Tiré de MondAfrique.
Une chronique d’Olivier Vallée
La guerre civile au Soudan, plus qu’un affrontement fratricide, semble la prolongation de grandes manœuvres internationales engagées depuis la présidence Donald Trump. L’un de ses principaux protagonistes de la guerre civile actuelle, le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », était encore, il y a peu, le numéro 2 de l’organe suprême du Soudan : « le Sovereignty Council ». Ce dernier était présidé par son actuel ennemi le Lieutenant Général Abdel Fattah Burhan, avec à ses cotés, le Lieutenant Général Al Kabashi Shinto, responsable de l’État-major général. Ce dernier a eu l’ingrate mission d’être le porte-parole commode du conseil national de transition qui, en 2019, devait mener à un gouvernement civilo-militaire qui ne dura pas longtemps. Ce n’était pas la démocratie qui était redoutée des hommes en uniformes, mais plutôt les failles apparues dans l’État profond mis en place, entre Frères musulmans et hauts gradés.
Les soutiens occidentaux et arabes du « New Deal » au Soudan ont sous-estimé les rivalités profondes entre les principales composantes de la société militaire qui dirige le pays.
« Hemedti », un général dans l’ombre
A l’occasion de la transition avortée, Abdel Fattah Burhan, déjà aux commandes, décide de sacrifier l’ossature du pouvoir, « le National Intelligence and Security Service » (NISS), qui, au cœur de l’appareil d’État, est en charge des ambassades les plus importantes. Le NISS est la troisième armée du Soudan avec des forces spéciales créées en 2005 par le célèbre général Salah Gosh. Quelle erreur ! Le patron de l’armée offre un merveilleux cadeau à Mohamed Hamdam Dagalo, dit « Hemedti », son rival tapi dans l’ombre, qui se méfiait des soldats de Gosh, souvent originaires du Nord et du Centre du Soudan.
Dès la dissolution du NISS et la mise à l’écart de Gosh, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) d’Hemedti prirent le contrôle de la sécurité des champs pétroliers, des sites stratégiques, des frontières et des migrations. Un formidable outil pour faire venir les combattants du Tchad et préparer son coup d’état.
Le General Intelligence Service (GIS) prit donc, durant la transition, le relais, sur un mode discret, du défunt NISS. Sa nouvelle image rassurait les civils. Cependant une confrontation avec une cellule islamique extrémiste, en septembre 2021, décida le patron de l’armée, Abdel Fattah Burhan, à reconstituer les Forces spéciales (Special Operations Forces ou SOF). Au grand dam d’Hemedti qui se doutait bien que l’incident de Jabra, dans le Sud de Khartoum, n’était qu’un prétexte pour contrebalancer son omniprésence dans la capitale. Nommé à la tète du GIS, le Lieutenant Général Jamal Abdelmadjid a défendu pied à pied l’État dans l’État que constituait le GIS, l’héritier du NISS, une force de frappe financière et militaire..
Le directeur général du GIS expliquait volontiers que les sociétés[1] dans l’ombre de son organisation, émanation de l’appareil militaire ; fonctionnaient comme un fonds de pension pour les retraités et leurs familles. Pas question de tutelle d’un ministère des finances.
Le GIS, bras armé des militaires
En octobre 2021, le patron du General Intelligence Service (GIS), le Lieutenant-Général Jamal Abdul Majid, est alors nommé ambassadeur au Sud Soudan et remplacé par son adjoint Ahmed Mofaddal. L’armée soudanaise commence à sentir que les Special Operations Forces (SOF) du GIS doivent être mobilisées pour combattre les risques de rébellion.
Le chef de l’armée décide nomme cinq généraux à la retraite comme ambassadeurs dans les pays voisins : Fath Al-Rahman Mohi Al-Din Saleh, Jamal Abdul Majid Kassem Al-Sayed, Othman Muhammad Yunus, Ibrahim Muhammad Ahmad, et Bushra Ahmad Idris. Le Lieutenant-Général Bahri Fath al-Rahman était l’invité favori des chaines de télévision arabes comme expert en stratégie.
