Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud

En Guyane, les autochtones réclament la vérité sur les pensionnats de la honte

Dans les années 1930, l’Église catholique, avec le soutien de la République française, a implanté plusieurs « homes indiens » sur le territoire guyanais. Au total, environ 2000 enfants issus des peuples amérindiens et bushinengués ont été arrachés à leurs familles pour être placés dans ces pensionnats, entre 1935 et 2023, dans le but d’être évangélisés et assimilés.

8 février 2024 | tiré de Politis.fr | Photo : L’Organisation guyanaise des peuples autochtones a revendiqué « une reconnaissance de leurs droits sur ce territoire » en août 2018. © Jody Amiet / AFP
https://www.politis.fr/articles/2024/02/en-guyane-les-autochtones-reclament-la-verite-sur-les-pensionnats-de-la-honte/

C’est une partie de l’histoire de la République qui, pendant longtemps, fut volontairement dissimulée. Une histoire appartenant aux peuples autochtones, dont ils ont été dépossédés pendant près d’un siècle. Entre 1935 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Église catholique crée les premiers « homes indiens », des pensionnats religieux qui soutiennent un double objectif : évangéliser (pour l’Église) et assimiler (pour la République) les populations autochtones. Après 1946 et la départementalisation de la Guyane, l’initiative religieuse s’accompagne d’un soutien institutionnel de l’État français, qui va financer en grande partie les homes.

À Mana, Iracoubo, Saint-Laurent-du-Maroni, Sinnamary, Maripasoula puis Saint-Georges-de-l’Oyapock, neuf pensionnats sont successivement créés entre 1935 et 2012 sur le territoire guyanais. De nombreux enfants bushinengués et amérindiens sont arrachés à leurs familles par les religieux, parfois avec l’aide de la gendarmerie, pour être placés dans ces instituts. Une pratique qui a perduré, puisque la fermeture du dernier home, situé à Saint-Georges-de-l’Oyapock, remonte à la fin de l’année scolaire 2023.

Face à l’histoire coloniale, la création d’une commission vérité ?

Par ces mécanismes d’assimilation et d’évangélisation forcées, les homes sont un pur produit de l’histoire coloniale française. Cette dynamique s’observe aussi dans la contrainte exercée sur les locaux à avoir des pratiques sociales en rupture avec les leurs. Cet héritage, longtemps passé sous silence, obtient un écho différent lorsque la journaliste Hélène Ferrarini publie son livre Allons enfants de la Guyane (Anacharsis, 2022). À travers de nombreux témoignages et une étude minutieuse d’archives, elle participe à réhabiliter la question mémorielle des homes indiens.

Son ouvrage retrace une partie de l’histoire des autochtones victimes de ces pensionnats. Cette mise en lumière conduit l’Institut Louis Joinet (IFJD pour Institut français de la justice et de la démocratie) à mener un rapport pour la création d’une commission vérité et réconciliation. Cette juridiction est une composante de la justice transitionnelle, principe qui regroupe un ensemble de mesures judiciaires ou non, et qui permet de remédier au lourd héritage des abus de droits humains.

Jeudi 1er février, un colloque destiné à la présentation du rapport s’est tenu à l’Assemblée nationale. Pour Jean-Victor Castor, député Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES/NUPES) de la 1ère circonscription de Guyane, le rapport est « un premier pas vers la vérité, la réconciliation et peut-être la réparation ». Une réparation attendue et réclamée par les enfants amérindiens et bushinengués victimes des violences des homes.

Violences psychologiques, physiques et sexuelles

Ces violences, documentées grâce au travail d’Hélène Ferrarini, prennent des formes diverses. D’abord d’ordre psychologiques, avec des punitions collectives, une tension sur la nourriture, ou encore un éloignement entraînant des coupures importantes avec la famille. Le rapport de l’IFJD indique aussi que l’usage des violences physiques est régulièrement dénoncé au sein des homes. « Qu’il s’agisse de postures épuisantes imposées pendant des heures, (« à genoux, avec du sable sur le carrelage, les bras en croix une bible dans chaque main devant les autres pensionnaires pour demander pardon. Les autres rigolent, c’était une humiliation », indique l’un des nombreux témoignages) ou de coups de poings, de bâtons, de pieds ou de baguettes et ceintures, parfois sans raisons apparentes. »

