On aurait tort de réduire la question des droits de scolarité à un bras de fer vaguement corporatiste entre le mouvement étudiant et le gouvernement. La place de l’enseignement supérieur dans les sociétés modernes est appelée à grandir. Évolution technologique oblige : la durée moyenne des études s’allonge avant que l’être humain ne devienne « productif ». Nécessité est ainsi faite à davantage de jeunes d’étudier de plus en plus longtemps avant d’entrer sur le marché du travail.
Comme société, ne devrions-nous pas avoir le réflexe de les soutenir ? Une proportion croissante de la population jeune est aux études et le phénomène va s’amplifier. On parle ici d’un véritable bouleversement, qui devrait nous conduire à revoir le statut social des étudiantes et des étudiants, ainsi que l’ensemble de leur condition financière. Il faudrait davantage de résidences, de véritables tarifs réduits en matière de transports en commun ou d’accès à la culture. Et, pourquoi pas, un salaire étudiant ?
Au lieu de brasser ce genre idées, le gouvernement nous propose le réflexe mercantile. Les jeunes doivent étudier plus longtemps ? Parfait ! Il y a là une clientèle captive dont il faudrait mieux profiter. Qu’ils s’endettent ! Peu importe que cela écorche au passage la mixité socio-économique des facultés contingentées, une caractéristique de l’université québécoise dont nous devrions pourtant être fiers. La logique marchande derrière cette approche ne fait aucun doute. Une page de publicité payée dans les journaux à l’appui d’une hausse des droits par... la Chambre de commerce de Montréal (!) en témoignait il y a quelques mois.
Un véritable débat de société
C’est pourtant un véritable débat de société qui devrait être refait autour de cette question. Le forum organisé par la ministre Beauchamp, il y a un an, posait comme incontournable la hausse des droits de scolarité. L’exercice tenait davantage de la parade politique que d’un authentique forum social, où circulent des arguments fondés devant des décideurs ouverts à la réflexion.
Quand on parle de droits de scolarité, les échanges sont souvent pollués par des arguments simplistes, voire mensongers. On compare la fréquentation à l’enseignement supérieur au Québec à celle des autres provinces canadiennes... en oubliant les cégeps, qui nous permettent de faire mieux de 9 % que nos voisins à cet égard ! On oublie soigneusement de mentionner l’étendue actuelle du registre socio-économique des effectifs étudiants, beaucoup plus étendue chez nous à cause des frais de scolarité bas. On parle de ramener les droits à la hauteur de ceux des années soixante, en oubliant que les frais afférents n’existaient pratiquement pas à cette époque, en omettant de dire que la contribution à l’assiette fiscale par les entreprises privées (qui profitent directement de la qualité de notre système d’éducation en embauchant des diplômés fins prêts pour le travail) était à l’époque considérablement plus élevée qu’aujourd’hui.
Mais surtout, les tenants d’une hausse des droits reviennent systématiquement sur l’obligation naturelle, pour les étudiantes et les étudiants, de contribuer financièrement à une formation dont ils seront après tout les principaux bénéficiaires.
Ce raisonnement est pernicieux, parce que le véritable débat n’est pas seulement celui du « qui », il est aussi celui du « quand » et du « comment ». Qu’on fasse payer celles et ceux qui choisissent d’étudier plus longtemps, soit. Mais en instaurant une fiscalité plus équitable : médecins, avocats et autres ingénieurs paieront pour leurs études par la voie des impôts, lorsqu’ils seront actifs sur le marché du travail.
On n’aura pas, de cette manière, fermé la porte des universités à celles et à ceux qui n’ont pas les moyens... de s’endetter tout de suite par-dessus la tête.
L’auteur est président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)