Comme l’indiquent Anne-Marie Devreux et Estelle Lebel dans le premier texte : « L’anti-féminisme s’organise aujourd’hui en s’adossant à l’idée que, les inégalités de genre ayant disparu, les nouveaux droits des femmes seraient des privilèges créant de nouvelles inégalités à l’encontre des hommes ».
« L’égalité déjà là », est une invention idéologique, un refus de l’égalité réelle à construire, de l’égalité des femmes et des hommes, « nous vivons encore dans des sociétés misogynes, sexistes et lesbophobes, et c’est de ce fond sociétal qu’émergent les différentes variantes de l’antiféminisme ».
Les soubassements de cet antiféminisme sont divers : invention d’une nature justifiant la place différente (et de fait subalterne) des femmes, affabulations religieuses, objectivité scientifique autoproclamée, manipulation des concepts et de l’histoire, négation des rapports sociaux de sexe, du système de genre, de la domination systémique, « Il convient de décrire et de nommer une réalité sociale et un système social qui institue, nourrit, soutient et reproduit ces sentiments de haine et de mépris des femmes », oubli du travail gratuit effectué par les femmes…
Devant les avancées obtenues par les femmes grâce à leurs luttes, les argumentaires et les moyens d’expression changent. Mais toujours pour occulter volontairement l’asymétrie de fait de « la place, le statut, les libertés des hommes et des femmes dans la société ».
En présentant les articles du numéro, Anne-Marie Devreux et Estelle Lebel soulignent aussi que « l’antiféminisme est une réaction politique qui touche d’abord la possibilité pour les femmes d’avoir une expression politique à travers le féminisme, ou plus globalement à travers toute forme de discours ou de suffrage ».
Et, derrière la soit-disant objectivité, le fantasmatique « neutre », un point de vue bien androcentré. Les auteures y opposent « la colère des opprimé-e-s », en citant Colette Guillaumin, « productrice d’un savoir qui n’est en rien moins capable de généralisation que la position des groupes dominants ».
L’antiféminisme se nourrit du « contexte politico-social où se conjuguent néolibéralisme et néo-conservatisme », s’oppose aux changements sociaux, valorise la différence (« hiérarchique, évidemment ») des sexes, l’hétérosexualité, la famille comme instance immuable de la société…
Et il ne faut s’y tromper, derrière l’instrumentalisation des droits des femmes ou des idéaux démocratiques par des Etats, ici et là, il s’agit toujours et encore pour les hommes de préserver les bénéfices de leur domination.
Je n’indique que certains points traités dans les articles :
◾Le « nouveau féminisme » de la haute hiérarchie catholique (dont la défense d’« une égalité en dignité humaine et non une égalité sociale au sens des chartes des droits » et le refus de la maitrise de leur sexualité par les femmes) ;
◾L’esprit antiféministe (dont la place des théories naturalistes) lors de la campagne pour l’extension du droit de vote aux femmes, le suffrage n’étant universel que pour et par les hommes ;
◾La situation réelles des femmes à Madagascar derrière les mythes ;
◾Les « populationnistes » (dont la défense de la natalité pour les unes et la stérilisation forcée pour d’autres, les « supposés « androcentrés » des politiques de population », le traitement condescendant et sexiste des médecins). L’auteur souligne : « L’importance croissante des militantes et des militants féministes dans le champ de la défense des droits sexuels et reproductifs constitue une menace permanente pour des positions institutionnelles considérées comme revenant de droit aux expertes et aux experts des anciens programme de planification familiale ».
◾Les discours sur la « crise de la masculinité », véritable « rhétorique antiféministe » qui « participe d’un refus de la part des hommes de l’égalité et de leur réaffirmation de l’importance d’une différence hiérarchique entre les sexes », d’une tentative de discréditer les femmes qui se battent pour leur émancipation.
◾des effets de l’antiféminisme au Québec. L’auteure souligne que « les attaques antiféministes s’inscrivent dans des rapports d’oppression et d’exploitation des femmes par les hommes, rapports imbriqués à ceux de l’hétérosexisme, du racisme et de l’exploitation économique ». Elle s’interroge sur le « cycle de la violence antiféministe », parle aussi de « l’inversion de la culpabilité ».
Un dossier qui pourrait malheureusement être enrichi, par des analyses concernant tous les régions du monde.
J’ai été aussi intéressé par l’article sur « l’islam et les musulmans dans la presse suisse francophone » et celui sur « bell hooks » dont je ne peux cependant juger que d’une partie, peu de textes de l’auteure étant disponibles en français (Black feminism : Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, textes choisis et présentés par Elsa Dorlin, Editions L’Harmattan 2008, Sujet politique du féminisme – qui est ce NOUS de " Nous les femmes " ?
Sommaire :
Anne-Marie Devreux et Estelle Lebel : Des anniversaires sous le signe de la solidarité
Dossier
Anne-Marie Devreux et Diane Lamoureux : Les antiféminismes : une nébuleuse aux manifestations tangibles (Introduction)
Denise Couture : L’antiféminisme du « nouveau féminisme » préconisé par le Saint-Siège
Helen Harden Chenut : L’esprit antiféministe et la campagne pour le suffrage en France, 1880-1914
Mireille Rabenoro : Le mythe des femmes au pouvoir, arme de l’antiféminisme à Madagascar
Mathieu Caulier : L’antiféminisme des « populationnistes »
Francis Dupuis-Déri : Le discours de la « crise de la masculinité » comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe
Marie-Carmen Garcia : Des féministes aux prises avec l’« intersectionnalité » : le mouvement Ni Putes Ni Soumises et le Collectif féministe du Mouvement des indigènes de la République
Mélissa Blais : Y a-t-il un « cycle de la violence antiféministe » ? Les effets de l’antiféminisme selon les féministes québécoises
Hors-champ
Lorena Parini, Matteo Gianni et Gaëtan Clavien : La transversalité du genre : l’islam et les musulmans dans la presse suisse francophone
Lecture d’une œuvre
Estelle Ferrarese : bell hooks et le politique. La lutte, la souffrance et l’amour
Notes de lecture
— Christine Bard. Une histoire politique du pantalon et Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances (Ilana Löwy)
— Sandrine Garcia. Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants (Sarra Mougel)
— Isabelle Attané. En espérant un fils… La masculinisation de la population chinoise (Marylène Lieber)
Cahiers du genre N°52 : Les ANTI féminismes
En coédition avec Recherches féministes
Coordonné par Anne-Marie Devreux et Diane Lamoureux
L’harmattan, Paris 2012, 268 pages, 24,50 euros