Il fallait tuer l’Amérindien pour le faire devenir autre chose

Une victime des homes indiens

À ces violences, s’ajoutent des dénonciations d’ordre sexuel. « Lors de deux entretiens réalisés par l’IFJD, plusieurs formes de violences sexuelles ont été décrites, les anciens pensionnaires indiquant qu’elles n’étaient pas exceptionnelles », révèle le rapport. On y trouve par exemple le témoignage d’un ancien pensionnaire, qui indique avoir été violé à plusieurs reprises par les gardiens du home. « Je me dis que mon enfance a été bafouée ici, humiliée ici, anéantie », déclare-t-il.

Plusieurs témoignages diffusés lors du colloque montrent par ailleurs que les homes portaient un objectif de dénaturation de l’identité autochtone : « Il y avait une totale déconsidération de l’enfant, il fallait tuer l’Amérindien pour le faire devenir autre chose », dénonce l’un d’eux. « Le but était de faire perdre notre langue Kali’na (une des ethnies autochtones de Guyane) », témoigne un autre.

Ciblage ethnique et création de main d’œuvre

Car pour Hélène Ferrarini, en plus de révéler des liens encore forts entre l’Église et l’État au mépris de la loi de 1901, la politique des homes est le fruit d’un ciblage ethnique : « Les homes indiens visent précisément deux populations : les amérindiens et les bushinengués, deux peuples définis comme “primitifs” par l’administration préfectorale. Il existait jusqu’en 1952 un service des populations primitives. J’ai pu par moi-même consulter des archives où le terme “primitif” était encore d’usage en 1975 (dans des comptes rendus de réunion par exemple) », explique-t-elle.

Pendant longtemps, l’existence des homes a été justifiée par l’éloignement géographique des enfants pour leur permettre d’accéder aux écoles. Une notion que la journaliste tente de déconstruire : « D’autres populations vivaient loin des écoles, comme les orpailleurs. Mais ces derniers n’ont pas été ciblés par les homes, alors que de nombreux autochtones vivaient à Saint-Laurent-du-Maroni et ont été placés dans les pensionnats. J’ai recueilli le témoignage de deux sœurs qui avaient un père européen et une mère Kali’na. Quarante-huit heures seulement après le décès de leur père, l’institution home est venue les chercher pour les placer. Cette histoire témoigne que lorsqu’on bascule dans une famille 100 % amérindienne, on pouvait être la cible des homes. »

La commission verra le jour avec ou sans l’État, avec ou sans l’Église
Jean-Victor Castor, député de Guyane

Au-delà des objectifs d’évangélisation et d’assimilation, les homes indiens ont également servi à former une main-d’œuvre, dès les années 1960. Plusieurs enfants sortis des pensionnats ont œuvré à la construction de la base spatiale de Kourou, à l’exploitation forestière, à la pêche en mer, ou la pêche crevettière. Plusieurs témoignages indiquent que certaines femmes sont devenues domestiques après leur passage dans les instituts. « La mise en place des homes touchait des populations autonomes, vivant de la forêt et étant peu intégrées aux circuits économiques, poursuit Hélène Ferrarini. On ne sait pas encore ce que sont devenus les anciens pensionnaires pour la plupart. Ce qui est certain, c’est que le home a joué un rôle sous-estimé dans ce qui est arrivé aux peuples autochtones, on ne le prenait pas forcément en compte auparavant. »

Faire la lumière sur les conséquences des homes indiens, c’est bien là tout l’enjeu de la potentielle création d’une commission vérité et réconciliation. Le grand conseil coutumier, financé par la préfecture de Guyane, après avoir soutenu la mise en œuvre de cette commission, s’est finalement rétracté. Pas de quoi refroidir Jean-Victor Castor pour qui « la commission verra le jour avec ou sans l’État, avec ou sans l’Église ». De son côté, le président de l’IFJD Jean-Pierre Massias affirme « qu’il y a un besoin d’enquêter », pour permettre aux autochtones de se réapproprier une partie de leur histoire.

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