Le GIS double souvent les ambassadeurs par ses hommes qui ont des contacts avec leurs homologues, comme à Paris ou Le Caire. La diplomatie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux civils qui prétendent, Transition oblige, partager le pouvoir.
Espoirs occidentaux
Les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis espéraient que qu’une cohabitation s’installerait entre milices rivales, les SOF du chef de l’armée et les FSR de son rival et allié, Certes, les espions de Khartoum avaient été impliqués dans la terrible explosion des ambassades américaines[2] en Afrique de l’Est, mais ces égarements appartenaient au passé. Donald Trump avait retiré le Soudan de la liste des pays qui soutiennent le terrorisme, d’autant plus que le rapprochement avec Israël devenait officiel après des années de collaboration secrète.
À l’époque, la France avait esquissé un traitement global de la dette soudanaise avec le remboursement des arriérés vis-à-vis du FMI. Cette opération menée à terme aurait aidé le gouvernement civil de transition à bâtir une stratégie de croissance et peut-être à une collaboration technocratique entre l’armée et les civils. Cette tentative d’Emmanuel Macron et de Jean Yves Le Drian, qui n’était pas absurde et qui visait à contenir l’avancée russe au Soudan, se perdit dans les sables.
La réalité, la voici : tout était en place durant cette « transition » pseudo démocratique concoctée dans les coulisses de quelques chancelleries pour qu’une guerre éclate entre les clans qui se partageaient l’appareil sécuritaire et le pactole financier.
Des troupes armées jusqu’aux dents
Tous ces espoirs se sont effondrés avec la désintégration des alliances savamment tissées entre les régions et les forces armées opposées. Des combats entre RSF et SAF, il leur est difficile de choisir. Ces dernières ont un avantage immédiat qui est de soutenir le Général Khalifa Haftar dans l’Est de la Libye. Abu Dhabi ne veut pas se fâcher avec les RSF et les ravitaille, via le Tchad. Seule l’Égypte est clairement avec les SAF comme allié contre l’Éthiopie et son méga barrage de la Renaissance. Le général Deby, président du Tchad aimerait au moins parvenir à un accord au Darfour, d’autant plus qu’il est proche d’un ennemi local d’Hemedti, le Dr. Jibril Ibrahim, francophone et convoité un temps par Paris.
Mais la guerre et son cortège de réfugiés et de destructions n’est pas au centre des soucis de l’État profond, un complexe industriel enrichi et développé par le pétrole et l’importation. Les militaires n’ont pas attendu Poutine et Wagner pour s’équiper en armes russes. En aout 2002, la Russie a confirmé l’exportation de véhicules blindés et de 12 hélicoptères d’attaque. A la même époque, le Soudan a négocié la livraison de 12 MiG-29 pour une valeur de U.S. $120 millions.
L’ancien Président, Omar El Bashir, contenait l’État profond, mais au prix de la prédominance du NISS, son bras armé financier et diplomatique, sur toutes les instances civiles et militaires. Malgré les maigres espoirs nés de la transition, l’armée soudanaise ne veut en aucun cas envisager que les civils supervisent un quelconque effacement. La guerre qui les oppose les généraux soudanais est l’expression d’une culture politico-militaire qui n’a jamais dit son dernier mot.
Notes
[1] In addition is the fact that the military also dominates lucrative companies specialising in everything from agriculture to infrastructure projects. Hamdok said last year that 80 percent of the country’s public resources were “outside the finance ministry’s control”, without specifying the proportion controlled by the army. A military source who requested anonymity told AFP that the involvement of civilians in any military affairs remains a “highly sensitive” issue. “Recent civilian calls for security sector reforms may accordingly continue to face resistance,” the source added.
[2] The US – as well as pledging to support debt relief – also agreed to restore Sudan’s sovereign immunity in US courts. Just days earlier, Sudan had agreed to pay $335 million in compensation to victims of the 1998 Al Qaida bombings of the American embassies in Kenya and Tanzania. The payment was transferred on the day of agreement to recognise Israel.
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