Si ce bilan est une catastrophe humanitaire, à 10 000 kms de l’Europe, à Mayotte, la situation n’est pas moins catastrophique et ceci dans un déni total des médias dominants. C’est 10 000 migrant-e-s recensé-e-s qui ont péri en tentant de rejoindre l’île de Mayotte depuis 1995. Mayotte, pourtant département français, n’est pas comptabilisé dans les statistiques nationales, et il en est de même pour les reconduites à la frontière ; ainsi en 2014 c’est 19 991 expulsions de Mayotte[1] (15 161 retours forcés[2] la même année en métropole auxquels il faut ajouter 12 445 éloignements spontanés et aidés).
La France a déjà échappé au droit international lors de la proclamation de l’indépendance des Comores qui comportent quatre îles (Anjouan, Grande Comore, Mayotte, Mohéli) en gardant Mayotte sous administration française et continue aujourd’hui dans le 101ème département français avec un régime d’exception pour l’asile, les mineurs isolés, les droits sociaux… On retrouve cette politique d’exception à des degrés divers dans tous les territoires ultramarins. La France a du mal à lâcher les dernières miettes de son empire colonial qui lui permettent d’être la deuxième façade maritime mondiale, sa présence dans tous les océans lui garantissant d’imposantes zones économiques exclusives (ZEE).
Mayotte, le 101ème département français demeure une terre d’exception tant au niveau des chiffres que du droit. Alors que l’archipel des Comores, colonie française puis territoire d’outre mer, constituait une entité où les habitant-e-s circulaient librement, le coup de force de l’administration française pour que l’île de Mayotte reste dans le giron français après le référendum qui exprimait pourtant la volonté des habitant-e-s de l’archipel de devenir indépendant-e-s[3], commençait à entraver cette liberté de circulation. En 1995, la mise en place du visa Balladur avec des conditions draconiennes, allait rendre cette circulation quasi impossible et désormais mortifère entre les îles sœurs.
En 2015 pour les 20 ans de la mise en place du visa dans l’île de Mayotte, la FASTI[4] a lancé la campagne "Le visa Balladur tue !" afin de sensibiliser et de mobiliser l’opinion publique pour faire abroger ce visa. Les ASTI s’emparent de cette campagne et organisent des conférences-débats, comme l’AHSETI du Havre l’a fait le 25 avril 2015 et comme d’autres ASTI le feront cette année.
La FASTI est une fédération ancrée sur le territoire par ses 58 ASTI, indépendantes et autonomes, qui œuvrent localement aux cotés des personnes migrantes ou immigrées. Si les ASTI se sont orientées au départ sur l’aide quotidienne et l’amélioration des conditions de vie des migrants, la fermeture des frontières en 1974 a donné une nouvelle dimension à leur travail.
Ainsi chaque ASTI répond aux besoins locaux selon son histoire et ses bénévoles par différentes activités : alphabétisation, français langue étrangère, soutien à la scolarité, aide juridique au séjour et aux droits sociaux, soutien aux femmes immigrées…
Les actions de solidarité avec les personnes étrangères au quotidien permettent de témoigner des inégalités et discriminations auxquelles celles-ci sont exposées. Les rapports de domination coloniaux perdurent et véhiculent un discours raciste qui trouve ses origines dans la traite négrière. Aujourd’hui les Etats, à travers les discours publics et les politiques publiques, continuent à instiller ce racisme. La loi de 2004 sur le port du voile, le discours de Grenoble, le discours de Dakar, les déclarations sur les Rroms, la double violence imposée aux femmes étrangères victimes de violence… sont quelques exemples de cette volonté de la domination blanche.
L’aide au quotidien des personnes migrantes et immigrées ne peut être dissociée d’une analyse des politiques migratoires discriminatoires, de la domination patriarcale et des rapports Nord/Suds. Les militant-e-s des ASTI se retrouvent régulièrement pour échanger, réfléchir, s’informer, se former dans différentes commissions où se réalisent la construction et l’évolution de notre mouvement.
Cette domination se traduit aussi par la fortification de l’espace français et européen en s’inventant un ennemi extérieur. Des moyens sans cesse croissants sont déployés pour empêcher les migrant-e-s de pénétrer sur le sol français ou européen. L’agence FRONTEX et Eurosur développent un arsenal militaire pour la surveillance des frontières. Mayotte n’est pas en reste avec tout récemment une intervention de la légion étrangère pour "traquer" les migrant-e-s sur l’îlot de M’tsamboro.
Le/la migrant-e est un-e "criminel-le" qu’il faut absolument empêcher de pénétrer ou de rester sur le territoire européen. Pourtant l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme est très clair sur le droit des personnes à circuler et à s’installer partout où elles le souhaitent. De plus ces mêmes pays qui entravent la circulation des migrant-e-s et les assignent à résidence poussent leurs populations à se déplacer à l’étranger, quel paradoxe !
Pour s’affranchir de ses obligations en matière de droits humains, l’Europe négocie de nombreux accords afin d’externaliser le contrôle des migrations et les confier aux pays limitrophes. Ainsi la France négocie avec l’Union des Comores sur fond d’Aide Publique au Développement afin de confier aux Comores le contrôle des flux migratoires en direction de Mayotte.
Au-delà des questions migratoires, il est nécessaire de porter son attention aux causes structurelles qui organisent l’inégalité économique et sociale à l’échelle de la planète. Le problème central est bien celui du capitalisme mondialisé.
Les pays du Nord utilisent ainsi les accords économiques comme leviers pour maintenir leur domination sur les pays des Suds. Cela conduit à un pillage des ressources naturelles, à l’accaparement des terres et en conséquence à la paupérisation des populations. Les pays endettés sont contraints par les institutions financières internationales à des gestions budgétaires de rigueur et à une privatisation des services publics. La présence militaire de la France dans certains pays des Suds afin de maintenir ses intérêts géopolitiques et économiques, ses interventions militaires sur le continent africain sont une autre composante de la domination coloniale de la France.
La FASTI exige l’ouverture des frontières, la liberté de circulation et d’installation, la suppression de toutes les formes d’enfermement, l’égalité pour toutes et tous, l’abolition de toutes les lois racistes et xénophobes. Ces revendications doivent être pensées avec une remise en cause globale du système économique mondial et des systèmes de domination coloniale, patriarcale et sociale.
La FASTI travaille en réseaux et consolide les partenariats existants au Nord comme aux Suds y compris par la participation aux initiatives locales et internationales contre le réchauffement climatique, en participant aux actions et évènements inter-associatifs anticolonialistes et anti-impérialistes.
Notes
[1] Source : Préfecture de Mayotte
[2] Source : Ministère de l’intérieur
[3] D’après "Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale" Pierre Caminade aux Editions Agone en coédition avec Survie
[4] Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s représente le mouvement des ASTI