Pour le peuple tunisien, c’est le grand test. Un enjeu majeur pour le pays et pour la région. Première nation à s’être lancée dans la révolte, la Tunisie est suivie de près par le monde, par les autres pays arabes surtout. Le succès du processus aura valeur de victoire démocratique. Mais la tâche est colossale. Comme dans toute situation historique de ce type, le processus s’effectue dans une profusion de partis naissants et dans l’émergence de nouvelles personnalités. Difficile pour les Tunisiens d’y voir très clair. Le Nouvel Observateur fait le point.
Qu’est qu’une Assemblée constituante ?
L’Assemblée constituante va succéder à la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique qui a fermé ses portes le 13 octobre dernier. Elle a, depuis le 17 mars, élaboré la nouvelle loi électorale et quelques textes sur le droit des partis et des associations.
L’Assemblée constituante, qui sera donc composée de 217 membres, devra formaliser les règles et les procédures constitutionnelles du nouvel Etat et institutionnaliser les acquis de la révolution. Pour cela, elle aura un mandat limité à un an. Elle aura aussi pour fonction de contrôler le gouvernement et d’élaborer des lois. Une concentration de pouvoir plutôt large. C’est elle aussi qui élira le président qui nommera un nouveau gouvernement.
Par qui sont organisées ces élections ?
Les élections à l’Assemblée constituante de Tunisie sont supervisées par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) pilotée par Kamel Jendoubi , ancien président du réseau euro-méditérranéen pour les droits de l’homme, en exil sous le régime de Ben Ali. L’Isie a été créée indépendamment du gouvernement tunisien. Créée le 18 mai, elle est composée de 16 membres. Elle a fixé le nombre total des circonscriptions électorales à 33 dont 27 en Tunisie et 6 à l’étranger. 10 sièges sont à pourvoir en France dans deux circonscriptions.
Quel est le mode de scrutin ?
C’est un scrutin de listes à la proportionnelle. Ce mode d’élection a été choisi pour élargir le champ des partis représentés dans la future Assemblée. L’idée étant de n’exclure aucune sensibilité. En revanche, le risque est grand de voir une Assemblée très diverse qui pourrait donner lieu à de nombreuses négociations de couloir.
Qui votent ?
7,5 millions d’électeurs sont appelés à voter. Pour établir une nouvelle base de données conforme et fiable, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) avait organisé entre le 11 juillet et le 14 août des inscriptions sur des listes électorales et près de 55 % des électeurs se sont inscrits. Toutefois les Tunisiens qui ne se sont pas enregistrés pourront tout de même voter en présentant leur carte d’identité.
Comment le vote va se dérouler ?
Le scrutin en Tunisie doit se dérouler le 23 octobre de 7 à 19 heures. En France, les Tunisiens commenceront à voter le 20 jusqu’au 22 octobre dans les consulats (avec 600.000 résidents, la France est le pays qui accueille la plus grande communauté tunisienne à l’étranger). La campagne électorale a débuté le 1er octobre et prendra fin le 21 octobre 2011.
Le jour du vote, les Tunisiens, munis de leur carte d’identité, auront en main un seul document (plus grand qu’un format A4 !) où figureront toutes les listes de leurs circonscriptions. Ils cocheront la liste de leur choix. Ils seront ensuite invités à signer avec leur doigt grâce à une encre indélébile.
(...)
Comment la sécurité va-t-elle être assurée ?
Les écoles primaires et des locaux spéciaux ont été réquisitionnés. L’armée tunisienne entière est mobilisée. Cette dernière va assurer la logistique et le transport du matériel et la collecte des bulletins. Pour sécuriser les bureaux de vote, l’Isie a décidé que des soldats et des policiers armés seront présents.
Quels sont les forces politiques en présence ?
Plus de 1.500 listes, 11.000 candidats et 110 partis reconnus. Les chiffres sont vertigineux et les Tunisiens sont déconcertés et indécis. Le mode de scrutin à la proportionnel par liste a encouragé les candidatures tout azimut. Difficile pour les listes indépendantes de se démarquer des partis les plus enracinés dans le paysage politique tunisien.
- Les poids lourds
Dans le peloton de tête des partis significatifs, on trouve d’abord le parti islamiste Ennahda, dirigé par Rached Ghannouchi et grand favori de ces élections. Les sondages lui accordent entre 22 % et 30 % des sièges.
