Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

En attendant le foot…

Au G7 du Québec, c’est Trump qui a dit la vérité. Mais celle-ci n’en est pas moins détestable. Son unilatéralisme brutal, le fameux « America first », est une très mauvaise réponse au libéralisme des Européens.

Tiré de Politis.

Trump par-ci, Trump par-là. L’homme, au moins, sait capter la lumière médiatique. Après avoir balancé un tweet comme une bombe, du haut de son Air Force One, sur ses « partenaires » du G7, il a été, mardi, avec Kim Jong-un, l’acteur de la rencontre la plus improbable du dernier demi-siècle, bien plus encore que l’entrevue Nixon-Mao de 1972. Il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions de cette longue poignée de mains entre les présidents américain et nord-coréen. Les pronostics sont hasardeux. D’autant plus que l’on sait ce que valent les engagements de Washington, et la légèreté avec laquelle Donald Trump parvient à s’en délier.

S’il faut espérer quelque chose de la rencontre de Singapour, c’est pour ce pauvre peuple nord-coréen, opprimé, martyrisé, et comme étranger au monde depuis plus de soixante ans. Peut-on seulement attendre un desserrement de cette tenaille de fer qui a brisé toute possibilité de résistance, et l’ouverture des camps où s’entassent des dizaines de milliers de prisonniers politiques ? Apparemment, c’est le cadet des soucis de Trump. Pour le reste, cette obligation de concentrer nos regards sur deux personnages aussi médiocres qui s’affublaient, il y a peu encore, de sobriquets affligeants – « chiot malade », pour l’un, « gâteux américain » pour l’autre – n’est pas très stimulant.

Mais, deux jours auparavant, et à la manière triviale qui est la sienne, Donald Trump avait tout de même dit plus de vérités que le chœur des hypocrites qui le suppliaient de sauver les apparences du G7 québécois. Nul n’ignorait, avant même le début du conclave de La Malbaie, qu’il n’y avait pas d’accord possible entre les « Six » et le président américain. Les premiers missiles d’une guerre économique implacable étaient déjà sur leur rampe de lancement. Malgré cela, Angela Merkel, Emmanuel Macron et le Canadien Justin Trudeau, à la tête d’une coalition libérale, n’ont eu de cesse d’essayer de dissimuler cette évidence. À tout prix, il leur fallait ce communiqué commun qui, à force de concilier les contraires, avait fini par ne plus rien dire.

Trump a finalement rejeté, après l’avoir accepté, le consensus mou qui lui était proposé. Son paraphe n’aurait fait qu’entretenir la fiction de ces sommets qui ne correspondent plus à la réalité du monde, mais ne l’aurait évidemment pas ramené au multilatéralisme, ni ne lui aurait fait abandonner cet électorat populaire qu’il chérit en vue des élections de mi-mandat. Oui, au Québec, c’est lui, Trump, qui a dit la vérité. Mais celle-ci n’en est pas moins détestable. Son unilatéralisme brutal, le déjà fameux « America first », hérité des fascistes américains des années 1940, est une très mauvaise réponse au libéralisme des Européens.

Et pourtant, ce nationalisme ombrageux et cette suffisance qui nous le rend humainement insupportable ne doivent pas nous faire oublier ce que nous proposent les « Six », partisans zélés de tous les accords de libre-échange. Leur dernière réalisation est ce Ceta qui fait si peu de cas de l’environnement, envoie au diable le principe de précaution, et organise une forme de primauté du pouvoir des investisseurs sur les États. Le grand paradoxe, c’est que derrière la violence de leur opposition, Trump, Macron ou Trudeau ont beaucoup en commun. Ils se comportent en businessmen bien plus qu’en politiques. Grand amateur de formules managériale, du genre « start-up nation », Macron a trouvé dans ce registre à qui parler. Il a face à lui un businessman sans principes qui tient entre ses mains la monnaie d’échange internationale, dispose du poids économique et de la force militaire. Toute cette puissance, le président américain l’a déployée dans le dossier iranien. Pour les Européens, le coup porté est infiniment plus cruel que l’échec programmé du G7. L’hyperpuissance impose grossièrement sa loi au monde. C’est la débandade parmi les entreprises françaises qui avaient commencé à s’implanter en Iran à la suite de l’accord sur le nucléaire.

Sommés de choisir entre un marché certes prometteur mais encore modeste et le risque d’être bannis du marché américain, Total, PSA et quelques autres ont eu tôt fait de boucler leurs valises, entraînant dans leur sillage une kyrielle de sous-traitants. Devant cette débâcle, Emmanuel Macron a multiplié les déclarations incantatoires. Il faut, dit-il, accélérer l’intégration européenne ! Mais de quelle Europe nous parle-t-il ? Celle du « moins-disant » social ? Celle, désunie, de la conjuration des lâches qui abandonne les naufragés de l’Aquarius à leur sort ? L’ironie de l’histoire, c’est qu’un homme doit jubiler devant tant de divisions. Cet homme, c’est Vladimir Poutine. Il était il y a quelques mois le massacreur d’Alep. Il s’apprête à donner triomphalement, le 14 juin, le coup d’envoi de sa Coupe du monde. La roue de l’histoire tourne aussi vite qu’un ballon de football. Et nous sommes tous condamnés à l’amnésie.

Denis Sieffert

Auteur pour la revue Politis (France).

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