition des possibles, y compris gouvernementaux.
Eric Toussaint met l’accent, entre autres, sur le fonctionnement en petit comité « dans le dos de son propre parti » choisi par Alexis Tsipras, le refus de faire appel « à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire », le choix d’un ministre des finances opposé au programme de Thessalonique…
L’auteur souligne la diplomatie du secret, l’absence de détermination « à passer à l’action si les créanciers ne faisaient pas de concession », le refus de faire « appel au soutien des populations d’Europe et d’ailleurs ». Il propose, à partir des écrits mêmes de Yanis Varoufakis, une analyse de l’« orientation politico-économique mise en pratique », de la différence entre arrivée au gouvernement et détention du pouvoir. Il insiste sur l’auto-organisation populaire, « son auto-activité dans la sphère publique et sur les lieux de travail sont des conditions sine qua non à l’ensemble du processus », sur la relation « interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple »…
Eric Toussaint détaille les propositions de Yanis Varoufakis et pourquoi celles-ci menaient à l’échec. Il aborde le récit discutable des origines de la crise grecque, la falsification des statistiques, les relations avec « l’élite politique grecque », l’opposition au programme électoral de Syriza, l’hypothétique plan B, le sauvetage des banques françaises et allemandes, la mise en place d’une orientation contradictoire à celle adoptée de manière collective au sein de Syriza et socle de son élection, les politiques agressives de la BCE, l’étau de la dette, la composition et le fonctionnement de l’Eurogroupe, la primauté du mémorandum « par rapport aux mesures proposées par le gouvernement grec », le référendum, « C’est une trahison du verdict populaire d’autant plus manifeste qu’il avait juré publiquement de respecter le résultat du référendum, quel qu’il soit »…
L’audit citoyen de la dette, les caractérisations de celle-ci comme illégitime et odieuse, la nécessité d’une suspension des paiements et d’une annulation sont particulièrement développées. Au-delà du livre, je renvoie aux autres ouvrages indispensables de l’auteur sur les dettes, les banques…
Eric Toussaint met en avant des initiatives et des propositions qui auraient pu être développées. Ces mesures concrètes, ces possibles sont indispensables pour comprendre les renoncements, la capitulation. De ce point de vue, le dernier chapitre devrait être largement discuté, en particulier les initiatives de désobéissance…
« Accablée par une dette qui dépasse toujours 170% du produit intérieur brut, la Grèce reste sous une sorte de mandat de protectorat dissimulé derrière des apparences de souveraineté. Néanmoins le peuple n’a pas dit son dernier mot. »
En complément, je voudrais aborder quelques autres points.
Le premier concerne l’idée de majorité. Si le gouvernement d’Alexis Tsipras a bien une légitimité électorale pour déployer la politique qu’il avait annoncé – et cette légitimité est renforcée par le résultat du referendum – il n’a cependant pas recueilli la majorité des voix des citoyen·es. L’écart entre une majorité parlementaire et un pourcentage de voix exprimées ou d’inscrit·es est un problème démocratique en soi. Le résoudre passe par un processus constituant qui ne peut que prendre du temps.
Le second point est en parti discuté par Eric Toussaint à propos du peu d’intérêt manifesté pour l’audit de la dette par une partie de la gauche (interne ou externe) de Syriza. Il conviendrait d’analyser les propositions ou l’absence de proposition, le sectarisme hallucinant des différents groupes.
Le troisième point concerne les mobilisations ou plus exactement le temps des attentes ou des replis, la faible conscience internationaliste en France et en Allemagne. Il peut y avoir discordance entre les souhaitables et les possibles. Comment gérer le temps raccourci des rapports de force et celui plus élastique des interventions populaires ?
Enfin, et les délires nationalistes autour du nom même de Macédoine en sont une parfaite illustration, la question nationale et des minorités nationales ne me semble pas avoir été saisie (c’est un euphémisme) dans toute sa complexité…
Eric Toussaint : Capitulation entre adultes
Grèce 2015 : une alternative était possible
Editions Syllepse, Paris 2020, 224 pages, 18 euros
https://www.syllepse.net/capitulation-entre-adultes-_r_22_i_808.html
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