Le Parti démocrate progressiste (PDP), parti centriste, dirigé par Najib Chebbi et autorisé sous Ben Ali, apparaît comme la deuxième force politique du pays. Ces deux partis ainsi que le Pôle démocratique moderniste (constitué de petits partis qui ont formé une coalition avec Ettajdid, l’ex-Parti communiste) et le Forum démocratique (Ettakatol ancien Forum démocratique pour le travail et les liberté) du social-démocrate Mustapha Ben Jaafar, sont présents dans toutes les circonscriptions. Tout comme le Congrès pour la République, fondé en 2001 et interdit sous Ben Ali, mené par le militant pour les droits de l’homme Moncef Marzouki.
Le Parti du travail tunisien d’Abeljelil Bedoui (PTT) s’appuie sur le puissant réseau syndicaliste de l’UGTT, acteur majeur de la révolution, compte bien, lui aussi, peser.
On retrouve les anciens du RCD, ex-parti au pouvoir aujourd’hui dissout, dans plusieurs partis, notamment ceux des anciens ministres Kamel Morjane, l’Initiative, et Mohamed Jegham, Al Watan.
- Les blogueurs
Fer de lance de la révolution, les blogueurs comptent aussi participer à la marche démocratique tunisienne. On se souvient de Slim Amamou, passé un temps dans le gouvernement provisoire en tant que secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports dans le premier gouvernement de transition. Si lui ne se présente pas, plusieurs jeunes issus de la culture web font campagne sur des listes indépendantes.
Parmi eux Amira Yahyaoui, figure emblématique de l’internet tunisien conduit une liste indépendante à Paris, "Une voix indépendante". Militante des droits de l’homme, elle a combattu la censure sous le régime de Ben Ali. Le blogueur Yassine Ayari a comme Amira Yahyaoui participé au mouvement "Nhar ala Ammar", le 22 mai pour alerter l’opinion de la censure. Il s’est fait connaître en signant avec Slim Amamou (avec qui il a été arrêté lors d’une manifestation) la déclaration de la manifestation du 22 mai envoyé au ministère de l’Intérieur.
Riadh Guerfali, connu sous le nom de Astrubal, co-fondateur du site Nawaat a vécu dans l’anonymat sous Ben Ali. Il se présente en tête de liste de Al-Jalaa dans sa ville natale de Bizerte. Tarek Kahlaoui, lui, tête de liste de Sawt Echabab, a aussi longtemps milité pour la liberté d’expression.
Parmi les nouveaux venus dans la sphère politique, on trouve Medhi Lamloum, dont le blog est une référence dans le domaine du webmarketing. Il s’est engagé aux côtés de l’intellectuel tunisien, Youssef Seddik. Et puis il y a aussi Imen Braham et Adib Sammoud qui complètent cette élite web.
- Société civile
Parmi la pléthore de partis issus de la société civile, un sort du lot, le réseau Doustourna. Issu notamment du mouvement associatif, Le Manifeste du 20 Mars 2011, Doustourna se pose en tant qu’alternative à l’électoralisme des partis politiques en course. Il n’a pas de programme et se concentre uniquement sur l’élaboration de la Constitution. La leur est déjà écrite et établie ! Ce projet est en ligne et soumis au débat. Il souhaite que la Constitution soit approuvée ensuite par un référendum.
- Les femmes
Lilia Laabidi, ministre des affaires de la femme, l’affirme : la participation des femmes aux élections tunisiennes est "essentielle pour la réussite de la transition démocratique (…) elles ont joué un rôle majeur dans la révolution". La Tunisie a toujours été l’un des pays les plus avancé sur les droits des femmes. Le décret-loi sur les élections a inscrit la parité sur les listes électorales, lesquelles doivent faire figurer alternativement les candidats hommes et femmes pour assurer à ces dernières des positions éligibles. Lilia Laabidi avait lancé une vaste campagne pour encourager les femmes à s’inscrire sur les listes. Pourtant, seules 5 % des listes sont menées par des femmes...
Sur le web, la communauté tunisienne a déployé toute une multitude de moyens pour donner plus de visibilité au programme des différents candidats. Le site Fhimt a réalisé une infographie regroupant les partis politiques par courant. Le blog l’Observatoire politique tunisien propose aussi un décryptage par courant. La journaliste du "Monde", Hélène Sallon, propose sur son blog consacré au printemps arabe, une mine d’or de liens vers ces sites pour choisir.
Sarah Diffalah
(tiré du site du Nouvel Observateur)