Édition du 17 décembre 2024

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Israël - Palestine

En Égypte, la vie terriblement précaire des Palestiniens qui ont fui Gaza

Laissés pour compte par les autorités locales, les Gazaouis qui ont réussi à entrer sur le territoire égyptien ne bénéficient pas du statut de réfugié et vivent dans des conditions très difficiles, raconte le magazine américain “Foreign Policy”.

Tiré de Courrier international. Publié à l’origine dans Foreigh policy.

L’Égypte a beau refuser d’accueillir des réfugiés en provenance de la bande de Gaza, plus de 100 000 Palestiniens ont trouvé refuge sur le sol égyptien depuis le début de l’offensive israélienne.

Khaled Shabir, 29 ans, en fait partie. Il est arrivé en Égypte en mars, quatre mois après le bombardement de sa maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, par l’armée israélienne. Ses parents sont morts dans le raid aérien ; lui a survécu avec plusieurs fractures, au pied, à la jambe et aux mains. Il a été transféré à l’hôpital puis dans un centre médical local.

Les Palestiniens dont la vie est en danger à cause de problèmes de santé peuvent obtenir un transfert médical gratuit pour l’Égypte. Mais Khaled Shabir a dû passer par les services, payants, de l’agence de voyages Hala, la seule à proposer un passage sécurisé de la bande de Gaza vers l’Égypte.

Hala, dont le propriétaire entretiendrait des liens privilégiés avec les autorités égyptiennes, facture entre 2 500 et 5 000 dollars [entre 2 200 et 4 500 euros] par personne le passage de la frontière, une somme énorme pour la plupart des Palestiniens. Khaled Shabir n’en avait pas les moyens mais, grâce à une campagne de financement participatif, il a réussi à réunir les 5 000 dollars nécessaires à son passage. “Les médecins de l’hôpital s’étaient pris de sympathie pour moi et ils ont renoncé aux honoraires de mes opérations.”

Un contexte égyptien tendu

Comme la plupart des Palestiniens récemment arrivés en Égypte, Khaled Shabir s’est retrouvé dans une position inconfortable. Officiellement, il n’a pas le statut de réfugié, et il n’a donc pas droit aux aides internationales, contrairement à ses concitoyens à Gaza.

Sur les huit Palestiniens vivant en Égypte interrogés pour cet article, aucun n’a reçu d’aide humanitaire des organisations internationales. Ces réfugiés clandestins dépendent donc de la bonne volonté des associations locales et risquent de se retrouver dans une situation de grande précarité.

Les Palestiniens en exil arrivent en Égypte dans un contexte tendu puisque le pays traverse actuellement sa pire crise économique depuis des décennies. Ces dernières années, l’inflation a atteint des records, les loyers et la nourriture ne cessent d’augmenter et des millions de personnes vivent dans la pauvreté.

Il est donc particulièrement difficile pour les Palestiniens de s’en sortir. La majorité des derniers arrivants n’ont pas de papiers officiels et ne peuvent donc pas inscrire leurs enfants dans les écoles, postuler pour des emplois, recevoir des soins médicaux ou bénéficier des aides de l’État.

À court d’argent

Même pour ceux qui ne sont pas à plaindre financièrement, la situation se complique à mesure qu’ils puisent dans leurs économies. Nagham, une étudiante en commerce de 23 ans, a quitté Gaza à la fin de janvier pour aller vivre chez des parents au Caire après la destruction de sa maison par l’armée israélienne.

Comme elle avait déjà un permis de séjour et était inscrite à l’université du Caire, Nagham n’a rien eu à débourser pour passer la frontière. Mais après son arrivée dans la capitale égyptienne, elle a dû vendre son alliance et d’autres bijoux afin de faire venir son mari. “Notre situation financière est actuellement très précaire”, dit-elle.

Kamel Mohamed a 23 ans. Il a quitté Gaza en avril et, selon lui, la majorité des étudiants qu’il connaît venus de Gaza sont à court d’argent, surtout après avoir payé les frais de passage de la frontière. Il essaie de décrocher une bourse pour étudier à l’université en Égypte ou dans d’autres pays arabes. Mais, pour l’instant, il ne reçoit rien des organisations internationales et dépend de la petite allocation mensuelle que lui octroient deux associations locales en Égypte.

“Invités” mais pas réfugiés

Le plus gros problème, c’est que ceux qui ont fui la bande de Gaza ne sont pas officiellement considérés comme des réfugiés. Ce qui veut dire que les deux principales agences onusiennes, le Haut-Commissariat pour les réfugiés et l’UNRWA, ne peuvent leur apporter aucune aide matérielle.

