Avant Seattle
Seattle n’a pas surgi du néant. Les événement de novembre 1999 ont représenté, dans une certaine mesure, le sommet de tout un processus de gestation et de développement de luttes et de résistances contre la globalisation capitaliste initiées à partir du milieu des années ’90, avec comme acte de naissance symbolique le soulèvement zapatiste du 1er novembre 1994.
Depuis la deuxième moitié des années ’90, une série de campagnes internationales, de mobilisations et de rencontres - en articulation avec des luttes significatives à l’échelle de certains Etats - ont peu à peu mis en réseau un ensemble d’organisations et d’initiatives, dont la solidité et l’expérience ira en croissant. Rendue visible à Seattle pour l’ensemble de l’opinion publique, la critique de la globalisation venait donc pourtant de loin.
La “bataille de Seattle”
Les mobilisations de Seattle, où ont convergé un vaste spectre d’organisations et de réseaux de différents pays et des Etats-Unis, ont représenté un “avant et un après” dans la trajectoire du mouvement.
Le mélange entre la surprise causée par un rejet aussi affirmé qu’inespéré contre les fondements du capitalisme global au coeur même de la “bête”, le radicalisme des formes de la mobilisation (particulièrement le blocage de la session inaugurale du sommet) et l’échec final des négociations officielles, tout cela explique l’énorme impact provoqué par la “bataille de Seattle”.
L’explosion du mouvement
Seattle a été le point de départ d’une période de croissance rapide du mouvement, et cela jusqu’aux mobilisations contre le G8 à Gênes en juillet 2001 et les attentats du 11 septembre à New-York.
Ce furent des années de développement linéaire, semi-spontané et en “pilotage automatique” du mouvement. Des centaines de milliers de personnes se sont identifiées avec ces mobilisations et une grande diversité de collectifs de toute la planète ont eu la sensation de faire partie d’un même mouvement, de partager les mêmes objectifs et de se sentir comme participants d’un combat commun. Il semblait que de plus en plus de secteurs commençaient à voir leurs problèmes concrets à partir d’un point de vue global et à les percevoir, bien que de manière imprécise et diffuse, comme faisant partie d’un processus plus vaste. Le mouvement “anti-mondialisation” s’est rapidement configuré comme un mouvement porteur d’un rejet complet de la logique de la mondialisation néolibérale, synthétisé par ses slogans les plus connus tels que “Le monde n’est pas à vendre”, “Mondialisons la résistance” et “Un autre monde est possible”.
Après le 11 Septembre
La mobilisation à Gênes et les attentats du 11 septembre à New-York ont brutalement inauguré une nouvelle phase dans la trajectoire du mouvement altermondialiste. Au cours des premiers mois consécutifs au 11 Septembre, il a commencé a donner des signes d’essouflement et de perte de centralité politique et médiatique.
Cependant, cette situation de désorientation et d’incertitude initiale s’est rapidement dissipée et le mouvement à pu récupérer à nouveau une certaine capacité d’initiative à la faveur de la crise en Argentine et du scandale d’Enron. En janvier 2002, le succès du 2eme Forum social mondial de Porto Alegre démontrait que, loin d’avoir disparu, le mouvement se poursuivait avec vigueur.
En peu de temps, face à la stratégie de “guerre globale permanente” menée par l’administration Bush, la dénonciation de la guerre et de l’impérialisme ont pris une place centrale dans les activités d’un mouvement jusqu’alors centré sur les questions sociales et économiques. La guerre en Irak a déclenché une des plus importantes mobilisations internationales contre la guerre de l’histoire avec comme point d’orgue la journée mondiale du 15 février 2003, qui a amené le journal The New York Times (17/02/05) à affirmer qu’il “existe deux superpuissances planétaires, les Etats-Unis et l’opinion publique mondiale”.
Perte de centralité
A partir de la fin 2003 et de 2004 une nouvelle étape commence avec une perte de visibilité des mobilisations internationales “anti-mondialisation”, et de la capacité du mouvement à agglutiner de nouvelles forces, amenant une situation de plus grande dispersion, de régionalisation et de “nationalisation” des luttes sociales. L’image d’un mouvement international coordonné, qui agissait comme un pôle d’attraction et un référent symbolique, disparaissait. A partir de cette période ont commencé à dominer les tendances à la fragmentation et à la dispersion.
Depuis lors, bien que le contexte général a été marqué par l’augmentation des résistances, ces dernières ont été très inégales à travers le monde et ont connues des difficultés importantes en Europe et aux Etats-Unis, avec un caractère défensif accentué et très peu de victoires à la clé permettant de modifier le rapports de forces de manière solide. En Amérique latine, par contre, le modèle d’accumulation néolibéral a connu une crise profonde, faisant de ce continent, dix ans après Seattle, le principal bastion de la résistance.
De “l’anti-mondialisation” à l’anticapitalisme
L’éclatement de la Grande crise de 2008, avec l’effondrement de Wall Street et la crise financière et bancaire, a ouvert un nouvel espace pour les résistances à la globalisation. Malgré la rhétorique grandiloquente des sommets du G20 de Washington, Londres et Pittsburg, les mesures adoptées depuis un an ont avant tout cherché à faire payer les frais de la crise aux secteurs populaires et à bétonner les fondements du système économique dominant, sans mener aucun changement fondamental - au-delà de la correction apportée à certains “excès” négatifs du point de vue du fonctionnement de ce système lui-même.
L’incapacité à arracher des changements importants dans les politiques dominantes s’explique fondamentalement par la faiblesse des réactions collectives. Le décalage entre le malaise social et le discrédit du modèle économique actuel d’une part et leur traduction sur le terrain de la mobilisation sociale saute aux yeux.
La crise met donc en avant le double défi de rénover les perspectives stratégiques du mouvement et de donner une réponse à la montée du rejet du système économique dominant, mais aussi de résoudre cette difficulté à lancer la protestation sociale. “Changer le monde” s’avère ainsi une tâche bien plus difficile que ce qu’avait imaginé bon nombre des manifestants de Seattle.
Continuer à axer la critique sur le terrain de l’antinéolibéralisme ne suffit plus. Passer à l’étape d’un anticapitlaisme conséquent apparaît aujourd’hui comme un développement stratégique nécessaire pour avancer vers cet “autre monde possible” dont le mouvement “anti-mondialisation” a fait sa référence principale.
**Josep Maria Antentas et Esther Vivas sont membres de Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste, Etat espagnol) et auteurs de “Resistencias Globales. De Seattle a la crisis de Wall Street” (Editorial Popular, 2009). Artícle publié dans Altermundo-Galicia Hoxe, 29/11/09, traduit de l’espagnol pour le site www.lcr-lagauche.be .
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