Le ministre de l’Intérieur, Ahmad Gamaleddine, réclame l’élaboration d’un projet de loi pour réglementer les manifestations et les sit-in. Son projet exige la notification préalable au ministère, désignant l’heure, l’endroit, l’itinéraire et la durée de la manifestation, le nombre et les noms des participants, ainsi que les objectifs de celle-ci. Il s’agit selon lui d’être ainsi en mesure de « protéger les manifestants » et de veiller à « ne pas perturber l’ordre public ». Le projet dans son ensemble n’est pas encore achevé, mais il rappelle singulièrement un autre temps.
Dès son arrivée au pouvoir en 1981 jusqu’à sa chute en 2011, Moubarak a systématiquement interdit les manifestations en vertu de l’état d’urgence. Celles-ci n’étaient tolérées que dans certains lieux, comme les campus, et cela alors même que les Constitutions de 1923, 1930, 1956, 1964 et 1971 garantissaient le droit au rassemblement pacifique sans notification préalable et réglementaient la présence des agents de police lors de tels rassemblements, leur action devant s’exercer « dans les limites de la loi ».
A partir de 2006, le pays a connu une recrudescence de contestation politique, sociale et économique. Celle-ci a fini par prendre les dimensions spectaculaires qui ont mené à la chute du régime le 11 février 2011. Et, cela n’a pas cessé de se développer. Des manifestations sont ainsi organisées de manière quasi systématique dans plusieurs secteurs importants : les télécommunications, le textile, les transports, l’éducation, la poste, etc.
Pour y mettre un terme, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui a géré directement le pays jusqu’en juin dernier, avait promulgué, au nom de la sécurité et de la stabilité, la loi 34 criminalisant les grèves, les sit-in et les rassemblements qui entravent le travail public ou privé. Des peines allant jusqu’à un an de prison et des amendes allant jusqu’à 500’000 L.E. [quelque 76’000 CHF] sont prévues par cette loi qui est sévèrement contestée par les mouvements politiques, par des ONG des droits humains et par les organisations syndicales indépendantes.
Et la vague de manifestations et de grèves n’a, elle, pas cessé : on en compte quelque 956 dans les six mois suivant la révolution, selon le Centre Fils de terre pour les droits de l’homme.
Fin 2011, trois actions menées contre des manifestants se sont démarquées du reste de la répression exercée contre la contestation : à Maspero, rue Mohamad Mahmoud et rue Qasr Al-Aïni, dans le centre du Caire. Cela n’a eu pour effet que de drainer encore plus de manifestants dans les rues en opposition au pouvoir militaire et en dépit d’un « usage excessif » de la force : canons à eau, pierres, balles en caoutchouc et divers gaz lacrymogènes.
La vague d’indignation soulevée s’est accompagnée d’une campagne pour faire pression sur les autorités réclamant l’abrogation de la loi 34, ou, à minima, sa mise en conformité avec les normes internationales, notamment avec les principes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le droit de grève. Notons que l’OIT place déjà l’Egypte sur la liste noire des pays violant le droit du travail pour non-application de la loi sur les libertés syndicales.
Mais revenons aux événements de ces dernières semaines : il semble bien que le gouvernement actuel n’éprouve aucune gêne aujourd’hui à criminaliser les grèves, alors que la confrérie [Frères musulmans] s’est acharnée, des décennies durant, contre l’ancien régime exactement sur ce point. Le ministre de l’Education vient par exemple de déclarer que toute grève menant à une fermeture d’école serait traitée comme un acte criminel.
« Avant de criminaliser ces contestataires, il faut traiter leurs problèmes, améliorer leurs conditions de travail, rétablir leurs salaires, leurs primes, leurs contrats, ou plutôt, lutter contre la corruption », lance Kamal Abou-Eita, président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants. Cette organisation formée au cours de la révolution compte aujourd’hui plus d’un million et demi de travailleurs et travailleuses. Ces militants ouvriers craignent un durcissement de ton à leur encontre. C’est de leurs rangs qu’est sortie la contestation ouvrière de Mahalla qui a pavé la route aux révolutionnaires de janvier. « Nous espérons que la nouvelle Constitution garantira une meilleure protection du droit à manifester. Ce serait sinon un vrai recul par rapport aux revendications initiales de la révolution », conclut Al-Badri Farghali, un fervent militant de gauche.
Qu’en sera-t-il vraiment, alors que, samedi 15 septembre, l’Assemblée constituante a adopté un texte préliminaire qui garantit les manifestations et les grèves. mais à condition qu’elles « ne nuisent pas aux intérêts du peuple » ? Un terme si vague qu’il augure mal de l’avenir de ces droits.
Cet article a été publié dans Al Ahram en date du 19 septembre 2012.