12 février 2017 | tiré de mediapart.fr
On avait déjà entendu L’Estaca, cet hymne catalan antifranquiste et ode à la liberté, en début de semaine. Des centaines d’indépendantistes l’avaient fredonné dans les rues de Barcelone en soutien à l’ancien président de la Catalogne, Artur Mas, à l’ouverture de son procès en désobéissance civile. Ce dimanche, ce sont des milliers de militants de Podemos qui se sont mis à le chanter en clôture de leur congrès à Madrid, à l’issue du discours de Pablo Iglesias, grand vainqueur de cette « assemblée citoyenne » qui s’annonçait à haut risque.
Le professeur de sciences politiques, 38 ans, a été confirmé comme secrétaire général du mouvement anti-austérité (89 % des quelque 144 000 suffrages valides). Ce score n’est pas une surprise, puisque Iglesias était opposé à un seul candidat sans véritable appui en interne, ni envergure. Mais le numéro un de Podemos a également remporté la consultation sur les documents stratégiques et, surtout, celle sur la composition du « conseil citoyen », un collectif de 81 membres, dont 62 devaient être renouvelés lors du congrès.
La liste d’Iglesias a remporté 60 % des postes du conseil citoyen à pourvoir, contre 36 % pour la liste de son principal concurrent, le numéro deux du parti Íñigo Errejón. Quant aux anticapitalistes emmenés par Miguel Urbán, ils n’arrachent que 3 % des sièges (deux conseillers à peine), malgré un score honorable en nombre de voix (8,9 %). Ils pâtissent d’un mode de scrutin – mis au point par les partisans de Pablo Iglesias – qui favorise fortement la liste arrivée en tête.
Les observateurs s’attendaient à un score plus serré, notamment parce qu’une votation préalable sur la méthodologie du congrès, réalisée en décembre 2016, avait donné Iglesias et Errejón au coude à coude, aux alentours de 40 %. Or, Iglesias avait prévenu qu’il quitterait toutes ses fonctions s’il ne remportait pas aussi l’élection du « conseil citoyen ». Ce qui faisait courir le risque d’un parti sans chef à l’issue du congrès puisque Errejón, de son côté, n’était pas candidat au secrétariat général.
Le chantage semble avoir payé. Devant un parterre de militants hystériques, l’intéressé – qui avait sorti la cravate des grands jours – a appelé à « l’unité et la modestie, pour construire la justice sociale, pour redonner aux peuples leur souveraineté, pour défendre le “droit à décider” [en Catalogne – ndlr] et défendre les droits de l’homme face au fascisme qui se propage en Europe » (vidéo ci-dessous, à partir de 3’00).
Il y eut même, dimanche sur la scène de Vistalegre, l’image que tout le monde attendait (photo ci-dessous) : Iglesias et Errejón se sont pris dans les bras, furtivement, sous les applaudissements du public, pour un abrazo dont il est permis de douter de la sincérité. « Il faut faire un énorme effort de naïveté politique, pour imaginer une réconciliation », ironise Rubén Amón, un éditorialiste du quotidien El País.
Depuis des mois, Iglesias et son numéro deux se sont livrés à une bataille très dure. Le premier est censé incarner une ligne plus radicale, afin de rapprocher Podemos des mouvements sociaux, mais aussi des communistes d’Izquierda Unida (gauche unie). Errejón, lui, prétend jouer la carte d’une opposition plus feutrée et « respectable » entre les murs du Congrès et n’exclut pas de créer des alliances, au coup par coup, avec les socialistes du PSOE. Les deux s’étaient ainsi opposés début 2016 sur la stratégie de Podemos dans ses négociations avec les socialistes, pour former un éventuel gouvernement des gauches. Sur le terrain, cette opposition s’est traduite par de violents limogeages (souvent de proches d’Errejón), qui ont laissé des traces et contribué à tendre les positions des uns et des autres.
