Tiré de Politis.
Pauvre Theresa May ! On la prendrait presque en pitié ! La voilà sommée de démissionner pour obtenir le vote par le Parlement de son plan de sortie de l’Union européenne. Pour elle, c’est « à qui perd gagne ». Et – comble de cruauté – les maîtres-chanteurs viennent de son propre camp. Si la Première ministre s’engage à quitter le 10 Downing Street, elle aura le soutien des députés brexiteurs, et Bruxelles lui accordera, à elle ou à son successeur, un délai supplémentaire jusqu’au 22 mai. Dans le cas inverse, elle devra rendre les armes dès le 12 avril, et ce sera le tant redouté « No deal ». Une sortie à la sauvage. Un désastre économico-social doublé d’une crise majeure.
Dans tous les cas, pour Theresa May, c’est échec et mat. Mais laissons là cet imbroglio politique, et posons-nous plutôt la question qui commence tout doucement à faire son chemin du côté de Westminster : peut-on renvoyer les électeurs britanniques aux urnes ? Ont-ils eu tort de voter pour le Brexit le 16 juin 2016 ? Ou, plutôt, ont-ils été trompés ? Le Parlement a entamé mardi une discrète série de consultations sur le sujet, et le leader travailliste Jeremy Corbyn semble ne plus exclure cette hypothèse, par ailleurs peu envisageable en pratique. Au-delà de ces nombreuses péripéties, c’est cependant cette question de portée plus générale que nous pose le Brexit. Ou, pour le dire autrement, le peuple a-t-il toujours raison ?
La réponse est infiniment plus complexe qu’il y paraît. Car où est le peuple dans cette affaire ? Dans les presque 52 % d’électeurs qui se sont prononcés pour le Brexit, et dont une partie se repent aujourd’hui, ou dans le million de manifestants qui ont déferlé samedi 23 mars dans les rues de Londres pour demander un nouveau référendum ? Un autre peuple, et parfois le même… Est-il dans cette majorité qui, selon les sondages, se prononce à présent pour le maintien dans l’Union européenne, ou dans cette autre majorité qui, selon les mêmes sondages, est hostile à un nouveau référendum ?
Du point de vue de la démocratie, qui est obstinément le nôtre, le vote de 2016 devrait évidemment faire loi. Encore faudrait-il que les informations à partir desquelles les électeurs ont été amenés à se prononcer n’aient pas été de grossiers mensonges. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que la campagne ultra-nationaliste conduite par le dirigeant d’extrême droite Nigel Farage et le très opportuniste et très libéral Boris Johnson a fait assaut de démagogie, et instrumentalisé toutes les peurs. Dans leurs discours, l’Europe était devenue le cheval de Troie de tous les terroristes de la planète. C’est la grande différence avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel. La comparaison, bien sûr, hante nos esprits. Mais elle est, moins que jamais, raison.
En France, le contournement du vote populaire par une sordide manœuvre parlementaire entre la droite et le Parti socialiste avait abouti, on s’en souvient, au traité de Lisbonne, qui réintroduisait ce que les électeurs avaient rejeté. Cet acte de violence politique commis en connivence par la droite et la gauche de l’époque a gravement et durablement abîmé notre démocratie. Ce traumatisme s’inscrit encore dans nos mémoires comme l’une des causes majeures de la crise actuelle. Il a sans doute aussi marqué le début de la fin du Parti socialiste. Mais si les situations présentent quelques ressemblances, le fond n’est évidemment pas le même. En 2005, la question sociale est restée au centre du débat. Une gauche antilibérale et une société civile très active ont toujours été aux commandes, imposant leurs thématiques.
Avec le Brexit, au contraire, la colère sociale a été dévoyée par des xénophobes, et transformée par eux en une virulente campagne anti-migrants. Les Brexiteurs ont réussi à faire voter les classes moyennes et inférieures, rurales et provinciales, contre leurs intérêts les plus élémentaires. Car au-delà des dommages immédiats du Brexit sur l’économie britannique, et sur les pays européens, c’est un objectif fondamentalement antisocial qui est poursuivi. Il s’agit pour les promoteurs de cette entreprise de s’émanciper de toute réglementation, plongeant encore un peu plus leur pays dans le moins-disant social, et créant aux portes de l’Europe une concurrence mortifère, notamment pour les travailleurs français et allemands.
Mais il ne suffit pas dans cette affaire d’accabler seulement les propagandistes du Brexit. S’ils ont pu être entendus et suivis par une majorité de Britanniques, c’est évidemment que l’Union européenne offre un terreau favorable. Le Brexit, les gilets jaunes, l’illibéralisme autoritaire de Victor Orban (le nouvel ami de Nicolas Sarkozy) ou de Matteo Salvini sont autant d’expressions du même mal. Nigel Farage et Boris Johnson n’ont pas inventé la crise sociale et morale qui mine l’Europe. Nous savons maintenant que le Brexit n’est pas la réponse, pas plus qu’un Frexit… Mais, la question reste entière. Ce que nous apprennent les Britanniques, hélas à leurs dépens, c’est que c’est à l’intérieur de l’Union que le combat doit se mener. Mais en engageant un processus de désobéissance aux traités (1). Bien sûr, il faut les forces politiques pour cela. Ce qui nous conduit tout droit aux européennes du 26 mai. Et ce n’est pas une autre histoire…
Note
(1) Lire sur ce sujet le livre de la Fondation Copernic et d’Attac, Cette Europe malade du néolibéralisme, éd. Les Liens qui Libèrent, 183 p., 10 euros.
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