Édition du 17 décembre 2024

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En manif, la grève générale est déjà dans tous les esprits

Des manifestations massives - et plus fournies que le 7 février - se sont déroulées ce samedi dans toute la France pour contrer la réforme des retraites, tandis que l’intersyndicale appelle à « mettre la France à l’arrêt dans tous les secteurs » le 7 mars prochain. Reportage dans le cortège parisien.

11 février 2023 | tiré de mediapart.fr

Le pari des syndicats a fonctionné. Leur choix d’avoir convoqué la quatrième journée de mobilisation contre la réforme des retraites un samedi, afin de permettre aux familles et aux salarié·es qui ne peuvent faire grève de venir grossir les cortèges, a manifestement payé.

Environ 963 000 manifestants, selon le ministère de l’intérieur, ont défilé dans toute la France, pour s’opposer au projet d’Emmanuel Macron de faire reculer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Un chiffre supérieur aux chiffres officiels de la mobilisation du 7 février (750 000), et un peu en deçà des journées du 19 et du 31 janvier (respectivement 1,12 et 1,27 million). La CGT avance le chiffre de « plus de 2,5 millions » de manifestant·es.

Le vœu de Laurent Berger, patron de la CFDT, qui déclarait sur France Info vendredique « dépasser le million de manifestants, ça serait un beau succès », est quasiment exaucé. La dynamique de la mobilisation reste très solide, à l’image du record atteint à Paris, où deux cortèges amplement fournis ont relié la place de la République à la place de la Nation, sur des itinéraires différents.

Le ministère de l’intérieur avance le chiffre de 93 000 manifestant·es dans la capitale, tandis que la CGT a, elle, totalisé 500 000 personnes. Dans les deux cas, cela correspond à un pic depuis le début de la mobilisation, que confirme également le cabinet Occurrence (112 000).

Les huit syndicats de l’intersyndicale ont d’ores et déjà donné rendez-vous jeudi 16 février pour une cinquième journée de contestation. Cette fois, leurs dirigeants se retrouveront non pas à Paris, mais à Albi, préfecture du Tarn, manière de souligner la vigueur des mobilisations dans des villes de taille modeste.

Surtout, ils se sont entendus sur une journée visant à « mettre la France à l’arrêt dans tous les secteurs » le mardi 7 mars, à la sortie des vacances scolaires de l’ensemble des zones, à un moment où le texte devrait être en débat au Sénat. La CFDT de Laurent Berger porte donc elle aussi cet appel à une grève de 24 heures - si « le gouvernement et les parlementaires restaient sourds à la contestation populaire ».

« On n’est pas dans la logique de la grève reconductible », a pris soin de préciser le patron de la première centrale française : « Ce n’est pas un appel à la grève générale », a-t-il insisté. « La question de la reconduction ne se décide pas au niveau des confédérations syndicales, mais dans les entreprises et les services », a de son côté relevé Philippe Martinez, pour la CGT.

Le syndicat Solidaires, de son côté, défendune « grève reconductible à partir du mercredi 8 mars », en s’appuyant sur les secteurs de l’énergie et du ferroviaire. La CGT-Cheminots est sur une ligne identique. Les organisations syndicales de la RATP ont déjà appelé à une grève reconductible à partir de cette date.

Le succès de ce quatrième acte de mobilisation intervient à l’issue d’une première semaine de l’examen du projet de réforme à l’Assemblée. À ce stade, un seul article a été adopté, dans une ambiance houleuse. Il reste 16 000 amendements et 19 articles à discuter, dont le fameux septième article, sur le report de l’âge légal, le tout d’ici au 17 février, date couperet pour l’examen à l’Assemblée.

Une fois encore, les manifestations se sont révélées très suivies dans des villes de taille intermédiaire, et globalement en hausse par rapport au 7 février. Ce fut par exemple le cas à Guingamp dans les Côtes d’Armor (3 800 selon la police), à Saint-Brieuc dans le même département (7 600), à Dole dans le Jura (2 200), à Boulogne-sur-Mer dans les Hauts-de-France (3 500), à Agen dans le Lot-et-Garonne (3 100) ou encore à Montauban dans le Tarn-et-Garonne (3 200).

