Édition du 19 novembre 2024

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En librairie - Faire l'économie de la haine

Depuis Noir Canada et Offshore, les lecteurs ont découvert un auteur à la pensée critique riche et originale. Par son travail de philosophe et de sociologue, Alain Deneault analyse le monde qui nous entoure en adoptant un point de vue critique qui nous oblige à renverser nos perspectives, à appréhender nos sociétés sous un angle nouveau.

Dans ce recueil de textes rédigés au fil des ans sous l’influence théorique de Georg Simmel et Jacques Rancière, Alain Deneault trace les contours d’une économie de la haine qui se trouve au coeur du système capitaliste contemporain : " Point de haine de l’économie là où on nous fait aimer l’argent (à tout prix). Point de haine de l’économie, mais une économie de la haine."

Le programme : faire l’économie de la haine. Haïr sans qu’il n’y paraisse. Ainsi s’investit-on dans l’asservissement à l’argent. » Gouvernance, poursuites-bâillons, paradis fiscaux, sports de masse… L’auteur démonte les mécanismes idéologiques par lesquels nos institutions économiques, politiques et médiatiques nous font justement « haïr sans qu’il n’y paraisse ». Car l’argent fait écran : faut-il vraiment qu’on délocalise des usines, licencie du personnel, pollue des rivières, contourne le fisc, soutienne des dictatures ou arme des chefs de guerre pour que le prix d’une action
monte en Bourse ? Pourquoi faisons-nous l’économie de ces questions ?
Alain Deneault y décode une censure insidieuse qui s’est installée à différents niveaux de notre société, rendant difficile d’appréhender le réel en dehors de schémas que chacun de nous a intériorisés. Le phénomène de l’autocensure ne relève alors pas de la psychologie individuelle, mais bien d’un fait social. Car parler de censure aujourd’hui ne signifie pas décrire des bureaux de censure propres à des régimes anciens, mais désigne plutôt la fabrication d’un discours, d’une version de la réalité qui exploite la crédulité du public. Les institutions financières, gouvernementales, judiciaires et sportives deviennent en quelque sorte un moule par lequel elles inculquent des modèles de compréhension des choses. Il ne s’agit alors pas tant de supprimer délibérément une partie de son propre discours, mais d’éprouver une certain malaise dès qu’on déroge d’une façon générale du projet d’aborder le réel.

Parmi les nombreux sujets abordés, il revient sur les paradis fiscaux et notamment sur un Québec offshore trop méconnu. Il qualifie également de « démocratie atrophiée » le concept de « gouvernance » qui privatise la pensée politique et élabore des rapports de force calqués sur les actifs des différents « partenaires ». La gouvernance neutralise ainsi les qualités essentielles au débat en société : penser et vouloir. Il voit également dans le sport de masse une illustration de l’apathie politique, mais aussi d’un exutoire où les foules, avides de communiquer leur pensée et leurs analyses, se rabattent sur le sport où le débat est enfin possible. Cependant, le sport de masse crée une arène où dirigeants et dirigés se complaisent, nourris de pains et de jeux, laissant ainsi aux dirigeants le soin de s’occuper des affaires « publiques ».

Avec ces douze essais critiques, qui suivent le phénomène de l’autocensure « à un stade avancé », Alain Deneault livre une pensée dense et nécessaire.
ALAIN DENEAULT est titulaire d’un doctorat de philosophie de l’Université de Paris-VIII et enseigne la sociologie à l’UQAM. Il est l’auteur de Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique et de Offshore. Paradis fiscaux et souveraineté criminelle (Écosociété).

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