Le gouvernement égyptien refuse d’accorder un statut de réfugié aux Palestiniens depuis 1978, même s’il les appelle “nos invités” ou “nos frères”. Il s’oppose depuis longtemps à l’installation d’un bureau de l’UNRWA au Caire et à l’accueil de la population de Gaza sur son territoire, par crainte qu’ils ne viennent menacer la sécurité de la région et qu’Israël refuse le retour dans l’enclave des Palestiniens déplacés.

Mais, selon de nombreux spécialistes, l’Égypte a une obligation légale d’accueillir les réfugiés sur son sol. Pour l’instant, en l’absence de papiers officiels, la plupart des Palestiniens qui sont récemment arrivés de la bande de Gaza risquent d’être renvoyés chez eux.

Pour autant, le gouvernement égyptien prend en charge certains Palestiniens victimes de la guerre. Le ministre de la Santé, Khaled Abdel Ghaffar, a annoncé en mai que, depuis le début du conflit, environ 5 500 blessés avaient été évacués en Égypte pour recevoir des soins médicaux. Ces Palestiniens sont soignés aux frais du gouvernement égyptien. La procédure est cependant longue et compliquée.

“C’était un calvaire, ce voyage”, raconte Oum Qusai, qui a pu quitter Gaza pour que sa fille de 6 ans, Nour, soit opérée. La fillette avait perdu un œil lors du bombardement de sa maison en octobre. Après six mois passés à l’Hôpital européen de Gaza, Oum Qusai a finalement réussi à obtenir que sa fille soit transférée gratuitement en Égypte. Mais, comme elles n’avaient pas de passeport, elle a dû attendre avec la fillette et ses deux autres enfants pendant douze heures au poste-frontière de Rafah avant de pouvoir entrer en Égypte.

“Ils arrivent avec leurs vêtements pour tout bagage”

Une fois arrivés dans le pays, la plupart des Palestiniens soignés gratuitement n’ont pas le droit de quitter l’hôpital. Un grand nombre de ces patients, ainsi que les proches qui les accompagnent, disent se sentir prisonniers de ces hôpitaux, ils ne sont autorisés à sortir du bâtiment que s’ils retournent à Gaza. Des bénévoles égyptiens s’organisent pour apporter aux patients palestiniens de la nourriture, des médicaments et des vêtements. Ils se plaignent cependant de la lourdeur des démarches administratives à faire pour obtenir un droit de visite à cause des mesures de sécurité très strictes en vigueur dans ces hôpitaux.

En novembre, Sherif Mohyeldin, un chercheur égyptien, a lancé For the People, une association d’une soixantaine de membres qui vient en aide aux Palestiniens blessés et à leurs familles au Caire et à Alexandrie. Jusqu’à présent, et grâce aux dons, cette initiative a réussi à aider plus de 1 200 Palestiniens à payer leur nourriture et leurs loyers.

“Les gens arrivent avec leurs vêtements pour tout bagage, explique Sherif Mohyeldin. Ils souffrent beaucoup, sur le plan tant physique que psychologique.” L’association n’a pas encore trouvé de solutions pour les malades qui ont besoin d’une prothèse ou d’une chimiothérapie, des soins au coût faramineux, mais aussi pour les étudiants palestiniens, dont les frais de scolarité annuels dépassent les 4 000 dollars [3 600 euros].

Abdullah Abou Al-Aoun, 26 ans vient d’une famille aisée de Gaza, et lui aussi essaie d’aider ses concitoyens en Égypte. Sa famille possédait de nombreux bâtiments et deux restaurants à Gaza, tous bombardés par l’armée israélienne. Après avoir fui Gaza, il a ouvert un restaurant de chawarma au Caire grâce au passeport égyptien de sa mère et aux économies de sa famille. Il a embauché trois jeunes Gazaouis dans son nouveau restaurant et apporte une aide financière à d’autres familles palestiniennes installées au Caire.

  • “Les familles qui sont venues en Égypte se retrouvent sans rien.”

De nombreux Palestiniens savent qu’ils vont sans doute devoir rester encore plusieurs années en Égypte. “Ce qui m’inquiète le plus, c’est de ne pas savoir de quoi sera fait demain, avoue Nagham. Quand pourra-t-on retourner chez nous ? Et où allons-nous vivre, sous une tente ou dans les ruines de nos maisons ?”

Azza Guergues

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Azza Guergues

Journaliste pour Foreign policy.

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