Dans le cortège parisien, « ne rien lâcher »

Alors que l’exécutif donne l’impression de tourner le dos aux manifestant·es, l’hypothèse qui se dessine d’une grève plus dure, à partir de la fin des vacances scolaires, trouvait de nombreux échos dans le cortège parisien.

Xavier, 43 ans, et Caroline, 44 ans, sont venus d’un village de l’Essonne pour manifester ce samedi, tous deux syndiqués à la CFDT, dans la fonction publique. Lui en est à sa troisième marche depuis janvier, elle à sa première. Leur fils Paul, dix ans, défile pour la première fois de sa vie à leur côté. Le couple se dit ouvert à l’idée de faire grève le 7 : « Il ne faut rien lâcher. On se bat aussi pour notre fils. Ce n’est pas nous qui cherchons l’escalade, c’est le gouvernement. »

Une grève le 7 mars, c’est bien, mais ça arrive peut-être un peu tard : entre le 16 février et le 7 mars, il se passe quoi ?
Une manifestante à Paris

« Je suis déterminée, assure de son côté Véronique, cheminote CFDT. Et prête à aller jusqu’à la grève générale le 7 mars s’il le faut, parce que nos gouvernants sont complètement déconnectés de nos réalités, ils ne sont pas dans notre monde et ils nous prennent pour des cons. » Elle dit encore, quand on lui parle de la culture réformiste de son organisation : « À la CFDT, c’est vrai qu’on n’est pas jusqu’au-boutiste, mais quand il faut y aller, on y va et cette fois on va y aller. »

Non loin dans le cortège, Gilles, un autre cheminot CFDT, précise aussi : « C’est important pour nous que le mouvement soit interprofessionnel. On se sent rassemblés et légitimes. On se sent nombreux et mieux entendus de la population. »

À 59 ans, Michel défilait pour la première fois ce samedi contre la réforme des retraites. Il est venu des Yvelines avec les camarades de la CFTC Transports : « Je ne pouvais pas me permettre de faire grève, je touche à peine plus que le SMIC alors que je suis en fin de carrière. Mais je ne comprends pas comment Macron peut vouloir faire cette réforme comme si on avait voté pour lui alors qu’on a voté contre Marine Le Pen. »

Il a commencé à travailler à 17 ans comme chauffeur-livreur, lorsque La Poste a perdu le monopole de diffusion des petits colis au début des années 1980. Croit-il à l’efficacité de ces défilés à répétition ? « Je suis optimiste, si on est de plus en plus chaque samedi, ça peut les faire reculer. » Envisagerait-il de se joindre à un mouvement de grève générale ? « Rien n’est impossible », sourit-il, hésitant.

Mélanie, 42 ans, travaille au musée du Louvre. Sur son dos, elle a reproduit le célèbre tableau de Géricault, retitré pour l’occasion « Le radeau des retraité.es ». Syndiquée chez Sud, elle assure que les salarié·es de la « catégorie C », qui exercent les métiers les plus pénibles - agents de surveillance, magasinage, etc. - n’auront plus la force de travailler au-delà de 62 ans.

Elle fait partie des plus impatient·es dans le cortège : « Il faut passer à la grève reconductible, c’est sûr que le gouvernement ne bougera pas avec quatre manifs. » Et de s’interroger : « Une grève le 7 mars, c’est bien, mais ça arrive peut-être un peu tard : entre le 16 février et le 7 mars, il se passe quoi ? »

Un peu plus loin, Laëtitia, professeure d’anglais de 51 ans dans un collège de Montreuil, non syndiquée, a été de toutes les manifestations depuis janvier. « Et je ferai toutes les prochaines », sourit-elle. Juge-t-elle que le mouvement social peut continuer ainsi, de manifestation en manifestation ? « J’ai beau espérer que ça marche, j’ai aussi peur que ça ne marche pas. Il faudrait en passer par un état de grève générale. C’est aussi pour ça qu’on est là, pour faire pression sur les syndicats réformistes et Laurent Berger. »

Ludovic Lamant

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