« Le mandat qui sort de Vistalegre 2, c’est celui de l’unité et de la pluralité », a réagi Errejón lors d’une conférence de presse dimanche. Il a toutefois refusé de se prononcer sur son avenir au sein du parti. Il s’est contenté d’exhorter Iglesias à respecter le « pluralisme » en interne. Rien ne dit, en l’état, qu’il sera confirmé comme numéro deux (il est à la fois secrétaire politique de Podemos, et porte-parole du groupe Podemos au sein du Congrès des députés). D’autant qu’Iglesias a fait savoir qu’il tenait à « féminiser » le parti. L’universitaire pourrait vouloir récompenser l’une de ses proches, Irene Montero, la quatrième personne la plus votée au sein du nouveau « conseil citoyen ».
Ironie de la situation, Iglesias et Errejón avaient bataillé ensemble lors du premier congrès de Vistalegre pour imposer leurs vues, contre une équipe d’activistes critiques emmenés par Pablo Echenique, à l’époque partisans d’un Podemos plus horizontal. Trois ans plus tard, Echenique a rejoint les rangs des « pablistes », les partisans de Pablo Iglesias, contre ceux qu’on appelle les « errejoniens ». C’est la « destruction du noyau propagateur » qu’avait théorisée Errejón lors des premiers mois de Podemos, estime le site d’info El Diario. À InfoLibre (site partenaire de Mediapart en Espagne), on ironise sur ce « VistaTriste » (jeu de mots avec Vistalegre, le nom de la salle omnisports où s’est tenu le congrès), où les batailles d’ego et de pouvoir l’ont emporté sur les débats de fond.
Quelque 155 000 personnes ont participé, au cours de la semaine écoulée, aux votes pour le congrès : c’est un score supérieur à celui du premier congrès de Vistalegre, en octobre 2014, qui avait fondé l’architecture du parti. Mais la participation reste très inférieure aux cinq millions de votants de la liste Unidos Podemos aux législatives de juin 2016. Le débat reste entier, de savoir si l’électorat de Podemos est plus modéré, et donc plus enclin à voter Errejón, que la base mobilisée du mouvement.
« Les autres partis espéraient que nous allions nous effondrer », a déclaré Errejón. « Il faut travailler, dès demain, à devenir l’alternative au gouvernement. Nous clôturons l’assemblée citoyenne renforcés, capables de dire aux gens que l’alternative existe. » Expert en mise en scène, Iglesias avait lui-même fixé le calendrier du congrès de Podemos, pour qu’il coïncide au jour près avec celui du congrès du Parti populaire (le PP au pouvoir), son grand adversaire.
Sans surprise, le PP a réélu à sa tête Mariano Rajoy, le chef du gouvernement (avec 95 % des voix). C’est un « score à la bulgare, avec des accusations de fraude », a dénoncé Iglesias dimanche (lui-même a pourtant été élu avec 89 % des voix…). Certains éditorialistes ne manquaient pas d’ironiser sur la « deuxième victoire de Rajoy » en deux jours. Le Galicien a non seulement été réélu dans un fauteuil, mais la victoire d’Iglesias, et de la ligne « radicale » au sein de Podemos, pourrait faciliter le discours du PP qui ne cesse de caricaturer Podemos – avec un certain succès – en une dangereuse formation chaviste, incapable de diriger le pays.
Quant au PSOE, le succès d’Iglesias pourrait être pour lui aussi une bonne opération. Errejón semble davantage capable, avec son discours en apparence plus apaisé, d’attirer de nouveaux déçus du PSOE dans les filets de Podemos, et de faire fonctionner cette « transversalité » si chère au mouvement anti-austérité (le « ni droite ni gauche » des débuts). L’ancien leader du PSOE, Pedro Sánchez, qui a démissionné de ses fonctions en octobre dernier parce qu’il s’est refusé à faciliter la formation du gouvernement PP de Mariano Rajoy, a félicité Rajoy comme Iglesias de leur réélection à la tête de leurs partis respectifs.