Monsieur le ministre,
Nous sommes des groupes communautaires féministes qui avons développé depuis plusieurs années une véritable expertise terrain sur différents aspects qui touchent la sexualité des jeunes : vie affective et amoureuse, violence conjugale et sexuelle, santé sexuelle et reproductive, identité de genre et orientation sexuelle, sexualité et handicap, etc. Nous entretenons certaines craintes concernant les apprentissages d’éducation à la sexualité prévus par votre ministère, mais il n’existe aucun espace de consultation et de collaboration entre le ministère et les groupes communautaires. Il nous reste à peine un an pour travailler ensemble à offrir aux jeunes du Québec une éducation à la sexualité adaptée à leurs réalités et besoins. En attendant que vous consultiez les groupes experts, voici certaines de nos préoccupations.
Le financement
Nous nous questionnons, dans un premier temps, sur le financement qui sera accordé à la mise en œuvre des apprentissages en éducation à la sexualité. Les écoles, déjà chroniquement sous financées, devront dispenser ces nouveaux apprentissages sans qu’aucune ressource supplémentaire ne leur soit accordée. Les organismes communautaires détiennent, pour leur part, l’expertise pour aborder plusieurs des thèmes prévus et il y a fort à parier qu’ils seront sollicités par les milieux scolaires pour livrer certains contenus. Comment seront-ils soutenus pour arriver à bien le faire ? Devront-ils assumer le désengagement étatique en éducation sans voir leurs ressources augmenter ?
Une perspective féministe et intersectionnelle
Par ailleurs, nous sommes d’avis que l’éducation à la sexualité est une opportunité à saisir pour sensibiliser les jeunes aux inégalités liées aux genres, notamment en abordant tous les thèmes prévus dans une perspective féministe et intersectionnelle. Or, si le programme semble a priori relativement complet quant aux thématiques qu’il aborde, il demeure que certains éléments sont à questionner, dont par exemple la séparation binaire des genres dans les contenus, ou l’invisibilisation de certains vécus et réalités qui font partie de la vie des jeunes. On peut penser, par exemple, à la fluidité de l’orientation sexuelle, à l’avortement, à la contraception non hormonale, à l’influence du racisme et du colonialisme sur la sexualité, à la violence conjugale qui touche même les plus jeunes, etc.
Les jeunes ne forment pas un bloc homogène : leurs vécus sont diversifiés, inégaux, et façonnés par différents rapports sociaux. Les dispensateurs des contenus relatifs aux apprentissages en éducation à la sexualité devront être adéquatement formés pour développer une réelle compréhension de la diversité des identités et des réalités des jeunes (identité culturelle et raciale, identité et expression de genre, orientation sexuelle, capacités fonctionnelles, etc.). Nous devons créer un programme qui aborde l’ensemble des enjeux qui touchent les jeunes et évoque toutes les possibilités et les modèles existants.
Une autre année s’amorce pour le projet pilote en éducation à la sexualité, une année pour modifier des pratiques et réajuster le tir. Nous vous demandons, monsieur le ministre, une rencontre au cours de laquelle nous pourrions vous présenter plus amplement des alternatives et recommandations quant aux contenus des apprentissages, puis quant à la forme que devrait prendre l’éducation à la sexualité dans les écoles du Québec.
Ce texte est cosigné par Ève Devault et Julie Antoine pour le Groupe des Treize.
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